Médecin malgré tout - L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008

 

Éric Hamel

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Rencontre avec

Cet étudiant a 36 ans, un enfant et les cheveux grisonnants. Après cinq ans d'exercice infirmier et un parcours à rebondissements, Éric Hamel a décidé de « passer du côté obscur », comme il dit, en devenant médecin.

Il y a quatre ans, Éric Hamel épousait ses deux passions. D'abord, Virginie, rencontrée onze ans plus tôt sur les bancs de la faculté. Quarante-huit heures plus tard, c'est la médecine qui lui disait « oui ». Pour cette dernière, il s'agissait de secondes noces, d'une revanche après l'échec.

« Je ne pense pas avoir eu, au départ, de grandes prédispositions », assure Éric. Il avoue avoir rêvé, enfant, d'une blouse blanche, d'un stéthoscope et d'une place dans un hôpital réputé. Mais quand ses résultats scolaires lui barrent l'entrée de la seconde générale, le jeune garçon, issu d'une famille modeste d'Argenteuil, redescend brutalement sur terre. Comme il a « besoin de travailler avec [ses] mains », il s'oriente vers un bac en électronique, qu'il décroche en 1989. Sans pour autant enterrer son projet. « Je suis tenace », dit-il. « Têtu », nuance son épouse, un brin taquine malgré le regard admiratif qu'elle pose sur son homme.

la conquête de la blouse

Pendant les vacances de l'été 1992, c'est par un remplacement comme brancardier que le jeune électronicien approche ce monde médical qui le fascine . « Un collègue m'a demandé ce que je voulais faire dans la vie. Je lui ai répondu : "Je suis en électro, mais..." Il m'a dit : "Arrête, tu parles comme un vieux." » Éric décide de se prendre en main et de tout faire pour devenir « un grand scientifique ». Il s'inscrit en médecine à Bichat. Entouré de jeunes bacheliers issus de la filière scientifique, lui qui n'a de connaissances ni en biologie ni en chimie a conscience du défi. Après deux « P 1 », son ambition s'écroule : il rate le concours à cinq places près. Virginie, qui n'est alors qu'une bonne amie, s'est envolée vers les années supérieures. « Il s'est dit que tout était fini, c'était très dur à voir », se souvient-elle.

Il faut bien réagir. « J'étais devant un dilemme : que faire, reprendre mon métier précédent ou rester dans le milieu qui me plaît ? C'était très clair dans ma tête : je voulais la blouse blanche. Puisque ce ne serait pas celle de médecin, ce serait celle d'infirmier. » En 1995, le jeune homme intègre l'Ifsi de l'hôpital Beaujon, à Clichy.

sur le terrain

Lui qui se croyait bien préparé, après deux années de fac, déchante vite. « La première année de médecine prépare à tout sauf à la pratique », lance-t-il. « Ce n'est rien d'autre qu'un concours. En sortant de l'Ifsi, j'étais un professionnel capable d'aller sur le terrain. » De ses études d'infirmier, il se souvient d'avoir « pris des claques. On y laisse des plumes ». Exit le cliché du médecin qui vole d'un patient à l'autre, en dispensant diagnostics et consignes, Éric va au contact du malade. « C'est en étant infirmier que j'ai vraiment réalisé que ce qui comptait, c'était soigner la personne. »

Au fil de ses expériences, il apprend à aimer ce métier. « J'ai réalisé que l'infirmière, contrairement à mes idées préconçues, avait la même importance que le médecin. À l'hôpital, c'est elle qui donne le signal d'alarme qui permet de sauver les patients. » Il avoue pourtant des débuts difficiles. « À l'Ifsi, je contestais les ordres, j'étais rebelle avec mes profs. Ma première expérience, en réanimation chirurgicale, s'est très mal passée. Je posais trop de questions. » La suivante va tout changer : quatre ans en réanimation médicale au Kremlin-Bicêtre. « J'y ai rencontré des gens formidables, en particulier la surveillante générale, Évelyne. Alors que je doutais de mes capacités, elle a su me redonner confiance en moi en me disant d'arrêter de me regarder le nombril et de foncer. » En deux ans, Éric devient infirmier référent. Regonflé à bloc, il décide de reprendre une formation pour devenir infirmier anesthésiste. Après dix mois de préparation, il est reçu haut la main au concours.

dernière chance

Juste avant qu'il n'entre à l'école d'Iade, un collègue lui parle d'un ami qui, après un parcours similaire, est entré en médecine. Éric se renseigne : depuis un décret de 1994, les paramédicaux ayant exercé deux ans sont autorisés à présenter une troisième fois le concours. « Un miracle », estime-t-il, encore très ému. Mais les places sont chères : seuls 30 candidats seront reçus en France. À l'hôpital Saint-Antoine, où Éric s'est inscrit, 10 des 31 étudiants passeront en deuxième année. « Pendant huit mois, je n'ai rien fait d'autre que bosser, dormir, manger », se souvient-il. Virginie l'encourage malgré son inquiétude : « L'envie d'être médecin ne l'avait jamais quitté. Quand il était infirmier, il continuait à se pencher sur mes cours. Néanmoins, quand il a repris ses études, j'étais réticente à l'idée de vivre à nouveau comme des étudiants, et de supporter le stress des examens. » Éric, lui, se focalise sur son objectif. « Pendant cette année de la dernière chance, j'étais dans la position du futur noyé. La concurrence était sauvage. Mais j'avais un avantage, moi le "vieux" , en tant qu'infirmier : je savais déjà ce qui était utile en pratique ou pas. » Malgré cela, il ne croit pas à sa réussite. « Le soir des résultats, on est allés à Saint-Antoine à 22 heures », se souvient Virginie. « Il a regardé le panneau et m'a dit : "Je l'ai pas." Il avait confondu sa note et son rang. Il était admis. » Le couple part en vacances, une bouteille de Veuve Clicquot dans ses bagages.

triple vie

Après l'euphorie, la réalité rattrape le nouvel étudiant, qui doit mener trois vies de front. Aujourd'hui en quatrième année de médecine, il est externe à Saint-Antoine. Le matin, il traite les dossiers, fait la visite. L'après-midi, il étudie. Le soir, il s'occupe de son fils, âgé de 2 ans. Une fois sa famille couchée, vers 23 heures, il travaille encore. Fini les répétitions avec son groupe de rock, dont il était le bassiste ! Il lui faut aussi se contenter d'un maigre budget. « J'ai dû revendre ma voiture pour m'acheter une carte orange », plaisante-t-il.

Pas de regrets pour autant : « Je me dis que j'ai commencé par ma retraite, et je finirai en travaillant ! L'internat, ce sera en 2010. Et j'exercerai à 40 ans. Mais c'est aussi bien comme ça : l'expérience a changé mon point de vue. À 18 ans, on n'est pas assez mûr pour comprendre les responsabilités qui incombent au médecin. Maintenant, j'en suis conscient. Aussi, j'ai décidé de redoubler ma quatrième année car je ne me sentais pas au point. Je veux soigner les gens, pas les tuer ! »

feux de la rampe

Éric se verrait bien cardiologue. Virginie préférerait qu'il ouvre un cabinet en ville, loin des 80 heures hebdomadaires du médecin hospitalier. Mais elle connaît son mari : « Au début, tu avais même pensé au Samu », lui rappelle-t-elle. « C'est vrai, j'aimais ce côté feux de la rampe, convient-il. De toute façon, j'ai assez de projets pour trois ou quatre vies. Plus jeune, je voulais être pilote de ligne. Qui sait, peut-être qu'après mes études de médecine, je m'inscrirai en histoire de l'art... »

moments clés

- 13 juillet 1971 : naissance à Argenteuil (Val-d'Oise).

- 1992 : première inscription en faculté de médecine, à Bichat (Paris).

- Juin 1998 : obtient son diplôme d'État à l'Ifsi Beaujon (Clichy, Hauts-de-Seine).

- 2003 : 2e inscription en médecine, à Saint-Antoine (Paris).

- Octobre 2006 : devient externe à Saint-Antoine.