Soins sans frontières

Au départ, c'était un rêve de jeunesse, né de la fascination pour les terres lointaines. Les immenses étendues africaines, aux teintes mordorées, peuplées d'animaux majestueux. Les rizières asiatiques, mers de verdure noyant l'horizon. « J'étais émerveillée par les paysages qui défilaient sur mon écran de télévision, ou dans les magazines », se remémore Dominique Bernard. C'était une certitude : un jour, elle partirait « à la rencontre du monde », loin de sa Vendée natale.

kosovo

Partir où ? Comment ? Pour faire quoi ? La réponse à ces questions est née d'une révolte, explique la jeune femme. « Interpellée par l'injustice, les disparités Nord-Sud, je ne pouvais rester sans rien faire. Et je me demandais : comment agir ? Comment aider sans risquer de faire plus de mal que de bien ? C'est là que le soin s'est imposé à moi, que ma vocation d'infirmière est née. Lorsque je me suis rendue compte que l'une des choses également partagée par les six milliards d'hommes sur la terre, c'était notre envie de guérir lorsque que nous sommes malades ! »

Aucun membre de sa famille n'appartient au milieu médical, le monde du soin lui est totalement étranger ; peu importe, Dominique est sûre d'elle. Elle s'inscrit à l'Ifsi de La Roche-sur-Yon, d'où elle sort diplômée en 1994. S'ensuivent cinq années d'exercice professionnel dans la région... une étape nécessaire avant de pouvoir partir à l'autre bout du monde, les ONG ne recrutant qu'un personnel expérimenté (en général, au minimum deux ans de pratique). Enfin, en 1999, c'est le grand saut : une première mission pour Médecins sans frontières dans les Balkans à Pec, au Kosovo. L'infirmière parcourt les centres de santé de la région, accueillant le retour des réfugiés qui avaient fui cette zone de guerre.

coordinatrice médicale

Les années ont passé, l'enthousiasme n'est pas retombé... « Bien au contraire ! plaisante Dominique. Qui plus est, la passion pour mon métier de soignante s'est renforcée au fil des missions. » À 36 ans, elle entame sa huitième mission pour l'ONG française. Nommée coordinatrice médicale pour les missions menées dans le Nord-Kivu - province de l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) -, elle est chargée de déterminer et d'encadrer, avec le chef de mission et les responsables terrain, les activités médicales conduites par l'ONG dans la province, et est responsable des commandes médicales, de la gestion des pharmacies et de la définition des protocoles médicaux.

Moments de choix de sa vie d'humanitaire : les tournées sur le terrain, à la rencontre des équipes et des populations. Aujourd'hui, en compagnie de Fred, le chef de mission, Dominique est à l'hôpital de la petite ville de Rutshuru, auquel MSF apporte son soutien depuis octobre 2005. Pantalon de toile, sandales et sac à dos, un carnet de notes à portée de main, Dominique observe, interroge. Son outil principal : l'écoute. Celle d'une professionnelle de santé aguerrie.

la santé, un luxe

Allongé sur l'un des lits de la salle de réveil du bloc chirurgical monté par l'ONG, un adolescent somnole. Les yeux mis-clos, un peu vitreux... mais en alerte. Le corps couvert de bandages, un bras amputé au niveau du coude. « Cinq balles de kalachnikov et un coup de machette », explique-t-il placidement. Aux soignants qui passent s'enquérir de son état de santé, il répond par une plaisanterie. L'enfant retrouve sa place derrière la façade de soldat. « Après tout, je suis en vie ! » Postée à l'entrée de la salle, Dominique a un regard délicat vers l'adolescent... avant de poursuivre sa tournée dans l'hôpital.

Dominique écoute donc. Ses collègues de MSF, chirurgien et anesthésiste, qui rêvent d'un second bloc opératoire. Les infirmiers de l'unité de pédiatrie, de médecine interne... Elle note avec Fred que la réserve d'eau disponible en cas de problème d'approvisionnement, une citerne de 1 000 litres, ne suffit plus et que les stocks de certains médicaments sont à renouveler. « Ici, la santé est un luxe », commente-t-elle rageusement.

rdc en crise

La RDC est un géant anéanti. La dictature a sapé les fondements de l'économie nationale. La guerre a achevé de ruiner le pays et fait près de 4 millions de morts entre 1998 et 2003... la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de 75 % des Congolais vivent avec moins d'un dollar par jour. Privé de recettes, l'État ne consacre que 1 % de son budget à la santé. Malaria, maladie du sommeil, choléra et sida sont les maux du quotidien. Selon l'Unicef, 60 % de la population n'a pas accès aux soins primaires, 1 200 personnes meurent chaque jour de faim ou de maladie. Et l'insécurité reste sensible. Soutenu par la mission de l'ONU au Congo, le pays a beau s'être engagé sur la voie de la paix, le processus reste fragile. Dans l'est du pays, notamment au Nord-Kivu, les combats n'ont pas cessé. Les hommes en armes continuent à violer et à piller en toute impunité... « D'où l'importance de l'aide des ONG comme MSF », souligne Issa, infirmier dans l'unité d'isolement pour les patients atteints de choléra, que MSF a fait aménager à l'hôpital de Rutshuru.

L'enthousiasme à l'idée de découvrir une nouvelle partie du globe, le brassage riche et dense du travail d'équipe, le défi de devoir s'adapter à des situations complexes et parfois imprévisibles... « L'émotion est la même à chaque départ », confie Dominique. Après sa première mission au Kosovo, il y a eu Madagascar, mission de lutte contre une épidémie de choléra dans le nord de l'île. Puis une « expérience magnifique » de plus d'un an au Cambodge, à Stung, mission de soutien à l'hôpital de référence de la région.

trajectoire africaine

Un an plus tard, en 2002, Dominique partait comme responsable terrain au Congo-Brazzaville à Betu, superviser la bonne marche d'un hôpital ouvert par MSF, de deux centres de santé périphériques, d'un petit centre nutritionnel thérapeutique et de campagnes de vaccination. Un « programme transversal » qui l'a enthousiasmée, tandis qu'elle tombait sous le charme de cette région d'Afrique subsaharienne. En 2004, la jeune femme est au Sud-Soudan, responsable terrain intégrée à une mission de lutte contre la trypanosomiase. L'année suivante, elle découvre le nord de la RDC, un mois dans un programme de lutte face à une épidémie de pian... et peu après l'est du pays, infirmière à Kayna, puis responsable terrain à Béni sur une mission de lutte contre le choléra.

Des visages, des odeurs, des couleurs différents à chaque fois. Des défis médicaux sans cesse renouvelés. La souffrance toujours. Mais la possibilité de pouvoir la soulager, même un peu. Et toujours, pour la jeune infirmière, la joie de la rencontre, « à l'autre bout du monde, comme en France d'ailleurs, lors des "pauses", essentielles, entre deux missions ». Car lorsqu'elle n'est pas à l'étranger avec Médecins sans frontières, Dominique travaille comme infirmière intérimaire en Vendée, et apprécie alors tout particulièrement d'exercer son métier auprès des personnes âgées. « C'est parfois drôle, et sympathique, car en mission, nos patients sont rarement vieux ! », souligne-t-elle.

plus stressée en france

Comme une piqûre de rappel des inégalités justement, même si la souffrance est toujours là, sous des formes souvent différentes. « L'appréhension du retour, présente à chaque fois, se dissipe toujours très rapidement. Car si les techniques peuvent évoluer, les réflexes professionnels sont là. » Paradoxalement peut-être pour ceux qui ne sont jamais partis, Dominique trouve son métier plus stressant en France qu'en mission. « Ici, j'ai trop souvent l'impression d'être soumise à un impératif de guérison et non de soin. On n'a pas le droit à l'erreur, on a rarement le temps de discuter avec les patients... et je le regrette », commente-t-elle. Dominique apprécie de rentrer, mais elle le sait : elle continuera à partir. Soif de justice et de rencontres... comme ici, à Rutshuru, où la jeune femme a le sentiment de vivre pleinement son métier d'infirmière.