Un espoir en mouvement - L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 235 du 01/02/2008

 

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Reportage

À Vientiane, la capitale du Laos, une crèche accueille pendant la journée des enfants touchés par une infirmité motrice cérébrale. Et fait beaucoup avec peu de moyens.

Le handicap a figé certaines parties du corps et crispé les muscles, mais les visages conservent le sourire. Mina, Foei, Tino, et Zed jouent et rient comme n'importe quels enfants de leur âge sur le tatami de la grande salle. Aidés par les kinésithérapeutes, ils travaillent leur gestuelle et leur motricité.

Environnement adapté

Face au mur, Tino exerce les muscles de ses jambes en s'agrippant à une échelle fixée à sa hauteur. À quelques mètres de là, Foei est affalé sur une énorme balle de plastique vert, tout heureux de sentir rebondir sous son corps cette masse souple qu'il peut déplacer à sa guise. La Maison des Cent mille Bonheurs, ouverte en mars 2007 à Vientiane, la capitale du Laos, est un espoir dans ce pays parmi les plus pauvres du monde. « Compte tenu de la gravité de l'infirmité motrice cérébrale (IMC), les progrès médicaux ne peuvent être qu'infimes, mais un environnement adapté change profondément leur état d'esprit, explique Ting Sungara, la fondatrice du centre. Ils sont détendus, ont une vie sociale, communiquent entre eux et avec nous par des gestes, des mimiques, des sons. »

Après les exercices au sol, c'est l'heure de la classe. À tour de rôle, les enfants rejoignent l'institutrice dans une petite pièce où ils lisent et s'exercent à des jeux de déduction et de reconnaissance face à un miroir. Zed a vu l'appareil photo. Il se tourne vers l'objectif et prend une pose de star. « Il aime bien faire le beau gosse », observe en riant Amélie, la bénévole française. Après la sieste, cet après-midi est consacré à une séance de musicothérapie animée par Christophe, autre bénévole français, et Thephahak, qui déclenche les cris de ses petits fans quand il sort la guitare de son étui.

Tubes thaïlandais

Aux premiers chants et accords, ils reconnaissent les tubes thaïlandais qui tournent en boucle sur les radios et les télés laotiennes. Tino fixe l'instrument, pris par la musique. Moins attentif, Foei tape de toutes ses forces sur le xylophone, lançant une joyeuse cacophonie.

Caution médicale

À l'image de l'action menée par le centre, le recours à l'initiative privée semble le meilleur moyen d'améliorer la situation des handicapés mentaux au Laos. Ting espère que d'autres enfants rejoindront rapidement les premiers afin de donner de l'envergure à son projet, mais elle veut d'abord pouvoir compter sur une équipe stable et compétente, afin de gagner la confiance des familles et du ministère de la Santé.

Elle a déjà obtenu la venue régulière du Dr Bouathep Phoumin, spécialisée en IMC et professeur à la faculté de médecine de Vientiane. Sa collaboration apporte une caution médicale essentielle et permettra d'accueillir d'ici peu certains de ses étudiants comme stagiaires. Par ailleurs, sept des employés s'étaient rendus deux semaines en avril dans un centre thaïlandais d'Udon Thani, spécialisé dans l'IMC. Là-bas, à deux heures de Vientiane, les enfants peuvent bénéficier d'équipements modernes de rééducation, et le personnel formé ne manque pas.

Ressources incertaines

Cependant, à la Maison des Cent mille Bonheurs, le confort a un coût. Les salaires et les frais de fonctionnement représentent près de 20 000 dollars par an. Le centre ne reçoit aucune aide du gouvernement, sous perfusion de l'aide internationale, et les ONG, surchargées de demandes, doivent faire des choix parfois orientés vers des projets plus médiatiques. La quasi-totalité des dépenses provient des ressources de Ting, aidée à l'occasion par des dons d'amis et de proches. 50 dollars par mois de participation sont bien demandés aux familles, mais cela ne peut être envisagé comme une solution à long terme dans un pays où un fonctionnaire gagne environ 30 dollars par mois.

Alors, on opte pour le système D. On dispose de kinésithérapeutes ? Qu'à cela ne tienne, on projette de transformer une partie du centre en salon de massage. Ces mêmes kinés ont aussi mis en oeuvre leurs compétences en tissage pour créer des modèles de trousses et d'étuis, qui seront à terme commercialisés dans des magasins de la capitale. Les enfants sont également mis à contribution de façon ludique, puisqu'ils sont chargés de nourrir les poissons rouges, destinés aux amateurs d'aquariophilie et répartis dans trois bassins extérieurs.

Utilité

En fin d'après-midi, les familles viennent chercher les enfants. La plupart d'entre elles, comme Hang, la mère de Zed, travaillaient déjà quand l'enfant restait à la maison. Il n'y a donc pas de grand changement depuis le temps où elle tenait l'épicerie familiale en surveillant d'un oeil son fils encadré par les grands-parents. Au Laos, plusieurs générations vivent sous le même toit, et un parent est souvent disponible pour veiller sur le dernier-né ou sur une personne âgée.

Insouciance

Les parents, grâce à la crèche, apprécient de retrouver une certaine insouciance et goûtent la possibilité de rendre visite à leurs proches sans se préoccuper des enfants. Ce matin, Bee, la mère de Foei, nous accueille dans la maison familiale. Fiévreux, l'enfant est assis dans un fauteuil roulant offert par une ONG japonaise. Il regarde des dessins animés à la télévision, que la plupart des familles laotiennes, même pauvres, possèdent. Séparée de son mari, avec une petite fille et un nouveau-né dans les bras, Bee emmène son fils au centre tous les matins. Si la moto de l'ami ou du parent n'est pas disponible, elle s'y rend en pick-up, et quand l'argent vient à manquer, Foei reste à la maison. On comprend alors l'utilité de développer ce centre, qui devra encore se battre pour prouver qu'un peu d'argent, bien utilisé, peut faire beaucoup.