Combattre la dépression - L'Infirmière Magazine n° 234 du 01/01/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 234 du 01/01/2008

 

psychologie

Dossier

Bien que fréquentes, la tristesse et la dépression ne sont pas normales chez les personnes âgées. Voici des outils pour les affronter.

Les jeunes et les personnes âgées ne sont pas égaux devant la dépression. Ainsi, il semble aujourd'hui établi qu'après 65 ans, le risque de connaître ce trouble psychiatrique augmente. Entre 1998 et 2003, une enquête effectuée par l'Inserm en Aquitaine (2) a décelé 13 % de cas de dépression dans la population de plus de 65 ans, contre 3,5 à 4 % chez l'adulte jeune. Quand les personnes âgées consultent un médecin traitant, elles seraient même entre 15 et 30 % à présenter un trouble dépressif. En institution, notamment en maison de retraite ou en Ehpad, jusqu'à 40 % des personnes âgées seraient concernées. Malheureusement, le diagnostic n'est porté chez la personne âgée qu'une fois sur quatre.

Or, la dépression, en plus d'induire une souffrance importante chez celui qui l'éprouve, peut conduire au suicide. Chez la personne âgée, le risque est élevé. Favorisé par l'isolement, survenant au petit matin, souvent brutal, le geste fatal est presque toujours réussi. Chacun peut s'inquiéter d'un risque dépressif, pour lui-même ou pour l'un de ses proches. C'est ensuite le rôle des professionnels de santé d'établir un diagnostic, qui sera posé d'après l'examen du comportement et du discours de celui qui souffre.

Des symptômes éprouvants

Morosité de l'humeur, parfois accompagnée de larmes, la tristesse s'associe à une perte du goût de vivre, de la capacité à éprouver du plaisir pour les choses qui nous étaient habituellement agréables. Cela va au-delà d'une interrogation existentielle qui peut, bien sûr, être teintée de dépit. L'avenir lui-même est sombre, le futur est incertain, le pessimisme règne, le patient déprimé perd la capacité d'élaborer des projets. Même au terme d'une vie, cela n'est pas normal. Lorsque cette tristesse devient intense, les patients ressentent une véritable douleur morale que certains considèrent comme la pire épreuve de leur vie. Elle peut s'accompagner de sentiments de culpabilité : « Mais quelle faute ai-je commise pour en arriver là ? » ; « Je ne vaux vraiment plus rien, je ne suis plus bon à rien. » Ou encore d'incurabilité : « Je ne m'en sortirai jamais. Il n'y a plus d'avenir pour moi en ce monde. » Sur cette humeur triste, surgissent les idées noires, les idées de mort, l'envie d'en finir avec tout ce tourment et cette vie qui n'aurait plus de sens.

On observe également un ralentissement. Puisque le moral n'est plus là, la personne âgée réduit ses activités. Ce symptôme peut être quantifié. Les mouvements deviennent plus mesurés, plus rares, plus lents. Les activités habituelles, y compris celles qui demandaient un fort investissement, semblent avoir perdu tout intérêt. Le langage lui-même ralentit, devient plus faible, plus bref, voire absent : c'est le mutisme. La vie intellectuelle se restreint, les sujets abordés se limitent, la concentration est difficile. La personne âgée perd le sens des initiatives.

Comme le ralentissement, les signes somatiques sont plus facilement repérés par des proches ou, mieux encore, par des professionnels de santé. Il s'agit d'une diminution puis d'une perte d'appétit, qui peut dans certains cas s'accompagner d'un amaigrissement. On observe également une insomnie, parfois accompagnée d'angoisses matinales. On constate aussi des plaintes physiques, parfois multiples. Il peut enfin s'agir de troubles cognitifs et de troubles du comportement tels qu'on peut également les retrouver chez des personnes âgées démentes ou confuses.

Caractérisée ou mineure ?

Si repérer la dépression est un point important, il est nécessaire, ensuite, d'évaluer le type de dépression et sa sévérité, de façon à affiner la prise en charge. Il peut être difficile de distinguer une dépression sévère, caractérisée, d'une dépression plus modérée. Dans tous les cas, on n'oubliera pas d'interroger l'entourage. Et au sein d'une équipe soignante, l'avis de chacun sera pris en compte. Pour Claudine, 28 ans, infirmière en service de psychiatrie d'un hôpital général, la « solitude » qui accompagne parfois le grand âge et « les limitations des activités de la vie quotidienne » dues à des altérations physiques sont les facteurs essentiels de la gravité d'une dépression chez une personne âgée.

On parle parfois de dépression masquée, tant celle-ci peut être difficile à reconnaître, en particulier chez la personne âgée. Le diagnostic de dépression sera établi en s'appuyant sur les éléments que nous avons évoqués précédemment (un comportement ralenti, un discours marqué par la tristesse ou le pessimisme, des plaintes somatiques). Il est alors très important de repérer les troubles du comportement et de chercher à les rattacher à des diagnostics soit de dépression, soit de démence, soit encore de douleurs.

Pour les psychiatres, notamment, la présence de tous les signes que nous avons évoqués jusqu'à présent permet d'affirmer le diagnostic d'une dépression caractérisée, aussi appelée épisode dépressif majeur. Quand la symptomatologie n'est pas complète, on parle depuis quelques années de dépression mineure ou de dépression sub-syndromique, qui toucherait entre 13 % et 27 % des personnes de plus de 65 ans, soit 10 fois plus que la dépression caractérisée. Il peut être important de la repérer car elle possède un fort risque d'évolution vers une dépression caractérisée.

Troubles proches

On décrit d'autres types de dépression, dont le plus sévère est la mélancolie. On parlait jadis, pour les personnes âgées, de mélancolie d'involution ou de syndrome de Cotard. Il s'accompagne d'un délire hypocondriaque, c'est-à-dire centré sur la santé. Proche de ces diagnostics se trouve la psychose maniaco-dépressive, qu'on retrouve aujourd'hui incluse dans les syndromes dépressifs bipolaires. On décrit également, et cela plutôt chez l'adulte jeune, des dysthymies ou dépressions névrotiques, considérées par certains comme les formes les plus fréquentes de dépression. On note également des dépressions réactionnelles à un événement difficile. Enfin, associées à diverses maladies somatiques, on évoque des dépressions organiques ou iatrogènes (c'est-à-dire causées par la pratique médicale) : démence, troubles vasculaires, maladie de Parkinson, traitements psychotropes...

Outils diagnostiques

Dans les divers diagnostics précédemment cités, la dépression peut se manifester sous des formes cliniques différentes. Notamment chez la personne âgée, on retrouve près de deux fois sur trois une forme somatique, c'est-à-dire que les symptômes des signes somatiques sont prédominants. On évoque également chez les personnes âgées des formes hypocondriaques, délirantes, hostiles avec opposition à l'environnement, anxieuses, confusionnelles, cognitives ou pseudo-démentielles et enfin une forme marquée par l'apathie, la démotivation. Si l'expression « syndrome de glissement » est souvent utilisée, on peut penser que ce syndrome n'existe pas et qu'il s'agit toujours soit d'une dépression, soit d'un trouble psycho-organique comme c'est le cas pour la confusion mentale ou la maladie d'Alzheimer.

Existe-t-il des outils qui nous aideraient à porter le diagnostic ? Parmi les questionnaires qui existent pour la dépression, on peut en retenir deux. L'échelle de ralentissement dépressif ou RRS-IV s'intéresse particulièrement à la lenteur et à la pauvreté des mouvements, notamment de la tête et du cou ; à la variété des sujets spontanément abordés par la personne âgée ; à l'intérêt pour les activités habituelles ; à la concentration. De son côté, l'échelle brève de dépression gériatrique ou Mini-GDS s'intéresse à la présence habituelle d'un découragement ou d'une tristesse, aux sentiments d'avoir une vie vide, au fait ou non de se sentir heureux la plupart du temps, à l'impression que la situation de la personne âgée est désespérée.

Évaluation régulière

Tous les professionnels, selon leurs compétences, doivent jouer leur rôle dans la prise en charge de la dépression chez la personne âgée. Il s'agira d'évaluer l'humeur du patient en faisant preuve de capacités d'écoute, de disponibilité, mais aussi de rigueur scientifique. La thérapeutique associera traitements médicamenteux, traitements psychologiques et traitements corporels. L'efficacité de chacun des traitements sera régulièrement évaluée.

Après avoir suspecté une dépression, il faut la confirmer, puis en mesurer l'intensité. Il faut également évaluer le type de dépression, en particulier la forme clinique qui pourra avoir une incidence sur le traitement. Il faut tenir compte du contexte somatique de la personne âgée - qui peut présenter d'autres problèmes de santé - mais aussi du contexte social, c'est-à-dire l'environnement familial ou institutionnel. Les ressources personnelles dont dispose l'individu pour faire face à ses problèmes de santé seront évaluées précisément.

Cela mènera à un traitement plurimodal, associant plusieurs traitements (traitement médicamenteux, traitement psychologique et traitement corporel) et pluridisciplinaire, associant le médecin, l'infirmier, l'aide-soignante, l'aide médico-psychologique, le psychologue, la famille, l'institution. On choisira un traitement adapté à la personne, à son état, à sa demande et, en particulier pour les médicaments, on utilisera une dose efficace et la mieux tolérée possible. En effet, dans ce dernier cas, le risque d'iatrogénisation est important chez la personne âgée. L'effet de chacune des procédures thérapeutiques sera évalué.

Le choix d'un médicament antidépresseur ne doit pas être différé. Pour le médecin, la décision repose à la fois sur des travaux scientifiques, sur ses propres connaissances et sur sa propre expérience. L'avis motivé des équipes peut se révéler déterminant. Les antidépresseurs de première intention ont la même efficacité et la même rapidité d'action. Ils sont efficaces dans 60 % des dépressions de l'adulte.

Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont les produits de première intention. On y retrouve, par exemple, la paroxétine (Deroxat ®), le citalopram (Seropram ®). Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa) sont peut-être un peu moins connus en ce qui concerne les personnes âgées. On y retrouve, par exemple, la miansérine (Athymil ®), la venlafaxine (Effexor ®), le milnacipran (Ixel ®). D'autres antidépresseurs comme la tianeptine (Stablon ®) sont plutôt bien tolérés chez les personnes âgées. Enfin, les antidépresseurs tricycliques ou imipraminiques doivent être prescrits par un spécialiste et réservés à des dépressions résistantes. On peut citer, par exemple, la clomipramine (Anafranil ®) ou l'amitriptyline (Laroxyl ®). D'autres médicaments psychotropes peuvent être associés aux antidépresseurs. Il s'agit principalement des anxiolytiques, des hypnotiques ou des somnifères. La prescription ne doit pas être systématique et sera de courte durée.

Traitements au long cours

Les traitements antidépresseurs commencent habituellement à une dose assez faible, de façon à s'assurer de leur bonne tolérance, puis sont augmentés progressivement jusqu'à une dose qui doit être la dose efficace. Il est parfois nécessaire de poursuivre le traitement plusieurs semaines avant de juger de son efficacité. Pour un premier épisode, le traitement devra être poursuivi, à doses efficaces, pendant au moins six mois, afin de prévenir les rechutes.

L'esprit et le corps

La psychanalyse peut également entrer en jeu. Le psychothérapeute évoquera avec la personne âgée ses souffrances et peut-être plus particulièrement ses situations de deuil ou de perte d'un proche. Seront également recherchés les enjeux affectifs et relationnels de la souffrance dépressive. Dans les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), le psychothérapeute peut soulager la souffrance dépressive du patient en repérant et critiquant avec lui ses pensées négatives et ses évitements, en lui permettant d'adopter des comportements plus favorables à une bonne santé, et en développant son aptitude à faire face aux souffrances rencontrées dans l'existence.

De nombreuses approches corporelles se révèlent utiles. La relaxation, la sophrologie ou l'hypnose sont des techniques thérapeutiques. Elles peuvent parfois être initiées par du toucher ou des exercices respiratoires pratiqués par divers professionnels de santé, ou encore par des massages exercés par les kinésithérapeutes. Dans les approches corporelles, on inclut également les activités physiques régulières et modérées : la marche, le vélo, le bain ou la piscine, ou encore la gymnastique d'entretien... autant d'exercices volontiers pratiqués dans certaines maisons de retraite. L'approche corporelle peut aussi être esthétique ou artistique : groupes de maquillage ou d'habillage, chorale, cuisine, mise à disposition de miroirs. Enfin, on soulignera, dans le cadre de cette prise en charge plurimodale, l'intérêt des groupes de patients et, plus généralement, de toute animation collective adaptée aux différents âges de la vie. Elle permet de garder ou de renouer le contact avec les autres.

Une aide globale

Ainsi, pour Marie-Laurence, 40 ans, infirmière successivement en médecine et en orthopédie, « la dépression du sujet âgé n'est pas une pathologie à part : il faut comprendre et aider le patient dans sa globalité en tenant compte de ses difficultés physiques et du contexte social». La lutte contre la dépression est donc loin de se réduire à sa dimension purement médicale. Repérer cette pathologie et prévenir le risque suicidaire sont bien sûr des éléments essentiels. Mais, dans un souci de bonne qualité de vie, de bientraitance, il est tout aussi important de développer les aptitudes des personnes âgées à vivre au mieux les années qui s'offrent à elles.

1- Psychiatre, responsable de la consultation douleur au CHU d'Amiens.

2- Enquête Paquid, citée par G. Jovelet et B. Segolas dans « Manifestations dépressives chez le sujet âgé. Séminaire de formation médicale continue », L'Information psychiatrique, 2007 ; 83 : 495-502.

témoignages

« L'ÂGE, C'EST DANS LA TÊTE »

Amandine, 23 ans, fraîchement diplômée, travaille en service de médecine. Elle se souvient aussi de ses stages en maison de retraite. Lorsque les personnes âgées arrivent en institution, « la verbalisation, la communication » peuvent être perturbées et, doucement, « un syndrome de glissement » s'installe. Annie, infirmière libérale retraitée, ajoute que ce syndrome est expliqué par la dépression : « À domicile, il apparaît à la suite de problèmes de santé. Il est essentiel de repérer les signes initiaux de la dépression, comme le manque d'intérêt ou l'isolement. Un bon moyen d'évaluer la sévérité de la dépression est de chercher à savoir si les gens sont encore réactifs à leur environnement, aux visites, notamment celles de l'infirmière. » Amandine rejoint son aînée pour souligner l'importance de la formation : « C'est plus difficile de repérer les signes de dépression chez une personne âgée que chez un adulte jeune. » Seule la formation permet de combattre cette méconnaissance courante chez les professionnels de santé, résumée dans l'expression « C'est l'âge ». Puisque d'après Annie, « l'âge, c'est dans la tête, c'est l'âge que l'on se donne qui compte », le rôle de l'infirmière sur le lieu de vie ne consiste pas qu'à prodiguer des soins physiques. C'est aussi valoriser la personne, l'accompagner globalement. Et peut-être même donner du sens à la vie.

pratique

LE RÔLE DE L'INFIRMIÈRE

1. Repérer les symptômes dépressifs :

- tristesse ou découragement, perte de la capacité à éprouver du plaisir pour des choses naguère agréables, sentiment de vie inutile ou vide, situation vécue comme désespérée;

- ralentissement des mouvements, perte d'intérêt pour les activités habituelles ;

- plaintes physiques, notamment liées à la douleur, troubles du comportement.

2. Évaluer l'intensité de la dépression et le risque suicidaire

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3. Accompagner le traitement :

- s'assurer de l'observance et de la tolérance médicamenteuse ;

- favoriser la participation active du patient ;

- associer systématiquement des traitements non médicamenteux : relaxation, massages, activités physiques régulières, activités de groupe ;

- suivre l'évolution en équipe pluridisciplinaire ;

- être disponible auprès du patient ;

- améliorer ses compétences en se formant et en travaillant en équipe.

évaluation

LE RISQUE SUICIDAIRE

Quand un individu exprime des signes de dépression, comme une tristesse, une lassitude morale, du pessimisme... Lorsqu'il délaisse ses centres d'intérêts, qu'il évoque la mort - en particulier la sienne -, il est nécessaire pour tout professionnel de santé d'évaluer le risque suicidaire. On peut proposer une succession de questions liées les unes aux autres.

1. « Comment voyez-vous l'avenir ? Votre avenir ? »

2. « Avez-vous des idées noires ? Pensez-vous à la mort ? »

3. « Pensez-vous à votre fin, votre mort ? »

4. « La mort peut-elle être une solution à vos problèmes, à vos souffrances ? »

5. « Iriez-vous jusqu'à vous supprimer ? »

6. « Avez-vous prévu le moyen d'en finir ? Qu'avez-vous prévu ? »

7. « Avez-vous décidé de vous suicider ? »

Dès une réponse positive au point 4, un avis médical est indispensable.

Une réponse positive au point 7 impose des soins, y compris contre la volonté du patient.

En savoir plus

> La mallette Dépression et symptômes dépressifs chez le sujet âgé. Repérage, démarche de diagnostic, identification des signes d'alerte et stratégie de prise en charge. DGS-SFGG-FFP-SPLF, avril 2007.

> La dépression, en savoir plus pour en sortir, guide de l'Inpes, août 2007, téléchargeable sur http://www.info-depression.fr.

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