Le soin à haut débit s'invite à domicile - L'Infirmière Magazine n° 234 du 01/01/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 234 du 01/01/2008

 

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Horizons

Une étude de téléassistance médicale a été conduite auprès de patients cancéreux de quatre pays européens. Retours d'expériences en compagnie des deux équipes médicales françaises qui y ont participé.

Des malades bénéficiant d'un suivi permanent via une connection informatique à leur établissement de santé, bientôt une réalité ? Plusieurs initiatives ont été menées récemment, pendant deux mois, auprès de 150 patients atteints de cancer, dans quatre pays européens : l'Italie, la Belgique, la Pologne et la France.

efforts coordonnés

Les malades sélectionnés devaient remplir différentes conditions : ne pas être en fin de vie, avoir dans leur entourage familial au moins une personne valide, savoir lire et écrire afin d'être capables de se servir de la station de téléassistance. L'expérience était menée grâce aux efforts conjoints d'établissements de santé, du consultant Eurogroup, de France Télécom et de la société Axa assistance. L'opération, achevée mi-2007, disposait d'un budget de quatre millions d'euros, financé pour moitié par la Commission européenne (1).

idée prometteuse

« Il s'agit notamment de permettre aux patients de sortir plus tôt des hôpitaux, afin de fluidifier les flux, note le docteur Gilles Conchon, membre de la direction du développement médical du groupe Axa assistance. Il faudra encore améliorer la technologie, en s'orientant peut-être vers de l'UMTS (2), car certaines transmissions par ADSL étaient affectées par des coupures ou par des problèmes de transmission de son et d'image... Cependant, ce type de maintien médicalisé à domicile peut non seulement être employé en oncologie mais est aussi susceptible d'être étendu à toute personne plus ou moins dépendante... »

24 heures sur 24

Concrètement, le patient était relié par informatique à son établissement de santé ainsi qu'à l'équipe d'Axa. Chaque domicile était équipé d'une station de téléassistance, composée d'un clavier, d'un écran, d'un microphone, d'un haut- parleur, d'un bouton d'appel, d'une caméra pilotée à distance et d'un porte-document. Le tout pouvait être simplement posé sur une table, ou être livré avec un pied à roulettes pour devenir déambulatoire.

« La visioconférence pouvait être initiée à la demande de l'établissement de santé, d'Axa ou même du malade, précise Gilles Conchon. Les médecins de nos services restaient joignables vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de manière à pouvoir répondre à des situations de crise. Quand un patient appelait, nous avions la possibilité d'envoyer à son domicile un médecin, une ambulance privée ou encore le Samu. Mais cette procédure d'urgence n'a pas été déclenchée une seule fois durant toute l'opération. »

Sur le terrain, malgré des difficultés lors de la mise en place, les échos semblent positifs. « C'est une manière de soigner autrement, qui a apporté quelque chose à tous, patients comme soignants, estime Martine Bertholon (3), directrice des soins à la Clinique nouvelle du Forez de Montbrison (Loire), également intervenante à celle du Parc de Saint-Priest-en-Jarez - ces deux structures privées font partie de la Compagnie stéphanoise de santé. Nous avions souhaité prendre part à ce programme européen afin d'épauler notre demande de création de quatre-vingts lits en hospitalisation à domicile. »

problèmes techniques

Martine Bertholon a commencé par recruter des patients cancéreux en suites opératoires immédiates. « Sur dix contacts, trois ont accepté. Les autres familles ne voulaient pas jouer aux cobayes, craignaient de ne pas savoir se servir de l'équipement ou prétendaient ne pas savoir où l'installer chez eux. Certains refusaient aussi la présence d'Axa comme intermédiaire supplémentaire. En cours d'expérience, j'ai également été confrontée à des problèmes techniques : à certains endroits, France Télécom n'a pas pu installer de ligne ADSL et ailleurs, ça a parfois été long à se mettre en place. » À son avis, il faudrait donc, à l'avenir, que l'opérateur téléphonique puisse faire preuve d'une réactivité plus grande, en particulier si le but visé est de mieux réguler les flux de sortie des hôpitaux...

photos de bonne qualité

De retour à domicile, les malades continuaient à bénéficier de leurs soins habituels de la part de leur médecin généraliste et des infirmières libérales. « Par exemple, le premier patient, atteint d'une carcinose péritonéale, avait besoin d'une perfusion à domicile trois fois par jour. Il fallait aussi assurer des changements réguliers de pansement à une femme qui venait d'être opérée pour un cancer du sein. Les infirmières libérales ont accepté sans difficulté la présence de la station de téléassistance. Elles étaient même impressionnées par cet appui technologique. »

Martine Bertholon s'est d'abord rendue au domicile de ses patients pour s'assurer de la bonne mise en place de l'équipement. Elle y est ensuite retournée environ une fois par semaine et s'est servie de la visiophonie pour communiquer régulièrement avec eux. « J'ai donc effectivement trouvé que ce système permettait de limiter les déplacements de l'équipe médicale. Même si des problèmes de liaison sont parfois survenus... En revanche, quand le système marchait bien, le contact établi entre le soignant et le malade était fort : on voit bien les attitudes de chacun... J'ai pu lire des résultats d'analyse que le patient plaçait sur son porte-document. J'ai également réalisé des photographies d'une bonne qualité : en faisant une macro sur une main, j'ai par exemple très bien vu l'état d'un pansement, à distance. Les familles et les patients étaient très rassurés par ce dispositif. Quand on leur a retiré l'équipement, ils s'en sont séparés très difficilement, en ayant même le sentiment d'être abandonnés. »

encore quelques efforts

L'expérience a aussi réservé quelques surprises : quand un patient atteint par un cancer des cordes vocales a été victime d'une détresse respiratoire, son épouse a alors contacté directement le Samu... sans passer par Axa ! On pourrait donc conclure qu'il s'agit d'une perspective intéressante mais qui, de par sa complexité, ouvre sans doute la voie à d'autres études...

1- En 2004, la Commission européenne avait lancé un appel d'offre pour mener à bien un projet de maintien médicalisé à domicile, intitulé MCC (Medical Care Continuity), afin « d'en juger la faisabilité dans un cadre industriel ».

2- UMTS : système de téléphonie mobile dit de « 3e génération ». ADSL : liaison couplant l'Internet à haut débit et le téléphone.

3- Martine Bertholon est joignable par mél à l'adresse infgen@clinique-du-forez.fr.

témoignage

« Une aide à la décision »

Au CHU de Grenoble, six patients cancéreux ont pris part à une expérience de téléassistance. « Les malades en chimiothérapie sont habituellement suivis, le temps de la cure, en hospitalisation à domicile (HAD), explique le docteur Lydie Nicolas, praticien hospitalier, médecin coordinateur HAD du CHU de Grenoble. En revanche, très majoritairement, la surveillance intercure est uniquement assurée par le médecin généraliste. De fait, la visiophonie nous a permis de mieux rester en contact avec les patients, de leur transmettre des rendez-vous et des résultats d'examens biologiques. Nous avons pu les conseiller de façon plus performante en visualisant par exemple un hématome, un Porth-a-Cath®, un pansement...».

La perception que procure un zoom de caméra est-elle suffisante ? « Certains symptômes exigent une palpation, un toucher, qui sont nécessaires pour prendre une décision, répond le médecin. À distance, nous avons également réalisé des évaluations de douleur et nous avons assuré la surveillance pendant une perfusion. Il conviendrait plutôt de parler d'une aide à la décision que d'une consultation médicale. »

« Au final, poursuit Lydie Nicolas, aucun patient n'a demandé qu'on enlève l'appareil de visiophonie en cours d'étude. Leur entourage familial était à la fois curieux et rassuré par cette nouvelle forme de liaison. Tous les malades ont été satisfaits de pouvoir communiquer avec l'HAD pendant l'intercure, mais ce faible échantillon de patients n'est pas suffisant pour émettre des conclusions définitives. »