Neuf mois pour reprendre vie - L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008

 

Deuil et suicide

Du côté des associations

La fédération Familles rurales de la Sarthe a créé des groupes d'entraide et de soutien destinés aux personnes touchées par le suicide d'un proche.

Cette année, ils sont huit, de tous âges et de tous milieux. Certains parcourent jusqu'à cinquante kilomètres pour se rendre au Mans, au siège de la fédération Familles rurales, deux mercredis par mois. Ces soirs-là, entre 19 et 21 heures, ils se retrouvent et prennent un peu de temps pour eux. Du temps pour dire leur douleur et entendre celle des autres. S'ils sont entrés dans ce groupe d'entraide et de soutien, c'est pour mieux s'en sortir.

climat de confiance

Tous ont vécu le suicide d'un être cher. Et tous cherchent les ressources pour franchir les étapes de leur deuil. Alors, neuf mois durant, ils vont se rencontrer tous les quinze jours, en présence de Geneviève Alline- Lacoste, salariée de Familles rurales et animatrice de ces groupes. Les participants ne changent pas : en s'inscrivant, ils s'engagent à venir du début à la fin. « Indispensable, insiste l'animatrice, pour établir entre eux un climat de confiance, de connivence même. »

région très exposée

Forte d'une expérience d'accompagnement des personnes en fin de vie et des familles en deuil, et formée aux conduites suicidaires, Geneviève Alline- Lacoste anime ces groupes depuis leur naissance, en 2002. Si la fédération de la Sarthe fut l'une des premières à créer ces formes d'aide, c'est que ce département, comme la Mayenne voisine, est fortement frappé par le suicide. Celui-ci y tue plus que les accidents de la circulation. La région Pays-de-Loire, où le taux de suicide dépasse de 25 % la moyenne nationale, a mis en oeuvre un programme de prévention, dans lequel s'inscrit l'action de Familles rurales. Une action en faveur d'une population particulièrement exposée au risque de reproduction du geste fatal.

« Lors des deux premières rencontres, les gens font leur récit, ce qui contribue à créer une dynamique de groupe », explique Mme Alline-Lacoste. Qu'il s'agisse du suicide d'un frère, d'une mère ou d'un mari, chacun se raconte, et des liens se tissent. Par la suite, « à chaque début de rencontre, je demande aux personnes de dire avec quoi elles sont venues, ce qu'elles vont mettre sur la table pour ne pas que cela les encombre - les bonnes nouvelles de la semaine, les moins drôles, les pensées sombres. »

Sont abordés ensuite des thèmes proposés par l'un des participants ou par l'animatrice : le regard des autres sur le suicide, la culpabilité de ceux qui restent, leur colère, le pardon, mais aussi des questions plus terre à terre : « Que faire des vêtements du défunt ? », par exemple. Reprendre le cours de sa vie, voici l'enjeu.

« compris, pas jugés »

« Parfois submergés par leur chagrin, les parents endeuillés doivent aussi sortir d'un autre enfermement : celui lié à la stigmatisation du suicide, explique Mme Alline-Lacoste. Souvent, ils ont le sentiment d'être dans une sorte de "no man's land", ne savent plus très bien à quel groupe social ils appartiennent. Ici, ils trouvent un lieu où dire et partager ce qui les ronge, en même temps qu'un sas qui leur permet de se resocialiser. »

Certains ont eu recours à d'autres formes d'aide, ou continuent à bénéficier par ailleurs d'un accompagnement médicopsychologique. Le groupe d'entraide et de soutien ne convient pas à tout le monde et vient en complément, avec ses spécificités. Ces rencontres régulières permettent avant tout d'échanger avec d'autres personnes qui vivent la même situation. « Les gens se retrouvent, s'épaulent dans ce qu'ils vivent. Ils se sentent compris et non jugés, peuvent tout dire, même ce qui n'est pas politiquement correct. La structure permet de supprimer ce qui peut aggraver la souffrance : l'incompréhension des autres. »

allégement

Ils apprennent à lâcher prise, c'est-à-dire à pleurer - la boîte de mouchoirs n'est jamais loin - et bien souvent ils rient. « Les gens hésitent parfois à entrer dans cette démarche de groupe, constate Mme Alline-Lacoste. Ils se disent qu'ils ont déjà leur dose de détresse, et qu'ils n'ont pas besoin de prendre en plus celle des autres. Or, l'échange offre une mise en perspective de sa propre histoire. On se dit : "Tiens, c'est beaucoup plus dur pour lui que pour moi", tandis que l'autre, en face, se dit la même chose. Il en résulte un phénomène d'allégement pour chacun, par simple résonance. »

Rituellement, quand la réunion bimensuelle se termine, Geneviève Alline-Lacoste interroge de nouveau les participants. Elle leur demande comment ils se sentent, « ce qu'ils voudraient dire qu'ils n'ont pas encore dit, ce avec quoi ils ne voudraient pas repartir ». Certains se taisent, d'autres se livrent. Et puis ils rentrent chez eux. Un peu plus légers, sans doute.

Contact : Familles rurales, fédération de la Sarthe. 20, rue d'Iéna, 72015 Le Mans cedex 2. Tél. : 02 43 39 75 00.

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