Trouver la juste distance avec le patient - L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 233 du 01/12/2007

 

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Mieux vivre

Comprendre la douleur du malade, faire preuve d'empathie tout en gardant un recul suffisant... adopter la bonne attitude n'est pas toujours facile.

« Entre mon coeur et ma tête, il m'a fallu du temps pour trouver un équilibre », raconte Hélène Harel-Biraud, infirmière en soins palliatifs et psychothérapeute. La recherche de ce savant dosage implique de remettre en question nos comportements, souvent impulsifs ou instinctifs, constate l'auteur du Manuel de psychologie à l'usage des soignants (Masson, 1997), un ouvrage qui invite à repenser la relation au patient.

pas de formule magique

La règle primordiale est justement... qu'il n'existe pas de règle valable pour tous les patients. La relation entre le malade et l'infirmière est le fruit de la rencontre entre deux personnalités différentes, deux vécus et deux façons d'appréhender la maladie, souligne Hélène Harel-Biraud. C'est à chaque fois une situation particulière, qui évolue en fonction de l'humeur de chacun.

rester distinct sans être distant

Si une distance excessive peut conduire à mal comprendre les besoins du malade, trop d'empathie met en danger le soignant, qui s'identifie au patient, mais aussi le malade, qui peut se sentir oppressé par une infirmière trop pesante. « L'attitude d'empathie exigée chez un soignant est souvent mal comprise », déplore Thierry Tournebise, psychothérapeute et formateur dans des milieux de soins depuis vingt ans. Pour lui, l'empathie correspond au « tact psychique » qui permet de sentir ce qui se passe en l'autre sans pour autant se mettre à sa place. La « bonne proximité est la distance zéro », affirme le psychothérapeute : elle procure au malade une véritable chaleur humaine. Il faut « être distinct sans être distant », en clair, rester ouvert et extrêmement proche du patient sans se perdre soi-même : ni trop loin, ni trop proche, tout simplement différent.

malade et maladie

Si l'infirmière a pas besoin de prendre du recul, ce n'est pas face au patient, mais face à sa maladie. Le malade lui, exprime le besoin d'être considéré. Pour Thierry Tournebise, « c'est souvent une affaire d'attitude non verbale. Par exemple, quand on lève un malade, mieux vaut le prendre à bras-le-corps qu'à bout de bras ». Un schéma à transposer sur le plan psychologique : ne prenez pas la personne avec des pincettes !

besoin de reconnaissance

La « bonne proximité », poursuit Thierry Tournebise, inclut aussi une reconnaissance de la souffrance du patient. Si vous redoutez les pleurs des malades, c'est parce que vous ne savez pas forcément comment réagir, comment résoudre leurs problèmes.

Pour être apaisé, le patient n'a pas tant besoin d'être rassuré que de sentir que sa douleur est prise en compte par les soignants. Il suffit parfois de quelques mots sur sa souffrance ou d'un peu de compassion, un geste, un sourire ou une caresse, pour l'apaiser. À l'inverse, à trop le rassurer, il risque d'éprouver le sentiment qu'on ne le comprend pas et que l'on nie sa douleur.

ne pas tout prendre sur soi

Pour une infirmière, être affectée par la souffrance et la mort est inévitable. Lorsque vous rentrez chez vous et que vous n'arrivez pas à tourner la page, cela commence à devenir problématique. Si vous êtes confrontée à une situation qui résonne trop fortement avec votre vécu ou que vous êtes débordée par les émotions, mieux vaut faire appel à une tierce personne pour vous accompagner ou prendre le relais. Se confier à un psychologue ou à un autre soignant peut vous aider. Thierry Tournebise considère que certaines infirmières vivent des moments très éprouvants qui, faute d'avoir été partagés, peuvent marquer toute une carrière. De plus, si vous gardez toujours tout pour vous, la dépression vous guette et vous risquez de saper le moral de votre entourage, personnel comme professsionnel.

Le fait de partager est une des clés qui permettent de prendre du recul et de se protéger. Hélène Harel-Biraud nous en livre une autre : selon elle, « le plus important, c'est de développer une vie personnelle équilibrée et riche ».

En savoir plus

un roman

> Dans Julie ou l'aventure de la juste distance (Lamarre, 2005), dix soignants partagent leurs expériences lors d'une formation animée par un psychologue.

À travers des personnages attachants, toutes les difficultés du métier sont évoquées, du respect de ses propres limites au souci, permanent, d'être juste et présent envers le malade.

Julie ne parvient pas à prendre du recul sur sa vie professionnelle. Elle n'en dort plus. Cette aventure va l'aider à mieux se connaître et à mettre des mots sur la tendresse, l'attirance, la répulsion, la peur, l'implication, l'agressivité, la culpabilité, l'attachement et le détachement. L'ouvrage fourmille d'exemples qui font rire ou pleurer, mais toujours réfléchir.

un site web

> Le site Internet de Thierry Tournebise rassemble de nombreux documents destinés aux professionnels des soins. http://www.maieusthesie.com

une analyse

> Catherine Mercadier, infirmière, sociologue et formatrice, étudie le processus de mise à distance du soignant face à l'impact émotionnel provoqué par le corps malade, dans son ouvrage Le Travail émotionnel des soignants à l'hôpital, Le Corps au coeur de l'interaction soignant-soigné, (éd. Seli Arslan, 2002).

témoignage

« Parfois, on passe le relais »

« La bonne distance, c'est celle qui nous permet de rester professionnelle, de toujours nous positionner en tant qu'infirmière : on n'est pas là pour se faire des amis ! », assure Marie, infirmière en service pédiatrique auprès d'enfants atteints de cancers.

« On partage des moments d'intimité avec les patients, on s'attache et parfois ça peut devenir très difficile. Éprouver des émotions, c'est normal, mais lorsque l'on est trop affecté par certaines situations, on est moins efficace. Parfois, on passe le relais quand ça devient trop difficile. Le fait d'être en équipe, de partager, permet de mieux analyser une situation.

On essaye de comprendre ce que les gens ressentent pour répondre à leurs besoins mais il ne faut pas s'approprier leurs souffrances, sinon on ne va plus les aider correctement. Nous devons aussi respecter la pudeur de la personne pour ne pas être trop intrusif dans nos questions ou nos gestes.

Chaque relation est liée à notre propre vécu. Parfois, ça fait résonance, on s'identifie. On essaye toujours d'être disponible, à l'écoute. Il arrive, pour se protéger, que l'on se cache derrière la blouse blanche, qu'on se fasse une carapace. Mais on risque de ne plus avoir accès à l'autre, de ne plus être assez à l'écoute de la personne.

Il est indispensable d'être suffisamment proche pour instaurer une relation de confiance, pour que le malade puisse compter sur nous. L'échange doit reposer sur cette confiance : c'est ce que l'on appelle "l'alliance thérapeutique", qui fait que le patient va collaborer et adhérer à son traitement. »