« La bouche fait partie du corps ! » - L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008

 

Santé bucco-dentaire

Questions à

En l'absence d'un programme national dédié aux pathologies bucco-dentaires, le Dr Cohen insiste sur l'importance de la prévention, et plaide pour renforcer le rôle des infirmières en ce domaine.

Quel est l'objectif de la Société française des acteurs de la santé publique bucco-dentaire ?

Notre but est d'oeuvrer à une meilleure présence de la santé bucco-dentaire dans le champ de la santé publique et de faire en sorte que les acteurs de prévention se multiplient. Et que dans leur pratique, ils ne découpent pas le patient en rondelles, mais intègrent la prévention dans une approche globale. Trop souvent, on s'occupe du corps et pas de la bouche ! Jusqu'à il y a trois ans, il n'y avait pas de chirurgien-dentiste à la Direction générale de la santé. C'est tout dire. Il n'y en a toujours pas au sein des Ddass et des Drass (1), ni dans les PMI. Pas plus qu'il n'existe de dentistes scolaires et du travail...

D'autre part, à la différence d'autres structures qui travaillent dans le domaine de la prévention dentaire, notre association (adhérente de la Société française de santé publique) rassemble d'autres professionnels de santé, notamment des infirmières et des infirmières scolaires.

En novembre 2008, nous organiserons la 7e Journée de santé publique dentaire qui réunira des soignants de tous horizons et toutes spécialités, des enseignants, des usagers et des élus locaux. Lors de cette rencontre, nous aborderons, entre autres sujets, les inégalités de santé. Il faut souligner que le renoncement aux soins se traduit souvent, en premier lieu, par le sacrifice des soins dentaires.

De quelle façon la santé bucco-dentaire s'est-elle installée dans le champ de la prévention ?

Jusqu'à une époque récente, la santé bucco-dentaire était, pour l'essentiel, cantonnée aux soins curatifs. Il y avait une sorte de fatalité de la carie. Dans ce contexte, le chirurgien-dentiste était le spécialiste de la remise en état de la bouche. Puis, avec l'émergence de l'orthodontie, la santé bucco-dentaire a peu à peu évolué. Dans les années 1970, à l'instar de ce qui se pratiquait dans les pays nordiques et aux États-Unis, quelques dentistes ont avancé l'idée qu'il fallait peut-être commencer à aborder cette discipline sous l'angle de la prévention. Les premières actions ont été menées par des professionnels bénévoles.

Et dans le domaine de la santé publique ?

Un fait marquant a été la création, en 1982, par le conseil général de la Seine-Saint-Denis, d'une mission bucco-dentaire qui associait des acteurs diversifiés et qui visait les enfants de zéro à six ans. Cinq ans après, la première évaluation a montré que les bénéfices étaient remarquables. En 1991, le Val-de-Marne a suivi ce chemin et créé son service de santé publique dentaire. En quelques années, cela a donné des résultats tout aussi significatifs. Aujourd'hui, 82 % des enfants de 6 ans sont indemnes de caries dans notre département. Même si des inégalités persistent.

L'école est-elle un lieu privilégié pour faire de la prévention ?

Assurément. Mais cette prévention peut même démarrer dès la maternité. Il faut que les jeunes parents soient informés, puisque la carie est en partie une infection transmissible de la mère à l'enfant et du père à l'enfant. Nos études montrent que la période la plus propice à la prévention se situe entre la naissance et l'âge de 6 ans. Statistiquement, lorsqu'un enfant a des caries sur des dents de lait, il est fort probable qu'il en ait sur ses dents définitives. En revanche, s'il en est exempt, les risques diminuent.

Dans ce contexte, toutes les structures qui accueillent des enfants sont potentiellement des lieux de prévention... à condition que les professionnels soient sensibilisés et formés à cette démarche. C'est le cas pour l'école. L'apprentissage du brossage peut se faire dès la maternelle et le dépistage se poursuivre tout au long de la scolarité.

Quelle part peuvent prendre les infirmières dans la prévention ?

Leur rôle est majeur. À mon sens, du fait de leur formation et de leurs compétences, les infirmières devraient pouvoir se voir confier des missions de prévention dans le cadre d'une délégation de tâches. Je pense également qu'elles peuvent intervenir en bouche, pas pour faire des actes, mais déjà pour effectuer un premier bilan.

Aujourd'hui, au mieux, on leur demande de s'occuper de l'hygiène bucco-dentaire. Il faut aller plus loin. Je suis partisan de l'intégration d'un module de santé bucco-dentaire dans leur formation initiale, et de l'élargissement du décret de compétence infirmier à ce domaine.

1- Ddass et Drass : directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales.

Fabien Cohen Chirurgien-dentiste

Secrétaire général de la Société française des acteurs de la santé publique bucco-dentaire (ASPBD), Fabien Cohen est aussi coordinateur du service de santé publique dentaire du conseil général du Val-de-Marne et chef de service du centre municipal de santé de la ville d'Ivry-sur-Seine (94).