Des clics d'avance pour les infirmières belges - L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008

 

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Horizons

Chez nos voisines, l'activité infirmière contribue au financement des hôpitaux comme des cliniques. Cela explique probablement que le Plat Pays ait mis sur les rails l'informatisation du dossier de soins. Exemple à Tournai.

«L'infirmière belge est une infirmière heureuse. » Stéphane Allard, cadre en soins de santé au Réseau hospitalier de médecine sociale (RHMS) de Tournai (Belgique), présente avec humour la situation du dossier infirmier dans son pays.

Depuis 1987, les établissements doivent transmettre des données d'activité informatisées au ministère en charge de la santé : cela a accéléré l'arrivée de l'informatique dans les services. Le Résumé infirmier minimum (RIM), devenu DI-RHM (Données infirmières du Résumé hospitalier minimum) fait partie de ces données : il compile des « items » (une vingtaine au départ, plus de 80 aujourd'hui) qui reflètent les actes infirmiers réalisés au sein des services. Une saisie à vocation statistique et scientifique, mais aussi financière, puisque la synthèse de ces données influe sur le niveau de financement des établissements.

cahier des charges

Un arrêté royal du 28 décembre 2006 définit l'ossature du dossier infirmier qui, combiné au dossier médical, constitue le dossier du patient. Certains de ses éléments relèvent de la responsabilité des infirmières comme l'anamnèse infirmière (habitudes de vie du patient, état et évolution de sa santé, de ses besoins, etc.), le plan de soins « décrivant le jugement clinique de l'infirmière » et la programmation des soins qui en découle. Les infirmières doivent y apporter des notes d'observations et d'évaluation des résultats obtenus, ainsi que la copie du rapport infirmier de sortie. C'est un véritable cahier des charges.

L'augmentation importante, depuis septembre, du nombre d'« items » infirmiers à renseigner (dont l'influence sur le financement des hôpitaux peut s'élever à 5 %), pose de façon plus aiguë encore la question de la saisie des données. D'autant que les infirmières sont mobiles et pas toujours familières de l'informatique, souligne Joseph Bellon, président de l'association belge Soins infirmiers et informatique (Sixi) et directeur du département d'informatique à la clinique Notre-Dame-de-Grâce à Gosselies.

Selon Stéphane Allard, aussi coordinateur RIM du Réseau hospitalier de médecine sociale de Tournai, la saisie manuelle des données infirmières est terriblement chronophage et source d'erreurs : d'après les audits, remarque-t-il, 28 % des valeurs sont manquantes et 12 % sont erronées...

tableau interactif

« Le dossier infirmier a longtemps été le parent pauvre de l'informatisation car il avait peu de répercussions sur l'investissement direct », souligne-t-il. L'informatisation a d'abord porté sur la gestion administrative des patients, pour des raisons de facturation, puis sur la gestion des laboratoires et de la pharmacie, puis sur les activités médicales, avant d'atteindre les soins infirmiers.

Les changements survenus dans les données à transmettre au ministère ont placé l'établissement, comme tous les autres, devant cette alternative : soit il fallait repenser le dossier infirmier papier, soit il fallait passer à l'informatique, inévitable à plus ou moins long terme. C'est le choix qui a été fait à Tournai, où le département infirmier a participé, avec une société informatique, à l'élaboration du système, et commencé à l'expérimenter depuis début septembre.

Le dossier de soins testé à Tournai, comme dans d'autres établissements belges, se présente sous la forme d'un tableau interactif de gestion des patients par unité de soins présentant leur identité, leur date d'entrée, le motif de leur admission, leur numéro de chambre mais aussi les actions qui leur ont été prescrites (radio, labo, ECBU, etc.) et leur statut (à faire, fait, résultats validés et évalués) ainsi que les prescriptions médicamenteuses, les actes infirmiers et les surveillances les concernant. Pour chaque patient, les infirmières saisissent, dès l'admission, une anamnèse reposant sur les 14 besoins fondamentaux de Virginia Henderson (respirer, éliminer, se mouvoir, etc.). La saisie passe, à toutes les étapes du dossier, par une série de menus déroulants ou de choix à cocher.

Ces informations débouchent sur la proposition automatique, par déduction, d'un diagnostic infirmier. Ce dernier génère lui même une proposition d'interventions (qui regroupent une série d'actions organisées en plan de soins). Par exemple, si, pour la fonction « respirer », des anomalies sont notées, comme un dégagement inefficace des voies respiratoires, les interventions proposées, sous formes de choix à cocher (à faire, à ne pas faire, en cours) peuvent être : « oxygénothérapie », « soins des voies respiratoires », « stimulation de la toux » ou encore « amélioration de la ventilation », « aspiration des sécrétions des voies respiratoires », « diminution de l'anxiété », etc.

plan de soins détaillé

Dans tous les cas, l'infirmière choisit le diagnostic infirmier qu'elle juge adapté à la situation. Elle peut modifier les interventions proposées et les actions qui en découlent. Un plan de soins très détaillé peut alors être édité pour chaque patient : « changer masque », « informer patient sur oxygène à domicile » et sur l'oxygénothérapie (idem pour la famille), « suivre respiration », « surveiller débit oxygène »...

Il est possible de visualiser les traitements en cours pour chaque personne hospitalisée et l'évolution de ses constantes. Sont également répertoriées les actions prévues (pose d'un pansement, d'un cathéter, surveillance d'une plaie...) avec leurs horaires et leur site, modélisé sur un mannequin virtuel. Les infirmières peuvent consulter un plan de soin du service ou encore la situation géographique de chaque patient dans l'unité, mesurer la charge de soins à venir... « Un code est associé à chaque action et si une action répond aux critères du RIM, elle est automatiquement "scorée" et prête à être transmise comme il se doit au ministère », explique Stéphane Allard.

bientôt étendu

Il est encore trop tôt pour que le RHMS de Tournai dresse un premier bilan des conséquences financières de la mise en place de ce dossier. En effet, il n'a commencé à être mis en place qu'en septembre dans les unités de médecine, chirurgie et gériatrie. Dans un deuxième temps, il sera étendu aux services de pédiatrie, maternité, soins intensifs puis à l'hôpital de jour, à la « revalidation » (réadaptation) et aux urgences.

« Les premières fois, les infirmières passent un peu plus de temps sur le dossier informatisé mais elles s'habituent très vite, constate le cadre de soins de santé tournaisien. Elles apprécient de ne pas avoir à recopier des listes de médicaments ou d'actions ni à refaire des feuilles par semaine. Certaines même semblent prendre plaisir à remplir ce nouveau dossier. » Pendant ce temps, les éditeurs de logiciels et les établissements planchent. Une enveloppe de 50 euros par an et par lit d'aide publique est prévue pour « aider » au déploiement du dossier infirmier informatisé.

1- 750 lits sur cinq sites.

expériences

Un jour en France ?

Josette Hart, ex-cadre de santé et formatrice consultante, est un des infatigables défenseurs, en France, d'un dossier de soins informatisé et formalisé, qui n'existe pas officiellement.

La dimension infirmière, comme médicale, du DMP ne fait l'objet d'aucun cahier des charges officiel, regrette-t-elle. Établissements et éditeurs planchent dans le désordre sur des projets divers : « Parfois, deux expérimentations sont menées dans le même CHU ! », déplore Josette Hart, qui intervient notamment au sein de l'association Formatic Santé.

Elle milite pour la constitution d'un groupe de travail « représentatif de l'expertise soignante » et qui plancherait sur un cahier des charges. Une demande qu'elle a pu faire valoir, mi-octobre, auprès de la Dhos, qui doit solliciter le GMSIH (1) pour solliciter une « mutualisation » des travaux sur le dossier de soins et le dossier médical.

Une des causes du retard dans l'informatisation du dossier de soin en France réside probablement dans le fait que, contrairement à ce qui se passe en Belgique, l'activité soignante n'est pas codée et n'est pas prise en compte par la T2A. Un des objectifs de Josette Hart et d'autres serait de pouvoir l'identifier et la sortir de l'ombre afin d'en évaluer et reconnaître la valeur.

1- Groupement de modernisation des systèmes d'information hospitaliers.

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