Se reconstruire après la torture - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

Traumatismes

Du côté des associations

L'Association Primo-Levi prodigue des soins, ainsi qu'une aide sociale et juridique aux victimes de la répression politique.

Demandeurs d'asile, réfugiés, citoyens victimes de régimes répressifs actuels ou passés... On estime à deux millions de personnes le nombre des victimes de la torture présentes en Europe. Mais seulement 0,5 % d'entre elles ont accès à des soins, souvent inadaptés. En France, plusieurs dizaines de milliers de personnes auraient besoin d'un soutien médical et psychologique. Au sein de l'Association Primo-Levi, groupement interassociatif (1) fondé en 1995, Sibel Agrali, directrice du centre de soins, et toute son équipe, sont confrontés à ce défi depuis douze ans.

pluridisciplinarité

Avec six psychothérapeutes cliniciens, trois médecins généralistes, un kinésithérapeute et un chirurgien-dentiste, le centre offre un accompagnement pluridisciplinaire. Aux soins, gratuits, s'ajoutent le soutien d'une assistante sociale et d'un juriste à plein temps : leur aide est précieuse pour les demandeurs d'asile. De plus, l'association, présidée par Hubert Prévôt, propose un centre de formation pour les professionnels. Elle intervient aussi dans le cadre d'actions de sensibilisation, en particulier auprès des jeunes.

des mots sur des maux

« Pourquoi avons-nous appelé notre association "Primo-Levi" ? Pour la valeur symbolique de ce nom, qui est très forte, répond Sibel Agrali. Rescapé des camps de concentration, Primo Levi (2) a su témoigner de l'indicible, réfléchir et transmettre. Mettre des mots sur des maux. » Chaque année, environ 300 personnes sont suivies. Les traitements sont longs et très spécialisés car la torture vise à détruire, annihiler l'individu, étouffer toute appartenance à un groupe social.

« Nous écoutons les sujets dans leur singularité, un par un [...]. Nous témoignons, nous-mêmes, des effets ravageurs de tels vécus, aussi bien sur la vie psychique de chacun que sur le lien social », expliquent Véronique Bourboulon et Éric Sandlarz, psychothérapeutes au centre de soins, dans l'avant-propos de De la violence politique au traumatisme, un ouvrage qui rassemble deux colloques organisés par l'association (3).

Les symptômes post-traumatiques générés par la détention, la torture et la menace de mort sont multiples : insomnie, sentiment de souillure, angoisse, maux de tête quotidiens, dépression... Avec un facteur déterminant : la difficulté à se reconstruire. « Le problème est que la précarité dans laquelle survit la majorité de ces patients ne leur laisse pas de place pour évoluer, rebâtir un projet de vie... S'ajoutent la honte, la douleur, la culpabilité, tranche Sibel Agrali. Toutes les priorités sont chamboulées. »

Une consultation sur cinq est assistée d'un interprète. En effet, 30 à 40 nationalités sont présentes. Les patients peuvent être kurdes, turcs, originaires de l'ex-URSS... Depuis quatre ans, une majorité viennent d'Afrique subsaharienne, notamment des deux Congos.

« Généralement âgés de 25 à 40 ans, la moitié des patients nous sont envoyés par les associations, les foyers d'accueil ou quelques services hospitaliers. 20 à 30 % sont des enfants ou des adolescents : ils sont reçus en priorité », précise la directrice du centre de soins. Avec une trentaine de bénévoles et de stagiaires et plus de 400 adhérents, l'association est financée par 23 sources différentes : « On les diversifie pour ne pas être dépendants, car nous sommes très exposés aux aléas politiques. »

reconnaissance

Viols, simulacres d'exécution, tête-à-tête avec des tortionnaires, humiliations... c'est là l'oeuvre de destruction des bourreaux. La prise en charge des patients vise à donner du sens aux symptômes qui en découlent et à les resituer dans le contexte du traumatisme. La spécificité du soutien psychologique est étroitement liée à celle du double trauma : la répression dans le pays d'origine et le prolongement qu'est l'exil. « Notre objectif est que ce lieu reconnaisse l'autre comme victime. C'est la première étape pour qu'il franchisse le seuil de l'isolement et de la méfiance, souligne Sibel Agrali. Ensuite, il faut prendre le temps, et donner le temps. »

1 - Regroupement de cinq associations : Acat (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), Amnesty International section française, Juristes sans frontières, Médecins du monde et Trêve.

2 - Auteur de Si c'est un homme (1947).

3 - De la violence politique au traumatisme, Errances et solitudes, L'Harmattan.

Contact

> Association Primo Levi, 107, avenue Parmentier, 75011 Paris. Tél. : 01 43 14 88 50 http://www.primolevi.asso.fr

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