Oasis médicale - L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008

 

algérie

Reportage

Rabia, 52 ans, infirmière retraitée de l'hôpital public, exerce dans une clinique privée d'un quartier chic d'Alger. On y dispense des soins parfois très spécialisés... mais cette rareté a un prix. Visite guidée.

Il est cinq heures, Alger n'est pas encore éveillée. À la lumière déclinante de la lune, les balcons bleus fermés des grands immeubles blancs de la baie accentuent l'impression d'une ville endormie. À quelques kilomètres à l'ouest, dans le quartier de Beni Messous, une femme se lève déjà. Rabia Brahimi, 52 ans, est infirmière puéricultrice à la clinique Al Azhar, un établissement privé construit il y a trois ans à Dely Ibrahim, un quartier huppé d'Alger. Elle prend un café au lait, quelques dattes, et savoure le khobz, la galette à la semoule qu'elle a préparée hier soir. À sept heures, elle quitte le petit appartement qu'elle partage avec sa mère et son neveu et va prendre le bus.

7 h 45, en salle de soin. En entrant dans la pièce, son regard se tourne vers le tableau. Aujourd'hui, les 16 lits sont occupés : un vieil homme, marabout à Gardaia, souffre du coeur ; un autre attend un pontage prévu à 16 heures ; une famille française est accueillie après un accident de voiture ; trois patients vont passer une coronarographie ; une femme vient de subir une extraction de calcul vésiculaire...

Seize lits occupés

« Rabia, tu peux t'occuper du deuxième prélèvement pour la double détermination chez le monsieur de la 207 [celui qui attend son pontage], s'il te plaît ? » Celle qui vient de parler est le docteur Djeffal, jeune femme au visage énergique entouré d'un foulard à fleurs mauves. Elles ne sont pas nombreuses à porter le hijab. « Ici, chacun est libre », affirme la doctoresse. Toute la journée, deux infirmières, deux médecins et deux aides-soignants s'occuperont de l'étage.

Rabia travaille de 8 h à 16 h 30, du samedi au mercredi, avec une demi-heure de pause pour déjeuner - sauf le jeudi, où elle quitte à midi, et le vendredi, qui est férié. « Mais c'est rare que je quitte avant 18 heures », avoue Rabia. Ce temps supplémentaire est-il payé ? « Non, bien sûr !, s'amuse l'infirmière. Mais de toute façon, la circulation est tellement infernale avant 18 heures que ça ne change pas grand-chose... » Depuis trois ans qu'elle travaille dans cette clinique, le salaire mensuel de Rabia n'a pas bougé : 22 000 dinars (220 euros), sans congés payés, qui s'ajoutent à sa retraite de 15 000 dinars (150 euros). Car avant, Mme Brahimi a travaillé 33 ans à Beni Messous, un des grands hôpitaux publics d'Alger.

Ultramoderne

10 h 10, dans les couloirs du second étage. La tournée de ses malades achevée, Rabia peut prendre une pause pour nous montrer les lieux. La clinique Al Azhar offre un cinglant démenti à ceux qui conserveraient des préjugés négatifs sur l'état des établissements médicaux au Maghreb. Tout y respire le neuf, le propre et le techniquement très avancé. « C'est encore plus beau que l'hôpital de chez nous ! », s'exclame Ibrahim, jeune Français de Romans-sur-Isère, hospitalisé depuis deux jours avec sa mère et sa soeur.

Avant-hier, alors que la famille s'apprêtait à rentrer en France, un camion a renversé leur voiture. « On a fait au moins quatre tonneaux ! », lâche sa jeune soeur Khadija, encore sous le choc. « En plus, toutes les inscriptions sont en français », remarque leur mère. « Nous travaillons en bilingue, voire en trilingue, explique Rabia. Entre nous, c'est toujours le français, surtout dès qu'il y a des mots techniques. Avec les patients, ça peut être en arabe, ou en kabyle. À moins que ce ne soit un mélange des trois ! »

Chirurgie cardiaque

13 h 15, pause déjeuner avec le docteur Nefissa Scander, spécialiste du suivi des enfants opérés du coeur. Al Azhar possède en effet un des rares blocs opératoires de chirurgie cardiaque du pays. Le plus souvent, les opérations sont pratiquées par des équipes étrangères (italiennes, libanaises, françaises, espagnoles...) qui viennent pour quelques jours, et opèrent jusqu'à trois patients par journée. « Ensuite, ils repartent, et des médecins à nous s'occupent du suivi des malades », explique Nefissa Scander.

S'endetter pour guérir

Drôle, extrêmement intelligente et toujours serviable, cette pédiatre de 48 ans possède un cabinet en ville, et intervient à Al Azhar à chaque opération cardiaque chez des enfants. Aujourd'hui, elle est très en colère envers l'hôpital Mustapha, le grand établissement public d'Alger : « Je viens de leur envoyer une femme enceinte au 7e mois qui a besoin d'une césarienne immédiate. Mais comme ils n'ont aucun chirurgien de libre, ils lui ont dit de revenir dans cinq jours ! » C'est dans ces cas-là que les cliniques privées interviennent. « Sauf que dans le privé, les césariennes ne sont pas remboursées par la sécurité sociale. Et cette femme n'a pas les 700 euros que ça coûte ! » « En Algérie, précise Rabia, les hôpitaux publics sont de très bon niveau. Mais comme ils sont gratuits, ils sont surchargés. Alors les gens s'endettent et viennent dans le privé. » Là, tout devient payant : une appendicite coûte 70 000 dinars (700 euros), une prothèse de hanche 200 000 dinars (2 000 euros), une journée d'hospitalisation 6 000 dinars (60 euros, hors traitement)...

Calme journée

15 heures. Les familles des malades commencent à arriver dans le service. Finalement, le pontage a été reporté au lendemain. « Le dossier médical du patient n'est pas complet. Mais comme la famille habite Tizi Ouzou [la capitale de la Kabylie, située à 100 km d'Alger], ils ne vont apporter les pièces que tard ce soir », explique Rabia. Après cette calme journée, elle quitte l'établissement à 17 heures. L'équipe de nuit est déjà en place.

Minuit. Rabia a passé sa soirée à zapper sur les chaînes françaises captées par satellite, comme la plupart de ses compatriotes. Avant de s'endormir, elle n'a pas besoin de régler son réveil. Elle sait que demain matin, elle se réveillera à cinq heures. Comme toujours.