Tentative de suicide ou acte manqué ? - L'Infirmière Magazine n° 234 du 01/01/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 234 du 01/01/2008

 

Vous

Vécu

S'il est un symptôme qui crée des problèmes relationnels en milieu hospitalier, c'est bien la crise suicidaire. C'est une plaie qui risque de ne pas se refermer, dans un lieu où l'efficacité immédiate est privilégiée, où l'on ne parle plus de patients mais d'usagers, de clients, où l'on raisonne en termes d'obligation de résultats.

secondaire ?

La crise suicidaire est considérée comme un problème secondaire, voire une fatalité, face à d'autres pathologies plus médicales, qui peuvent se guérir définitivement. De plus, la charge de travail, toujours plus importante à l'hôpital, incite davantage à se préoccuper des pathologies rapidement curables, plutôt que d'envisager une prise en charge à très long terme.

Peut-on définir l'urgence de la même façon que le font les somaticiens ? Est-il possible de soigner les pathologies organiques et psychiatriques dans le même espace-temps ? Est-il légitime que l'orientation d'un patient soit faite aux urgences et en urgence, alors qu'il est au paroxysme de sa crise, au détour d'une pathologie qui évolue parfois depuis des années ?

Le patient, à un moment ultime, a souhaité ne plus être acteur de sa vie, ou au contraire la maîtriser en y mettant fin. À cet instant, le passage à l'acte est devenu le seul moyen d'exprimer sa souffrance et de passer d'un état à l'autre : « Je n'avais pas d'autre solution, je n'avais plus d'issue », nous disent-ils.

trop-plein

Entrer en relation avec ces patients peut fragiliser l'être soignant et ébranler certaines prises de position qui constituent le socle de nos pratiques. Comment recevoir en quelques instants cette indicible douleur, profondément subjective ? Du trop-plein, du trop mal, ça déborde, ça crie, ça gesticule, ça pleure, ça dérange, ça nous dérange, ça nous envahit. Et c'est là que chacun d'entre nous, selon son vécu, peut être touché par cette histoire particulière. Il faut pouvoir utiliser ce moment de crise pendant lequel le patient laisse parler ses émotions, avant que les brèches ne se referment.

le soutenir dès le début

La pathologie organique donne naissance à un « corps-objet », prive le patient et l'équipe d'une prise en charge globale où la crise suicidaire est au premier plan. Peut-être pourrions-nous améliorer la qualité de nos soins si ensemble, dès l'arrivée du patient, nous pouvions entendre sa détresse. L'entendre, c'est lui reconnaître son statut d'être souffrant. C'est une souffrance psychique, certes. L'équipe psychiatrique serait là, oui. Mais le soutien du patient dans sa globalité serait constant depuis le début. Cela permettrait aux équipes d'élaborer un temps pour la prise en charge. Un temps nécessaire pour que s'élabore le sens du geste.

L'urgence ne peut régler l'ensemble du problème, mais tout au moins permettre l'amorce d'une prise en charge, au long cours. L'hospitalisation, dans certaines situations, permet de protéger le patient et d'évaluer plus précisément son état psychique. Elle est souvent nécessaire pour qu'il puisse rompre avec son environnement, qui peut être à l'origine de la crise.

La pluridisciplinarité de la prise en charge est un gage de qualité. « Un sujet, aussi gravement perturbé soit-il, n'est pas réductible aux difficultés qu'il montre », observe René Diatkine(1). Sa rencontre avec l'équipe psychiatrique est une facette de l'ensemble de la prise en charge, qui lui permettra de ne pas s'enliser dans la répétition. C'est aussi lui permettre de prendre conscience de lui-même. À nous tous de transformer un acte manqué, qui n'arrive ni par hasard ni par fatalité, en un acte singulier et vrai.

1- Pourquoi on m'a né ?, de René Diatkine et Claude Avram, Calmann-Lévy, 1995.