L'hôpital à la carte - L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008

 

psychiatrie

24 heures avec

Avec souplesse, le Ciapa accueille des adolescents en souffrance et leur propose des soins personnalisés, sans les figer dans leur pathologie.

Un immeuble clair au nord de Paris, un grand hall lumineux, des tables, des plantes, une baie vitrée ouvrant sur une terrasse... Des ados, des familles venues les visiter, des soignants se croisent, mais on ne voit pas une blouse blanche. Il est 9 heures dans le bureau d'accueil. Souriant et disponible, Éric Novosad, éducateur, et l'une des infirmières répondent aux appels et reçoivent les arrivants. Nous sommes au Ciapa (1), le Centre interhospitalier d'accueil permanent pour adolescents, qui dépend des hôpitaux Perray-Vaucluse et Maison-Blanche. Le centre combine accueil de jour, consultations et hospitalisations pour des jeunes de 15 à 25 ans.

Fresques colorées

L'équipe, composée de dix-huit infirmières, deux psychiatres, trois éducateurs, deux assistantes sociales et deux psychologues, se partage entre l'accueil et l'hospitalisation (le service compte dix lits). L'architecture et l'ouverture du lieu facilitent un accès rapide aux soins. Et sans doute les grandes fresques colorées ornant les murs sont-elles moins anxiogènes que les couloirs d'un hôpital classique.

L'entretien d'accueil est dispensé ce matin-là par Éric à Mona (2), 16 ans. Orientée au Ciapa par un centre médico-psychologique du secteur, elle s'inflige des scarifications et souffre de troubles du comportement alimentaire. Mal-être, dépression, conduites addictives... « la plupart de nos adolescents cumulent différents symptômes, détaille Khadidja Bensoukehal, infirmière. Grâce à notre palette de soins, allant de la consultation à l'hospitalisation, chaque prise en charge est modulable et construite avec l'adolescent, qui est au centre du système. » La souplesse est le maître-mot : « Le jeune peut venir une nuit, une soirée, un repas... », poursuivent Nacer Lesnaf et Nicole Novion, tous deux assistants sociaux. « On proposera des temps thérapeutiques sur le groupe durant le week-end (repas, activité, sortie...) à un jeune suivi en centre médico-psychologique. Les CMP sont fermés les samedis et dimanches, mais contrairement à nous, ils mènent des psychothérapies au long cours. On travaille en complément d'autres structures. C'est notre originalité. »

L'hospitalisation n'est pas proposée en priorité. L'objectif est de maintenir les ados dans leur milieu et de ne la programmer que s'ils vont vraiment mal, précise Céline Bonnet, infirmière. « On peut dire à nos patients, en entretien d'accueil ou en consultation, que s'ils ne vont pas bien, on peut leur proposer une hospitalisation suivie de séquentiels », c'est-à-dire des allers-retours entre l'hôpital et la maison. Les jeunes peuvent retrouver des repères dans leur famille et dans leur scolarité grâce à des emplois du temps aménagés. « On observe souvent, poursuit Céline, une phase régressive en début d'hospitalisation. Les jeunes se confrontent à l'ennui, se questionnent. Nous pouvons alors mettre en place des séquentiels qui vont correspondre à leurs besoins. » Mieux connaître les patients permet de travailler l'adhésion aux soins. « Tout est toujours possible, parce que nous considérons les crises comme des passages. À nous de ne pas stigmatiser l'ado dans une pathologie, pour qu'il s'en dégage plus facilement. » En dehors du règlement qui s'applique à tous, le médecin donne à chaque patient ses consignes. « Nous sommes un service ouvert, de prise en charge généraliste, qui n'accueille pas de jeunes en phase aiguë de crise, note Chantal Thévenet, cadre de santé. Les ados circulent, peuvent sortir, s'acheter un paquet de gâteaux... »

Encouragements

Après l'entretien d'accueil avec Mona, Éric la guide dans son parcours : « Nous élaborons un projet de soin personnalisé avec elle. Selon son histoire, sa problématique et son insertion sociale, la formule est décidée en accord avec la famille, l'entourage, et surtout avec le jeune que l'on essaie de rendre acteur de sa prise en charge. »

À l'étage supérieur, les ados hospitalisés ont commencé leur journée quelques heures plus tôt. Petit matin de décembre, les jeunes grognent et se traînent jusqu'à la table du petit déjeuner. Suzanne Arioli, infirmière, fait le tour des chambres pour réveiller les retardataires. « Nous passons beaucoup de temps à assister, encourager, solliciter les jeunes, souligne-t-elle. Lorsqu'un ado ne se lave pas, lorsqu'il ne mange pas, lorsqu'il a un moment de solitude en début de soirée parce qu'il est loin de chez lui, lorsqu'il s'oppose à ses pairs violemment... nous le motivons, dans les gestes du quotidien, aux confins du soin et de l'éducatif. Nous touchons à des domaines très perturbés chez ces ados et ce travail, un peu ingrat, demande du temps et de l'énergie... »

Lorsque les jeunes partent en cours (ils sont tous scolarisés à l'extérieur), toute l'équipe se retrouve à la réunion de synthèse, en milieu de matinée. On passe en revue les personnes reçues, on fait un point institutionnel, et l'on réfléchit à la clinique des jeunes hospitalisés : ce matin-là, on discute de la sortie prochaine de Clara, une jeune fille autiste hospitalisée ici depuis trois ans, mais pour laquelle trouver une structure d'accueil n'a pas été simple. Éric annonce la venue, dans l'après-midi, de Frédéric, un adolescent de 15 ans hospitalisé au Ciapa voici quelques mois après avoir traversé des épisodes suicidaires.

Disponibles

Frédéric se joint au groupe pour une séance piscine ; l'occasion de maintenir le lien avec un éducateur avec lequel il se sent en confiance. Présent depuis l'ouverture du Ciapa en 2000, Éric trouve l'organisation du lieu bien adaptée aux difficultés des adolescents : « Parfois, les jeunes hospitalisés ici sur un temps court reviennent à différentes occasions vérifier si on est toujours là et disponibles pour eux... On les accompagne sur le temps de l'adolescence, à des moments où ils vont mal. Nous sommes "là", disponibles, ce qui est déjà essentiel, car ils ont besoin d'être rassurés, sécurisés... Nous menons un vrai travail de prévention. »

La seconde partie de l'après-midi est dédiée aux ateliers thérapeutiques. Collages, groupes de parole, relaxinésie, cuisine... ces médiations encadrées par les infirmières, les éducateurs et les travailleurs sociaux (très mobiles et impliqués dans les activités proposées aux jeunes) réunissent des patients hospitalisés et des ados qui viennent en accueil de jour. Ces ateliers font partie intégrante du soin. Les jeunes hospitalisés y participent selon leur disponibilité.

Sur un mode décontracté, loin de la rigueur scolaire, l'atelier d'écriture est animé par deux infirmières. Les mots sont une ouverture vers l'imaginaire et le partage de l'intime : « On travaille sur l'estime de soi. Les échanges sont positifs car les jeunes s'encouragent mutuellement, raconte Hélène Jestin, infirmière. Par contre, dans un second temps, nous retravaillons les aspects plus négatifs qui peuvent ressortir de ces séances. Nous proposons aussi, parfois, des séances individuelles. À partir d'un entretien infirmier, nous travaillons sur quelques pistes. L'écriture peut aider à préparer un entretien avec un médecin. Pour certains patients inhibés, elle libère la parole et les émotions. Cela peut également aboutir à un projet personnel, que je mets en lien avec le projet social. » Une partie des écrits est reprise dans les colonnes du Petit Ciapardeur, le journal mensuel du centre, sorte d'atelier collectif où les jeunes s'expriment avec humour et affection sur la structure qui les accueille.

Lieu ressource

« Les départs et les retrouvailles entre l'hôpital et l'extérieur permettent de prendre conscience du lien, souvent mis en question à l'adolescence », observe Annie Stambouli, psychologue. Travailler sur les repères est un objectif constant de l'équipe : « Au départ, tout est à construire, remarquent Khadidja Bensoukehal et Noëlle Piller, IDE. Mais lorsqu'il s'agit de partir, on s'aperçoit qu'ils ont du mal à nous quitter... C'est un lieu pour reprendre pied, mais où l'on ne s'installe pas. » Lorsque l'adolescent n'a plus sa place au Ciapa, on se tourne vers d'autres structures. Accompagner sa sortie n'est pas toujours simple, car même si le relais vers le réseau fonctionne, les places dans les structures manquent. « Travailler le lien, dans ces instants, note Noëlle, c'est aussi accompagner la famille. Il s'agit par exemple d'aider les parents à accepter un placement en famille d'accueil ou dans un foyer. Parfois, les parents doivent accepter le fait que la pathologie de leur enfant évolue, ou constater que la vie ensemble n'est plus possible... et c'est très douloureux. »

1- Ciapa, 56, rue du Simplon, 75018 Paris.

Tél. : 01 53 09 27 90.

2- Les prénoms des adolescents ont été changés.