Le soin dans la peau - L'Infirmière Magazine n° 234 du 01/01/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 234 du 01/01/2008

 

Marie-France Ruault

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Infirmière auprès de grands brûlés dans un centre de rééducation, Marie-France Ruault s'est formée en esthétique et propose aux patients maquillage et soins de corps, pour les aider à se réconcilier avec leur image.

Un doux regard bleu azur. Noyé dans un visage mangé par les cicatrices rouge sang. Impassible, presque paisible, Carole a les yeux rivés sur le miroir. Elle fait face à son image, aux stigmates indélébiles de sa souffrance. « C'est fait, je ne peux plus revenir en arrière. Alors... » Il y a quelques mois, cette jeune mère de trois enfants a tenté de s'immoler par le feu. Avec pudeur mais sans fard, elle dit son geste désespéré. Mais tait son mal-être. Pour ses enfants, elle veut réapprendre à vivre.

éphémère et précieux

Après des mois de soins au centre de médecine physique et de réadaptation de La Tour de Gassies à Bruges, près de Bordeaux, Carole est de retour chez elle. Mais elle revient régulièrement : visites de suivi, réajustement de son masque de contention, programmation de la prochaine opération de chirurgie réparatrice... Instants privilégiés dans ce long cheminement : « Les soins-maquillage de Marie-France. C'est un moment pour accepter de prendre soin de soi. Où l'on peut discuter aussi, librement », souffle-t-elle. Marie-France a un regard délicat vers la jeune femme. Pour elle aussi, infirmière, ces séances de maquillage et de soins de peau sont un plaisir. L'occasion d'offrir aux patients un soin original, « éphémère, peut-être, mais précieux car il peut aider à reconquérir estime et confiance en soi ».

Cette idée d'atelier d'esthétique a germé dans l'esprit de Marie-France voilà plus de dix ans. En 1994, La Tour de Gassies se dote d'une unité de quinze lits pour les grands brûlés, intégrée au département Ambret (traumatologie, orthopédie, amputés, rhumatologie et brûlés). Accompagnement de patients, la chair à vif. « En tant que soignants, médecins, habitués à travailler avec eux, nous ne voyions plus toujours ce qu'eux voyaient ; nous arrivions à nous dire "Tiens, que cette cicatrice est belle !". Mais comment un patient pourrait-il la trouver "réussie", sa cicatrice ? »

Face aux pleurs d'une jeune fille, terrifiée par la sortie de structure (« Quand on fait peur, on fait comment ? »), Marie-France cherche un moyen d'aider les patients à affronter leur propre regard, et le regard des autres. Les encourager à « se réhabiter, à réaccepter leur "moi-peau" », explique le Dr Geneviève Goudet-Lunel, chef de service... Rendez-vous est pris avec une esthéticienne pour une patiente. Qui revient en larmes. « Que voulez-vous que je fasse avec ça ? », s'est exclamée la professionnelle de la beauté. Échec.

véritable soin

Marie-France décide de se lancer elle- même dans l'aventure. Un peu par hasard, elle entre en contact avec un maquilleur de mode, Alain Barthélemy, séduit par le projet. Ensemble, ils parviennent à convaincre le laboratoire La Roche-Posay, et créent un atelier de maquillage sur le lieu de cure. Marie-France s'initie au métier, et propose très vite, de façon encore informelle, ces nouveaux soins aux patients de « Gassies ». Puis, soutenue par son encadrement, elle s'inscrit en CAP d'esthétique, axant ses stages sur le milieu hospitalier - cancérologie, dermatologie, psychiatrie... - et obtient son diplôme en 1998. En 2005, un atelier esthétique est officiellement créé dans le service. Marie-France et Carine, une jeune collègue qui s'est elle aussi formée, y officient trois jeudis par mois, essentiellement pour les grands brûlés de l'unité, mais aussi pour d'autres résidents de la structure et des anciens patients.

Être diplômée en esthétique a permis à Marie-France « de pouvoir délivrer un geste réellement professionnel ». Mais ce qu'elle entend offrir aux patients, c'est avant tout un soin. « Si l'on veut comparer, nous avons une coiffeuse à "Gassies" qui dispose d'un petit local à l'espace animation, explique-t-elle. Sa présence est un plus pour les patients, mais n'est pas du domaine du soin. L'atelier esthétique lui, est compris comme l'un des espaces de soin du plateau technique pour les brûlés. Ce que nous y proposons est discuté en réunions d'équipe et intégré au parcours de rééducation. »

Geneviève Goudet confirme. Pour elle, la richesse du travail de Marie-France se fonde sur une combinaison de connaissances techniques (l'esthéticienne maîtrise parfaitement ses produits, l'infirmière connaît la peau de ses patients) et de qualités relationnelles, pour appréhender la souffrance des brûlés. « S'y ajoute, souligne la chef de service, une personnalité éclatante, chaleureuse et attentive à la douleur d'autrui. Elle fait un tabac auprès des patients comme lors des présentations de son travail en congrès ! » Marie-France rougirait peut-être à ces mots. Mais à la voir, sa force de caractère s'impose d'elle-même.

Soigner, elle l'a toujours voulu. Elle évoque, pudique, son enfance avec ses cinq frères et soeurs auprès de parents sourds et muets - maladie génétique pour son père, accident pour sa mère. Un enfance heureuse, mais une attention à la différence et aux souffrances de l'autre présente dès le départ. Un temps, la demoiselle envisage de monter sur les planches. On lui propose de jouer dans Les Enfants du silence avec Emmanuelle Laborit. Mais le soin la rattrape, comme une évidence. Avec, d'emblée, l'envie d'exercer en centre de rééducation, « par goût du contact. Autant pour la richesse du travail d'équipe que pour la relation que l'on peut y tisser avec les malades, accompagnés sur un temps long... jusqu'à partager, un peu, ce qu'ils traversent », souligne-t-elle.

profonds traumatismes

Après vingt ans à « Gassies », l'enthousiasme des premiers temps est toujours là. Encore accru en fait depuis qu'elle s'est investie dans l'esthétique. La joie d'apporter un soin agréable dans un parcours souvent très douloureux, peut-être. Grands brûlés, amputés, traumatisés crâniens... corps à vif, déchirés, diminués, défigurés. Ici, les traumatismes sont profonds. « Alors oui, autant on bassine les malades avec des soins pesants, appareillage, masques de contention, étirements, autant les moments de soin esthétique peuvent se savourer », souligne Geneviève Goudet.

« Il faut savoir laisser chacun venir, à son rythme, explique Marie-France. Accompagner les pleurs face au miroir. Puis faire en sorte que le patient accepte de laisser toucher son visage, et réapprenne à toucher lui-même sa peau blessée lors de séances d'auto- maquillage, qu'il pourra reproduire, seul, à sa sortie. » Le premier pas franchi, la démarche séduit. Soins de peau, épilation, manucure ou maquillage... « C'est mieux que les anxiolytiques ! », s'est un jour exclamée une jeune patiente.

dermographie

Marie-France fait des émules. Disposant d'un statut spécifique, elle prend régulièrement des congés sans solde (elle est alors payée par La Roche-Posay) pour partir former des collègues au maquillage médical. La demande émane des chefs de service de dermatologie des CHU (de Bordeaux, Nantes, Caen, Brest, Boulogne ou Besançon, et bientôt Toulouse et Nancy). Ils assistent eux-mêmes aux temps de formation. Marie-France aimerait se consacrer plus encore à cette pratique, peut-être de façon plus autonome. Gassies pourrait se faire terrain de stage, imagine-t-elle... En attendant, elle s'est formée à une nouvelle technique : la dermographie. Une association de grands brûlés, Roule-roule, créée par un ancien patient de « Gassies », a offert le matériel nécessaire, grâce à l'argent récolté lors d'une course de vélo... Carole et Marie-France discutent, imaginent : dans la foulée de la prochaine intervention chirurgicale de Carole, en avant pour la dermopigmentation ! Carole sourit. Timidement.

moments clés

- 1966 : naissance à Bordeaux.

- 1987 : débute comme aide-soignante au centre de médecine physique et de réadaptation de La Tour de Gassies.

- 1993 : obtient son diplôme d'État (Ifsi de Bordeaux). Infirmière à « Gassies ».

- 1994 : ouverture d'une unité pour les grands brûlés au centre. Marie-France s'y investit... et commence à maquiller les patients. En parallèle, elle anime, avec un maquilleur professionnel, des ateliers à La Roche-Posay.

- 1998 : obtention du CAP d'esthétique.

- 2005 : création officielle d'un atelier d'esthétique à La Tour de Gassies.

- 2006 : diplômée en dermographie.