« Sortir d'une addiction, c'est revenir au monde » - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

Toxicomanies

Du côté des associations

Prévention, soins, formation... l'Association nationale des intervenants en toxicomanie (Anit) aborde la dépendance sous toutes ses facettes, en s'adaptant aux évolutions de la société.

C'est en 1980, dix ans après le vote de la loi de lutte contre la toxicomanie, que l'Anit (Association nationale des intervenant en toxicomanie) a été créée. Son objectif : fédérer des intervenants issus de champs d'intervention très diversifiés (accueil, soins, post-cure, réduction des risques, prévention, etc.), et leur permettre d'échanger leurs expériences, tout en mutualisant leurs compétences.

nouvelles méthodes

À cette époque, le modèle dominant venait des États-Unis et de ses free clinics. « Le soin se résumait à un séjour résidentiel de plusieurs mois dans un espace clos où les mots d'ordre, pour ceux que l'on appelait encore des "toxicos", étaient sevrage et abstinence », rappelle Jean-Pierre Couteron, président de l'Anit, psychologue clinicien et responsable du Centre départemental d'aide aux toxicomanes (Cedat) de Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines.

Au cours des années 1980, l'association a évolué. Tout d'abord via la mise en place d'un dispositif d'accueil, de soins ambulatoires et résidentiels et de prévention de plus en plus structuré. En son sein, des méthodes, comme la préparation au sevrage et la post-cure ont été développées, afin d'améliorer la prise en charge des toxicomanes et de leur faire bénéficier d'une vraie chaîne de soins.

Dans un deuxième temps, le virus du sida a fortement remis en cause le modèle thérapeutique né de la loi de 1970, et a accéléré l'arrivée de nouveaux acteurs. « En réponse à l'ancien schéma devenu dangereux, un nouveau modèle, non plus basé uniquement sur le sevrage et l'abstinence mais utilisant les produits de substitution, a été défendu par les partisans de la "réduction des risques". »

Le principe est le suivant : la priorité n'est pas de soigner la toxicomanie, mais de maintenir la personne en bonne santé, en s'appuyant sur les compétences propres à l'usager pour le responsabiliser, et lui faire prendre soin de lui étape par étape. Par exemple, « on lui fait choisir une seringue propre plutôt qu'une sale, ou on lui apprend à ne pas mélanger tel produit avec tel autre ». Prenant acte de cette évolution, l'Anit a noué, au début des années 1990, une série de partenariats interassociatifs avec notamment l'AFR (Association française pour la réduction des risques) et l'Asud (Autosupport des usagers de drogues).

« addicts », pas malades

Par ailleurs, l'association n'a pas cessé de dénoncer « l'absurdité du clivage entre produits licites et produits illicites, contre-productif au regard de la réalité des polyconsommations ». Sans faire de distinctions parmi l'ensemble des substances psychoactives, « l'addictologie considère que les conduites addictives ne sont pas des maladies mais plutôt des comportements. On est "addict" pour s'extérioriser, pour être performant, pour suivre une dynamique de groupe », explique Jean-Pierre Couteron. En réalité, la difficulté pour tout thérapeute est que ce type de comportements est perçu par l'usager comme une solution avant d'être un problème.

L'addiction correspond à une perte de contrôle, qui peut mener jusqu'au phénomène de « centration » analysé par le docteur Alain Morel (administrateur de l'Anit) : l'addict se désintéresse de sa vie sociale, familiale, professionnelle pour tout centrer sur l'expérience ressentie avec le produit. Afin de reprendre le contrôle sur les polyaddictions, d'analyser les objectifs premiers responsables de son apparition, « l'addictologie ne propose pas une prise en charge médicale mais un accompagnement bio-psycho-social au cours d'un cheminement que l'usager va définir lui-même, précise Jean-Pierre Couteron. Sortir d'une addiction, c'est revenir au monde. Et revenir au monde, c'est se poser la question de la place que l'on peut y trouver ».

Aujourd'hui, la répartition des consultations dans les centres d'accueil est la suivante : un tiers pour usage d'opiacés et de produits de substitution, un autre tiers pour usage de cannabis, et un dernier tiers de polyusages, où la consommation de drogues s'accompagne d'autres formes d'addictions, comme le jeu.

De plus en plus, la tendance est à la polyconsommation : la consommation d'héroïne a chuté au profit de produits de substitution d'une part, de la cocaïne et du crack d'autre part. Ces changements vont de pair avec une nouvelle sociologie des usagers, qui appartiennent à des milieux plus diversifiés qu'auparavant.

effets de mode

Autre évolution, les polyusages chez les jeunes confrontés à des problèmes de surconsommation de cannabis et d'alcoolisation aiguë. Selon l'Observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT), on dénombre 850 000 fumeurs de cannabis réguliers, dont 450 000 quotidiens. La consommation a triplé en dix ans, et sa concentration en THC(1) a triplé en quinze ans, ce qui en fait un produit de plus en plus nocif. Pour ce qui est de l'abus d'alcool, « nous avons souvent affaire à des jeunes sans expérience, placés face à des situations où ils ont du mal à se contrôler, et qui subissent des effets de mode tels que la "happy hour" ou l'apparition de nouvelles boissons alcoolisées », souligne le président de l'Anit.

Pour comprendre l'ampleur du phénomène, il ne faut pas couper la toxicomanie de son contexte social, culturel et économique. C'est tout le sens des prochaines journées nationales que l'association placera sous le thème « Addictions au quotidien, l'ordinaire des addictions » les 12 et 13 juin 2008 à Nîmes. « L'offre des produits augmente et les prix baissent, reprend Jean-Pierre Couteron. Par ailleurs, les structures morales se délitent en même temps que s'opposent l'anxiété et l'"hédonisation" des moeurs, provoquant une forte expansion sociale des paradis artificiels. Ceci nous confronte à la part inévitablement présente de l'addiction dans la vie quotidienne. »

pouvoirs publics

Forte d'environ 150 personnes morales (représentant les deux tiers des centres de soins en toxicomanie) et de 170 personnes physiques, l'Anit rejette l'idée de n'intervenir que dans un cadre sanitaire, et se bat pour agir auprès des pouvoirs publics, à commencer par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt).

L'action est centrée sur trois grands axes : la notion d'intervention précoce au moment où l'usage commence, notion qui doit interpeller surtout les familles et les usagers ; l'accompagnement, qui suppose un aller-retour entre des temps ambulatoires ou résidentiels et des temps plus sociaux ; et la prise en charge transdisciplinaire, en interaction permanente entre des solutions médicales et des solutions sociales. Par exemple, « dans le cas de jeunes consommateurs de cannabis, l'objectif d'arrêt ne sera atteint que si l'on s'arrête par moments pour s'intéresser à leur resocialisation, pour qu'ils reprennent une place dans la société ».

Jouant son rôle d'interface avec les pouvoirs publics, l'association adhère à leur prise en compte des transformations récentes du secteur à travers le Plan de prise en charge et de prévention des addictions (2007-2011), tout en veillant à ce que son application corresponde aux valeurs qu'elle défend. Ainsi, la prochaine session de l'unité de formation de l'Anit (2) se concentrera sur la mise en place des Csapa (centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie, créés par le décret du 14 mai 2007), qui fédèrent dans un même cadre juridique les anciens dispositifs prenant en charge l'alcool et la toxicomanie.

quelles sanctions ?

Autre cheval de bataille de l'association : la dénonciation d'une législation inadaptée. À propos du cannabis, l'Anit estime que la loi de 1970, qui condamne l'usage simple, est caduque. L'association ne nie pas la dangerosité des produits. Néanmoins, martèle son président, « la pénalisation de l'usage a fait la preuve de son échec, la consommation n'ayant pas diminué. Dans le même temps, cela a compliqué l'accès au soin et le travail de prévention auprès d'usagers qui se cachent pour consommer, contrairement aux fumeurs de tabac et aux buveurs d'alcool ».

D'autre part, le fumeur de cannabis est rarement sanctionné car on hésite à réellement appliquer la loi. Face à ce constat, l'association prône la pénalisation de l'usage du cannabis pour des faits qui la justifient : sur les mineurs, pour des raisons de cohérence éducative et de plus grand danger dans le cas d'une consommation commencée durant l'adolescence ; et sur les majeurs lorsque l'usage met en danger la vie d'autrui : conduite automobile dangereuse, violences conjugales... Ceci dans un souci d'uniformiser la pénalisation de la consommation de drogues et de l'abus d'alcool autour de faits incontestables, tout en insistant sur un discours de santé publique plus éducatif et plus préventif.

exemples étrangers

En définitive, « toutes les études montrent que la loi a très peu d'impact sur l'usage. En réalité, la société augmente les occasions de consommer - et donc les risques d'addiction - puis réprimande cette même consommation ». Dès lors, tout un travail de réflexion est à mener pour reconsidérer cette offre croissante, et en particulier agir sur l'accès au produit en s'inspirant d'exemples étrangers.

En Suède, la loi punit très sévèrement la consommation de l'ensemble des produits, et restreint fermement leur accessibilité. Plus pragmatiques, les Hollandais ouvrent et ferment les coffee shops au gré des résultats des études de consommation de cannabis. « Bien sûr, avant de décalquer une politique d'un pays à l'autre, il faut tenir compte des spécificités culturelles en ce qui concerne le rapport des citoyens à la loi et à l'alcool. Mais c'est un fait que les législations globales donnent peu de résultats, à l'inverse de stratégies politiques globales en termes de communication, de publicité et d'accès aux produits, qui sont beaucoup plus efficaces, estime Jean-Pierre Couteron. L'interdit législatif ne doit pas se substituer au travail éducatif, mais le renforcer. »

1 - THC signifie tétrahydrocannabinol, le composé actif le plus abondant dans le cannabis.

2- Le 23 janvier 2008, au centre médical Marmottan, Paris (XVIIe).

Contact

> Association nationale des intervenants en toxicomanie (Anit) 9, passage Gatbois, 75012 Paris

Tél. : 01 43 43 72 38

Internet : http://www.anit.asso.fr

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