Les petits font le bilan - L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008

 

enfance

Enquête

Comme les adultes, les enfants en bas âge ont droit à des examens périodiques. À Paris, le centre Amelot en accueille des milliers chaque année, mais reste quasiment la seule structure spécialisée dans ce dispositif en France.

Des cris, des pleurs, des rires... pas facile de faire patienter une trentaine de bambins dans une salle d'attente. Même si elle recèle des coffres à trésors dans lesquels s'amassent livres et jouets et que le personnel fait tout son possible pour fluidifier le timing entre les consultations. Chaque année, quelque 11 000 enfants âgés de 12 mois à 4 ans et demi défilent, avec leurs parents, au Département des examens périodiques de santé de l'enfant (Depse), aussi appelé le centre Amelot (1), à quelques pas du Cirque d'hiver.

Dans le registre circassien, les gamins n'ont d'ailleurs rien à envier aux Bouglione. On repère d'emblée les clowns qui amusent la galerie, les jongleurs qui font virevolter tout ce qui leur tombe sous la main et les acrobates qui enfourchent chaises et tables basses. Sans oublier les « chanteurs » qui s'époumonent à lancer des contre-ut qui vous perforent les tympans sans pitié et... sans anesthésie. Bref, le spectacle est dans la salle et tout ce petit monde semble péter la forme ! C'est d'ailleurs pour s'en assurer qu'ils sont là aujourd'hui. Au programme : prélèvements sanguins, entretien de prévention infirmier et dépistage en série sous la houlette d'une kyrielle de médecins spécialistes et de psychologues.

Comme les grands

Comme leurs parents, en effet, qui peuvent bénéficier d'un examen de santé tous les cinq ans, à condition qu'ils soient affiliés au régime général de la Sécurité sociale, les jeunes enfants ont droit à un bilan de santé entre 12 et 18 mois et entre 3 ans et demi et 4 ans et demi. Ces deux périodes sont considérées comme essentielles dans le développement cognitif et psychomoteur chez l'enfant et, par conséquent, propices aux actions de dépistage d'anomalies ou de pathologies chroniques.

De surcroît, les parents semblent très réceptifs aux messages de prévention et d'éducation à la santé à ces étapes de la vie de leur enfant. Ils sont avides de réponses aux nombreuses questions qu'ils se posent. Créé il y a une trentaine d'années, ce dispositif est censé s'articuler avec le réseau de protection maternelle infantile (PMI) et la médecine scolaire. Dans la forme, c'est plus compliqué, car s'il existe une centaine de centres pour « les grands », le Depse de la Caisse primaire d'assurance-maladie de Paris (CPAM) reste pratiquement unique en son genre (2). Toutefois, bien que son bassin naturel de recrutement ne couvre que l'Île-de-France, d'où qu'elle vienne, une famille sera toujours reçue.

Bonne démarche

Chaque jour, une soixantaine de familles sont convoquées au Depse - en moyenne trente par demi-journée puisque le bilan s'étale sur près de quatre heures. Ce n'est pas une injonction faite par la CPAM. Les parents ont le choix de ne pas répondre à son invite. C'est d'ailleurs à eux de prendre rendez-vous auprès du centre Amelot s'ils souhaitent que leur enfant profite du bilan de santé. « Le public touché est très large. Il va de familles qui pour, diverses raisons, n'ont pas de suivi médical à d'autres qui sont surinformées, en passant par celles qui craignent de se voir supprimer les allocations familiales si elles ne se présentent pas. Bref, tous les cas de figure existent. Mais les parents, dans leur grande majorité, estiment surtout que la démarche est tout simplement bonne ! », déclare Christophe Foucault, médecin-chef du Depse. La structure emploie l'équivalent de 70 temps plein, dont une équipe d'une dizaine d'infirmières et d'infirmières puéricultrices.

L'âge pour seul critère

« Conformément aux recommandations préconisées par les instances de santé publique, note le Dr Foucault, nous souhaiterions particulièrement cibler les enfants en situation de précarité, mais aujourd'hui nous n'avons pas le moyen de les distinguer des autres. Notre seul critère d'accueil est l'âge. » Les 12-18 mois représentent 40 % de la file active, les plus grands 60 %. Dans le cadre de collaborations avec des hôpitaux parisiens, le Depse participe régulièrement, après accord des familles, à la collecte de données anonymes pour alimenter des études épidémiologiques

Beaucoup de doigté

Le rituel est immuable. Les infirmières sont les premières à prendre en charge l'enfant et sa famille. L'entrée en matière n'est pas toujours évidente puisque, après les présentations d'usage, un aperçu du déroulement du bilan et quelques vérifications administratives et vaccinales, il s'agit pour le soignant de pratiquer un prélèvement sanguin. « À ce stade, certains parents sont au bord de l'évanouissement », plaisante Thierry Valentin, qui accueille une fillette de 16 mois dans un cabinet d'une douzaine de mètres carrés, lumineux et bien pourvu en mobilier. Ici, chaque infirmière à son propre box de consultation. En très peu de temps, la prise de sang est effectuée. La fillette n'a pas cillé, mais verse quelques larmes lorsque Thierry lui colle un pansement... « Prélever un jeune enfant n'est pas simple. J'ai mis plusieurs semaines à me sentir parfaitement à l'aise avec ça. D'autant qu'à l'Ifsi on nous apprend à piquer là où l'on voit, alors qu'ici c'est d'abord là où l'on sent. Et parfois, c'est juste un mince filet de veine qu'il faut repérer du bout du doigt », explique Thierry. Les infirmières ne portent d'ailleurs pas de gants, au grand dam des tenants du respect des bonnes pratiques.

De plus, aucun anesthésique local ne peut être utilisé, puisque les enfants sont tous appelés à la même heure, 8 h 30 ou 13 h 30. Or, pour être efficace, un dispositif de ce type doit être posé sur la zone à piquer 30 à 45 minutes avant l'acte. Les infirmières utilisent donc des aiguilles intracrâniennes. Pour les enfants, la sensation est celle d'une piqûre de moustique. « En fait, ce qui les gêne le plus, c'est d'être maintenus pendant le prélèvement. Mais on compense ce moment de stress en expliquant tous nos gestes, étape par étape. Et, surtout, on n'empêche pas les enfants de regarder », souligne Éva Étienne, infirmière.

À la numération de formule sanguine est associé un dosage de la ferritine (remplacé par le cholestérol chez les enfants de 3 ans et demi à 4 ans et demi) et dans certains cas une recherche d'intoxication par le plomb. Pour les familles vivant dans un logement construit avant 1948, année de l'interdiction de l'emploi de la céruse, la recherche de la plombémie est systématisée. En 2006, le Depse a déclaré - à lui seul - 25 % des contaminations découvertes sur les quelque 100 cas répertoriés à Paris. Un palmarès inquiétant puisque sa file active est issue du « tout-venant » (3).

Parcours santé

« Dans le cadre de notre mission de santé publique, notre rôle premier est le dépistage et l'éducation à la santé, estime le Dr Foucault. Par conséquent, nous n'assurons aucune prise en charge médicale ni aucun suivi de l'enfant. Une synthèse est rédigée dans les jours qui suivent le bilan. Si la famille a un médecin référent, un exemplaire lui est envoyé avec l'accord des parents. Dans les faits, si une anomalie est détectée au cours de la journée ou via l'analyse sanguine, nous demandons aux parents de consulter un généraliste ou un spécialiste. Si nous n'avons pas de nouvelles, nous adressons un courrier aux familles. Elles répondent neuf fois sur dix. Un taux énorme. »

Après un premier contact avec les infirmières, enfants et parents sont répartis dans les étages du centre où ils vont rencontrer, sans ordre précis, pédiatre, oto-rhino, ophtalmologiste et psychologue. Les enfants de 3 ans et demi à 4 ans et demi voient aussi un dentiste. Tous passent un examen d'audiométrie. Au cours de l'après-midi, un entretien infirmier centré sur la prévention est programmé, si possible avec les enfants que chacun a accueillis. Ce temps se déroule, dans la pratique, avant que l'enfant ne soit reçu par un pédiatre. Ce sont les infirmières qui procèdent aux relevés biométriques, calculent l'indice de masse corporelle et tracent les courbes de poids et de taille et font le point sur les antécédents médicaux. L'entretien infirmier porte principalement sur le sommeil et l'alimentation, mais d'autres sujets peuvent être abordés soit par le soignant, soit par les parents.

« Le travail d'observation est très important, indique Nathalie Famery, infirmière puéricultrice. Un jeune enfant qui fuit le regard ou chez qui l'on perçoit une difficulté de socialisation ou qui présente, plus concrètement, des troubles du sommeil fait l'objet d'une attention plus poussée. Et l'on prend toujours le temps de transmettre l'information au psychologue. » Selon les jours, une infirmière voit entre cinq et sept enfants durant son service.

« La richesse de notre approche se fonde sur une prise en charge pluridisciplinaire. L'enfant n'est pas saucissonné. Et si les examens sont très protocolisés, les échanges au sein de l'équipe se font au fil de l'eau. L'essentiel est que l'information circule. S'agissant des familles, nous avons une réelle bienveillance à leur égard et grâce à l'éducation à la santé nous souhaitons pouvoir renforcer leur parentalité. D'autant qu'elles sont parfois désorientées par leur rôle », expose le médecin-chef [lire l'encadré]. Une démarche que certains parents entendent, et d'autres pas, note Catherine Huard, infirmière. « Je vois régulièrement des familles dans lesquelles, à 18 mois, les enfants ont pris le pouvoir », relate-t-elle.

Renforcer la parentalité

Une réalité souvent confirmée par les infirmières et que chacune d'entre elles, à sa manière, tente de renverser. « En matière de nutrition, par exemple, j'essaie de déculpabiliser les parents. Après tout, s'ils n'ont pas les moyens d'acheter du lait de croissance, le fer et les huiles avec lesquels il est enrichi se trouvent dans de nombreux aliments ! », dit Nathalie. Il faut s'adapter, renchérit pour sa part Gaëlle Sartor. « C'est même la partie la plus intéressante du travail. Notre but est de faire en sorte que les parents aient appris des choses au cours du bilan et adoptent, si nécessaire, de nouveaux comportements », commente l'infirmière.

Des habitudes souvent difficiles à modifier tant elles sont ancrées dans les pratiques culturelles et sociales. « Même si les gens savent, cela ne veut pas dire qu'ils vont changer leur conduite. Dans la vie, ça donne par exemple : "Si je mets des lunettes à mon enfant, sa vue ne va pas travailler" ou "Un bébé rondouillard est un enfant en bonne santé" », cite Christophe Foucault.

« Tache d'huile »

Malgré l'immensité de la tâche, le Depse n'a pas l'intention de baisser les bras. Son credo : « Un trouble dépisté tôt, c'est moins d'effets délétères pour le développement et la santé de l'enfant. » Cela se confirme, la prévention est un art difficile. De longues années sont parfois nécessaires avant que les fruits qu'elles portent ne puissent être récoltés. « Je suis convaincu qu'il faut procéder par tache d'huile, affirme le Dr Foucault. C'est comme ça qu'on gagnera la partie. » Les dés sont lancés.

1- 96-98 rue Amelot, Paris-XIe. Ouvert du lundi au vendredi. Tél. : 01 49 23 59 00.

2- Une structure du même type, dépendant aussi de la CPAM, est implantée à Clichy-sous-Bois (93), mais elle est plus modeste.

3- Les enfants dont les parents sont originaires d'Afrique subsaharienne, d'Asie et des Antilles font l'objet d'un dépistage de l'électrophorèse des protéines et de la drépanocytose-thalassémie.

témoignage

PARENTS OU « SUPER COPAINS » ?

« Au quotidien, ce que nous ressentons, ce n'est pas tant la "démission" des parents que leur difficulté à se positionner. Aujourd'hui, beaucoup se voient comme des "super copains". Ce phénomène traverse tous les milieux sociaux », remarque Christophe Foucault, médecin-chef du Depse. « Pour être aimés de leurs enfants, les parents sont prêts à dire "amen" à tout - cela permet de ne pas argumenter. Pourtant, ce n'est pas parce que l'on dira "non" que l'on sera moins aimé d'eux. S'occuper d'un enfant, c'est aussi lui accorder du temps. Avant, les familles nous disaient : "C'est dur d'être parents, mais on fait comme ci ou comme ça" et nous les rassurions. Désormais, beaucoup sont étonnés qu'il faille jalonner, mettre des limites. C'est pourquoi l'on voit fréquemment des enfants de 10 ans aller à l'école avec leur portable ! Enfin, pour qu'un enfant se construise, il faut qu'au moins un des parents - puisque beaucoup sont séparés - s'intéresse à lui, le mette en valeur, l'encourage, ne le rabaisse pas en permanence. Un enfant, il faut le stimuler, répondre à ses questions. »