« Entre coutumes et modernité » - L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008

 

Niger

Questions à

Au Niger, la prise en charge des troubles mentaux n'occupe encore qu'une place infime dans les soins. Abdou Koudoussou, au Point focal d'Agadez, s'emploie à améliorer les pratiques.

Quelle est la situation de la prise en charge de la souffrance psychique au Niger ?

Il existe un énorme fossé entre les besoins et les moyens disponibles pour faire face à l'importante morbidité liée aux troubles neurologiques et comportementaux au Niger. Le programme public de santé mentale est parmi les plus pauvres, en ressources matérielles et humaines. De plus, le contexte est particulier en Afrique subsaharienne, où l'on reste partagé entre coutumes ancestrales et modernité. Les techniques de guérison traditionnelles induisent une pratique différente dans les soins. Surtout, il n'y a pas de formation continue en ce domaine, alors que les besoins existent. De plus, si plus de 33 % des soignants ne prescrivent pas de psychotropes, 50 % des agents de santé qui en prescrivent font des erreurs graves.

Comment expliquez-vous cela ?

Il y a d'abord les préjugés sur la maladie mentale. Et puis le manque de moyens, d'infrastructures appropriées et de personnel qualifié. Aucun district sanitaire du Niger ne dispose d'une unité de soins psychiatriques. S'ajoute à cela l'absence de politique sanitaire, d'information et de sensibilisation de la population, ainsi qu'une mauvaise connaissance des médicaments psychotropes, peu accessibles. Enfin, les chiffres parlent d'eux-mêmes : seulement deux médecins psychiatres sont en activité à Niamey (la capitale), pour 13 millions de Nigériens. Et moins de cinq infirmiers sont spécialisés en santé mentale dans le pays.

Comment le Point focal Santé mentale a-t-il pu voir le jour ?

C'est la Direction régionale de la santé publique qui m'a confié sa création en 2002. Une chance. J'ai à cette occasion bénéficié d'une formation avec le Dr Douma Djibo Maïga, psychiatre à l'hôpital de Niamey et responsable du Programme national de santé mentale au ministère de la Santé publique. L'objectif était de me permettre de repérer la souffrance psychique chez les patients et d'y faire face en prenant en compte les aspects psychologiques, sociaux et culturels. Mon premier plan d'action a été de procurer quelques traitements médicamenteux (anxiolytiques, neuroleptiques, antidépresseurs) à l'hôpital, pour des situations aiguës, pour des névroses ou des psychopathies. J'ai parallèlement élaboré une campagne de sensibilisation auprès des habitants de la ville, grâce à la diffusion de spots d'information sur la radio locale.

Comment fonctionne le Point focal ?

Je suis seul à m'en occuper et me partage en deux : tantôt au bloc, tantôt ici. En fait, on me fait appeler quand un patient présente des signes cliniques de souffrance ou de pathologie mentale. Il m'arrive aussi d'intervenir en ville et d'amener le patient à l'hôpital. Le Point focal permet surtout de parler, de « causer ». La langue principale est ici le haoussa. C'est celle que j'utilise. J'écoute et je demande que l'on me raconte ce qui se passe. Ensuite, j'oriente. Il m'arrive parfois d'avoir un rôle éducatif. L'acte est gratuit.

Quelles sont les pathologies les plus souvent rencontrées ?

Les états dépressifs, mais qui ne sont généralement pas des problèmes d'ordre social : il s'agit plutôt de deuils, de drames affectifs... Les familles ne croient pas à une prise en charge psychologique et gardent le malade à la maison sans aucun soin. Cette tristesse prolongée s'accompagne souvent de symptômes psychologiques, comportementaux et physiques. Elle a tendance à être incapacitante, à récidiver, à durer longtemps. Et puis, l'hystérie était autrefois traitée chez les adolescents par des rites traditionnels. Aujourd'hui, prières, eau bénite préparée par les marabouts, rituels de féticheurs, sacrifices et fumigations font encore recette. Mais ils sont associés à une prise en charge médicale et à de la recherche programmée.

Voulez-vous dire que les professionnels de santé doivent composer avec les guérisseurs traditionnels ?

Il est difficile de s'opposer à l'influence des marabouts. Ils font partie intégrante de la vie des citoyens. Nous les avons donc invités à participer - avec les imams ou encore les chefs traditionnels - à notre dernière campagne de sensibilisation sur les aspects cliniques des maladies mentales. Mais cela n'a servi à rien. Certains guérisseurs traditionnels continuent de frapper les malades mentaux. Pour eux, les fous, les hystériques sont habités par un mauvais esprit. Il est encore bien difficile de mettre en place des thérapies et des traitements, et de sensibiliser les patients et leurs familles. D'autant plus que, vous n'êtes pas sans savoir que l'extrême pauvreté du Niger est associée à une insécurité politique et alimentaire profonde.

1- Le Niger est classé, depuis 1990, à l'avant-dernier rang mondial selon l'indice de développement humain (IDH) des Nations unies.

Abdou Koudoussou Infirmier

Diplômé d'État depuis 1984, Abdou Koudoussou a exercé en réanimation chirurgicale à l'hôpital de Niamey avant de devenir infirmier au bloc du CHR d'Agadez. Depuis 2002, il anime le Point focal santé mentale, qu'il a créé au sein de cet hôpital.