Planches de salut - L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 236 du 01/03/2008

 

bande dessinée

Dossier

Le neuvième art peut-il aider les infirmières à améliorer leur image ? Souvent discrètes dans les albums, elles retrouvent parfois des couleurs dans les récits des patients.

Ni bonnes, ni connes, ni cochonnes ! Dans le milieu masculin de la bande dessinée, les clichés sur les infirmières ont longtemps proliféré. Timides, maladroites ou aguicheuses, les infirmières voient rarement leur profession valorisée dans les albums, lorsqu'elles n'en sont pas tout simplement absentes.

La maladie, la folie, la douleur, le soin offrent pourtant à l'auteur un large répertoire de ressources narratives, auquel les réalisateurs de séries télévisées et de cinéma n'hésitent pas à recourir. Alors, pourquoi une telle discrétion ?

Réflexe de classe

Certes, les personnages de bande dessinée exercent rarement une profession trop spécifique. Peu ont un lieu de travail fixe et contraignant, certains semblent n'exercer aucune activité rémunérée. Et lorsque le héros a une profession, son autonomie est souvent large : on compte ainsi beaucoup de détectives (Jérôme K. Jérôme Bloche, Gil Jourdan) et de journalistes (Tintin, Ric Hochet).

Les dessinateurs ont-ils peur que l'intrigue s'essouffle, dans un cadre professionnel trop contraignant ? Certains critiques expliquent plutôt cette attitude par un réflexe de classe : les auteurs de bande dessinée, qui appartiennent à la petite bourgeoisie, rechigneraient à représenter des salariés, surtout s'ils exercent une profession difficile et mal payée. Quelle que soit l'origine des auteurs de bande dessinée, « la fonction sociale qu'ils occupent en fait des travailleurs intellectuels, improductifs de richesses matérielles », écrivait Wilbur Leguebe dans La Société des bulles, en 1978. Pour eux, « l'exercice d'une profession n'est pas indispensable pour gagner sa vie, ne correspond pas à une nécessité économique, mais représente plutôt un passe-temps, un moyen de se réaliser, de révéler sa personnalité ». Le héros de bande dessinée, conclut Wilbur Leguebe, est « responsable de son travail, il le maîtrise pleinement. Il peut à tout moment prendre des initiatives ».

Underground

L'infirmière n'est pas pour autant représentée en porte-drapeau du prolétariat, ou alors sur un ton très ironique. C'est le cas, par exemple, de Yeun Ok, infirmière héroïque, album underground réalisé en 1984 par Romain Slocombe. Yeun Ok est une jeune infirmière nord-coréenne, qui s'engage sur le front pendant la guerre de Corée, en 1950. « J'ai voulu parodier un opéra nord-coréen, qui s'appelle Une véritable fille du Parti, où une infirmière communiste joue effectivement le rôle principal », se souvient l'auteur. L'intrigue laisse la place à l'insolite : tout en soignant et en parlant de politique ou de la situation militaire sur le front, l'héroïne se laisse aller à des positions lascives. Le choix du thème et du personnage, Romain Slocombe l'explique par une autodérision sur le thème de son passé maoïste, mais aussi par une fascination esthétique pour l'univers hospitalier : « Je trouve qu'une infirmière, dans sa blouse blanche traditionnelle, c'est très beau sur un dessin. ça souligne par contraste que la réalité de l'hôpital est beaucoup moins drôle. » Sur le front nord-coréen, la situation ne prête pas non plus à rire pour Yeun Ok, qui meurt en martyre sous les balles d'un « pilote yankee démoniaque ».

Clichés sexistes

Au-delà d'une hypothétique discrimination sociale, la représentation des infirmières dans les bandes dessinées est surtout parasitée par les clichés sexistes. En dehors de la bande dessinée pour adultes, les femmes sont peu nombreuses à occuper les premiers rôles, et lorsque c'est le cas, il est rare que les auteurs s'attardent sur leur situation professionnelle. Dans les années 1970, quelques personnages font exception : Yoko Tsuno, l'électronicienne dessinée par Roger Leloup, et Natacha, l'hôtesse de l'air, de François Walthéry et Gos. Ces héroïnes sont représentées dans leur cadre professionnel, ne sont pas apparemment pas mariées et ont pourtant une vie épanouissante.

Orgies à l'hôpital

Dans la BD, le fait est rare. Suffisamment rare pour qu'un dessinateur français, Alain Bouteville, essaie de tourner le personnage de Natacha en dérision en signant, sous le pseudonyme de Jaap de Boer, un pastiche intitulé Nathalie, la petite hôtesse, où l'héroïne apparaît plus souvent seins nus qu'en tenue de travail. Fort du succès de son album, Alain Bouteville récidive en 1988 avec Magali, la petite infirmière, où l'intrigue policière (un trafic international de traite des blanches à l'hôpital) est surtout un prétexte aux ébats de Magali avec son petit ami, les infirmiers, un médecin et diverses personnes dans la salle de garde, où se déroulent de mystérieuses orgies.

Plus volontiers que la BD pour enfants, les dessinateurs d'albums « pour adultes » mettent en scène les infirmières, le plus souvent pour évoquer des intrigues sans rapport évident avec la pratique paramédicale. Sous le pseudonyme de Chris, le dessinateur Xavier Musquera signe dans les années 1980 une série d'albums intitulés Angie, infirmière de nuit. L'héroïne « passe d'un malade à l'infirmier de service sans se poser beaucoup de questions », décrit Henri Filippini, auteur du Dictionnaire de la bande dessinée (Bordas).

Dans la même veine, mais avec plus d'humour, le dessinateur français Hugot a offert depuis 1997 aux lecteurs de Fluide glacial les souvenirs de jeunesse de Pépé malin. Les planches se présentent toujours sur le même modèle : à la première case, un vieillard invalide confie à ses deux infirmières aux formes généreuses : « Quand j'étais jeune, j'avais un truc pour tripoter les filles. » S'ensuit le récit de ses aventures improbables, où le satyre parvient à ses fins en profitant de la naïveté des jeunes femmes qu'il rencontre. « ça renvoie au fantasme de l'infirmière nue sous sa blouse et toujours disponible », admet Hugot, qui se défend de tout machisme : « Les situations ne sont pas crédibles, et supposent que les femmes soient naïvement complices du dragueur. Les aventures de Pépé malin se situent quand il était jeune, dans les années 1940-1950. Ce décalage permet d'éviter les connotations sexistes. »

Romances américaines

Le recours aux clichés n'est pas l'apanage de la bande dessinée pour adultes. Dès les années 1950, dans la foulée de la comédie musicale South Pacific, dont l'héroïne est une infirmière, paraissent aux États-Unis des nurse romances. Ces albums, destinés à la classe moyenne américaine, mettent en scène des histoires d'amour entre infirmières et médecins. Il en est ainsi dans The Heart of Juliette Jones, de Stan Drake, en 1953. La multiplication des feuilletons à l'eau de rose dans les programmes de télévision consacre le genre dans les années 1960, et popularise la figure de l'infirmière dévouée et soumise au docteur. Le lieu d'exercice est plus varié que réaliste : aéroports, parcs d'attraction, universités, stations de ski...

Dans un genre un peu différent, Night Nurse, de Jean Thomas et Winslow Mortimer, promettait à ses lectrices « du danger, du drame et de la mort » en intégrant une intrigue policière et une critique sociale de la société new-yorkaise. À travers ses quatre numéros, parus entre 1972 et 1973, la série relate les aventures de trois colocataires infirmières au Metropolitan General Hospital, Linda Carter, Georgia Jenkins et Christine Palmer. Dans Night Nurse, les trois infirmières sont des femmes libérées, combatives et indépendantes. Linda Carter quitte son riche amoureux lorsque celui-ci lui demande de choisir entre lui et l'hôpital, Georgia Jenkins exerce bénévolement dans son quartier d'origine pendant ses jours de repos. Quant à Christine Palmer, en rupture avec sa famille, le métier d'infirmière lui permet de refuser l'argent de son père.

Histoires franco-belges

La bande dessinée franco-belge a, elle, mis plus de temps à s'intéresser aux soignantes. Il arrive certes que le personnage principal soit une infirmière en devenir, comme Line, une étudiante sage aux cheveux longs, dessinée par Paul Cuvelier, au début des années 1960. Mais le cursus de la jeune fille est négligé par la narration. Dans La Caravane de la colère (Le Lombard, 1973) l'héroïne est envoyée aider un médecin biologiste qui s'occupe... des animaux d'un cirque, où le clown a des démêlées avec la police. Et lorsque, dans Piège au diable (1964), elle apporte les premiers secours aux passagers d'un avion accidenté, son sens de l'initiative reste mesuré : « Rassurez-vous, un médecin viendra bientôt », dit-elle après avoir donné un cachet à un blessé.

Les choses commencent vraiment à changer avec Les Femmes en blanc (Dupuis), série franco-belge dont le premier tome sort en 1986. Pour la première fois, le soin est le pilier de la narration, l'intrigue se déroule à l'hôpital et les thèmes abordés, comme la pénurie, l'image de la profession ou encore les conflits sociaux, sont typiquement infirmiers.

L'humour, potache, est à l'image des jeux de mots qui ont fait la notoriété des albums suivants : Gaze à tous les étages, Les jeunes filles opèrent, Le drain sifflera trois fois, Au diable la varice... Le titre Les Femmes en blanc, lui, est un clin d'oeil aux Hommes en blanc, une série de romans d'André Soubiran qui met en scène des médecins. Le titre donne le ton : pour une fois, les héroïnes de l'hôpital seront des infirmières.

Le pari était risqué : « À l'époque, les bandes dessinées à thème n'existaient pas, relève Bercovici, le dessinateur. Et curieusement, les réactions ont été tout de suite très positives, notamment parmi les soignants. » Les infirmières avaient de quoi être surprises : pour une fois, elles n'apparaissaient pas sous forme de fantasmes formatés pour le lectorat masculin. « Il n'a jamais été question de faire quelque chose de suggestif, insiste le dessinateur. Je pense que quand la BD essaie d'être érotique, c'est rarement réussi. Dès le début, on a voulu mettre l'accent sur le vécu, sur l'humour et sur la parodie de situations réelles. »

L'idée des Femmes en blanc vient de Raoul Cauvin, scénariste belge. Au début des années 1980, il est hospitalisé dix jours à l'hôpital Érasme, à Bruxelles. « Ma chambre était située à côté du local des infirmières, et j'entendais tout ce qui se passait, qui rentrait, des accidentés aux delirium tremens. »

Gaffeuses et cyniques

Selon les auteurs, Les Femmes en blanc constituent sans conteste un hommage aux infirmières. « À l'hôpital, elles sont mal considérées, ont des horaires épouvantables, et sont toujours en première ligne lorsqu'il y a un problème et qu'il faut un responsable », souligne Raoul Cauvin. Dans les albums, pourtant, l'infirmière n'est pas toujours à son avantage : maladroite, démotivée, cynique... « c'est la gaffeuse qui est intéressante, qui permet de faire de l'humour », explique le scénariste.

« La série est très drôle, convient Arnaud Bassez, infirmier anesthésiste et lui même auteur de bandes dessinées(1). Mais on tombe malgré tout dans la caricature habituelle de l'infirmière : une femme, un peu cruche, qui fait des bourdes entraînant l'ire du docteur Minet, un homme. Le propos reste le rire, il faut le prendre au degré qu'il convient. »

Reste que pour chaque album des Femmes en blanc les auteurs se livrent à un véritable travail de documentation. « Je trouve souvent mes idées de gags dans ce que me racontent les infirmières, ou avec ce que je lis dans la presse médicale, résume Raoul Cauvin. Une main greffée sur un ventre en attendant de pouvoir la regreffer, une opération chirurgicale réalisée en apesanteur, ça me donne des idées. » Son opération préférée ? « L'appendicite, parce que ce n'est pas grave. » Pour garder un ton caustique, Cauvin reconnaît éviter les sujets trop sensibles, comme le racisme ou la religion à l'hôpital.

Escarres et jalousie

Cet esprit de dérision a fait des émules. Harty, auteur de plusieurs albums qui passent en revue les différentes professions (dentistes, patrons, profs, policiers), propose dans Les Infirmières illustrées de A à Z (Soleil, 2006), des personnages qui ressemblent aux Femmes en blanc. Les infirmières y sont décrites comme râleuses, maladroites, étourdies, blasées... Un lexique tente de cerner l'univers hétéroclite des infirmières : « fesses », « fantasme » et « jalousie » côtoient « formation continue », « escarres » et « infection ». Un effort de documentation a indéniablement été accompli. À l'entrée « grève », Harty fait allusion au « sitting » des infirmières devant le ministère de la Santé, entre 1991 et 1996 : « Les grèves d'infirmières sont parmi les plus populaires de France. Elles peuvent camper dans la capitale, les Parisiens leur offrent le café. » Mais le traitement « grand public » trouve aussi ses limites : publié en 2006, l'album ne parle pas des Ifsi mais des « écoles d'infirmières ».

L'humanitaire en solitaire

Au-delà du soin lui-même, c'est l'univers associé à l'infirmière qui attire une nouvelle génération d'auteurs. La carrière humanitaire, par exemple, offre une source d'inspiration inépuisable. Véra Michaïlov, héroïne de la série El Niño (Humanoïdes Associés), en cinq tomes, occupe ainsi, au début de ses aventures, un poste d'infirmière à la Croix-Rouge. Envoyée en Afrique, sa mission tourne mal. À bout de nerfs après avoir découvert un charnier et échoué à ranimer un petit garçon blessé par balle, le médecin est obligé de faire une piqûre à l'infirmière pour la maîtriser.

Christian Perrissin et Boro Pavlovic se gardent bien de toute complaisance envers le milieu humanitaire : dès la fin de sa mission, l'infirmière piétine toutes les règles de l'organisation internationale et se sert de son statut pour partir, en toute illégalité, à la recherche de son frère jumeau. El Niño est un des rares albums où le personnage principal est une infirmière alors que l'intrigue ne repose ni sur le soin, ni sur la maladie, ni sur l'hôpital. « Je pense qu'elle aurait pu être journaliste ou écrivain sans que ça ne change grand-chose », relève l'infirmier Arnaud Bassez.

Les fantômes du sanatorium

Dans l'album Pandemonium (Humanoïdes Associés, 2007), c'est l'atmosphère fantastique et angoissante du sanatorium de Wawerly Hills, dans l'Amérique des années 1950, qui sert de toile de fond à l'intrigue. Dans cet établissement, plus de 63 000 personnes sont mortes de la tuberculose entre 1920 et 1960. « J'ai découvert que beaucoup de légendes plus ou moins fondées circulaient autour de ce lieu aujourd'hui en ruine. Il a la réputation d'être hanté, explique Christophe Bec, le scénariste. Ce sanatorium était isolé de tout, caché dans les bois, tout le monde savait que c'était un mouroir, mais personne ne voulait savoir ce qu'il s'y passait réellement. Il y a eu des dérives : chirurgie exploratrice, détournement de fonds... Les malades n'ont pas été toujours très bien soignés. » Dans la chambre 502 de ce sanatorium, une infirmière enceinte a été retrouvée morte, pendue. Dans l'album, dont l'intrigue se situe en 1951, son fantôme apparaît à Cora, petite fille malade de la tuberculose, dont la mère, Doris, exerce en tant qu'aide-soignante au sanatorium. Le choix de la profession de la mère obéit surtout à des considérations scénaristiques : « Un personnage d'aide-soignante permet d'être au coeur de l'hôpital, à l'intérieur même du lieu, ayant quasiment toutes les clefs, et donc pouvant naviguer aisément dans ce lieu clos. »

L'hommage des patients

Finalement, les infirmières, ce sont peut-être les patients qui en parlent le mieux. Dans Cancer and the City (L'Iconoclaste, 2007), Marisa Acocella Marchetto, illustratrice pour le New Yorker et pour Glamour, raconte son combat contre le cancer du sein. Tout va pour le mieux pour la narratrice, jusqu'au jour où son médecin découvre la tumeur lors d'un examen de routine. Pendant sa chimiothérapie, elle fait la connaissance des « infirmières spécialisées » Mary-Ann et Colleen, sa « piqueuse préférée ». Marisa fraternise vite avec les soignantes : c'est avec Mary-Ann que l'héroïne choisit de discuter régime, effets secondaires et fertilité. À la fin de la chimio, Marisa retrouve les infirmières à une terrasse de restaurant pour partager des discussions futiles.

Le Cancer de Maman (éditions ça et là, 2007), autre bande dessinée autobiographique venue des États-Unis, donne également à une soignante un rôle de première importance. Et pour cause : c'est à la mère d'une infirmière que les médecins découvrent une tumeur au cerveau et un cancer du poumon. « Petite soeur », « soeur infirmière » et le narrateur, Brian Fies, soutiennent leur mère pendant sa chimio. L'histoire donne une image contrastée de la profession : « Soeur infirmière sauve le rein de Maman en s'occupant d'une intraveineuse à la place d'une infirmière qui ne comprend pas les ordres du docteur, raconte Brian Fies. L'infirmière sort en larmes, mais Maman va bien. » « Soeur infirmière », elle, joue sur l'ambiguïté de son rôle : sous prétexte de secret professionnel, elle refuse de mettre au courant le père, brouillé avec la famille : « Je pourrais perdre ma licence », argumente-t-elle. L'épilogue donne une image désabusée de la profession : « Soeur infirmière va obtenir sa certification pour pallier l'insatiable besoin de Los Angeles en épilations laser et traitement des rides », persifle Brian Fies.

Peluche à la machine

L'image des infirmières est meilleure dans Sam à l'hôpital, récit illustré de Marianne, 13 ans, hospitalisée pour une leucémie. C'est Sam, un petit chien, qui « joue » le malade dans cet album inclassable, édité par l'association Petits Princes. Sam aussi entretient de bons rapports avec ses trois infirmières, Cathy, Martine et Marie-Pierre. Même si elles exigent de lui « faire des piqûres dans les fesses », de passer sa peluche à la machine pour la décontaminer et décident de le mettre à jeun pendant huit jours d'affilée. Ou qu'elles laissent Sam grelotter pendant trois quarts d'heure pour cause de « relève ». Au fur et à mesure du récit, Marianne maîtrise de mieux en mieux l'art de la bande dessinée. Après un passage au festival d'Angoulême, le dessin gagne en précision, les cases changent de forme et de dimensions.

« Putain d'infirmière ! »

Dans la bande dessinée comme à l'hôpital, ne faut-il attendre de la reconnaissance que du patient ? Lorsque la bande dessinée s'intéresse aux infirmières sous un autre angle que celui du fantasme, l'image est généralement positive. Mais tout n'est pas gagné d'avance : certains sont même traumatisés par leur rapport aux soignants. Dans l'album Soupe froide, de Charles Masson (Casterman, 2003), qui donne la parole à un SDF, par exemple. Le héros impute la responsabilité de sa situation à l'attitude d'une infirmière, qui lui aurait, un soir, servi une soupe froide. La première phrase de l'album tient lieu de leitmotiv : « Putain d'infirmière ! »

1- Arnaud Bassez est, avec le dessinateur Stéphane Censi, l'auteur des Archives secrètes de Venise, série de douze tomes en attente d'édition.

À retenir

> Les dessinateurs, souvent des hommes, sont rares à choisir des femmes comme personnages centraux.

> Sociologiquement, les dessinateurs ne sont pas proches des soignants.

> Les infirmières sont souvent représentées de façon suggestive dans les albums.

> La relation de soin est surtout valorisée dans les récits des patients et de leurs proches.

sociologie

NOS AMIS LES FLICS

Orageuses, les relations avec les forces de l'ordre ? Dans la fiction policière, le soignant est souvent celui qui, sous prétexte de protéger le patient, fait obstacle à l'enquête. Sur le terrain, pourtant, les frictions sont rares. « Il y a au pire un peu de rouspétage, quand on amène quelqu'un à l'hôpital, et qu'il est toujours dans le couloir une heure après, relève Bénédicte Desforges, agent de police et auteur du livre Flic (Michalon, 2007). Mais j'ai rarement entendu un collègue me dire « J'ai eu une embrouille avec une infirmière. » Pas d'alliance objective entre le soignant et le patient contre le policier, donc. Il régnerait même avec les hospitalières... un parfum de solidarité : « On appartient tous à la fonction publique, alors on se serre les coudes. Quand il y a un conflit social, les infirmières font souvent grève quand nous ne pouvons pas. Et lorsqu'un collègue est blessé, elles sont super sympa, elles le font passer avant tout le monde. » Une complicité parfois encore plus intense : « Énormément de flics sont maqués avec des infirmières. On a tous des horaires de fous, ça aide. »

Bibliographie

> La Société des bulles, Wilbur Leguebe, La Vie ouvrière (Bruxelles), 1977.

> La Santé dans les bandes dessinées, Philippe Videlier et Pierine Piras, CNRS, 2007.

> Dictionnaire de la bande dessinée, Henri Philippini, Bordas, 2005.

> Encyclopédie de la bande dessinée érotique, Henri Philippini, La Musardine, 2006.

sida

UN ALBUM À L'INDEX

Jo, album de Derib publié en 1991 par la Fondation pour la vie, a suscité de sérieuses réserves de la part du Conseil national du sida, qui s'est opposé à ce que l'album serve de support à des actions de prévention, malgré les soutiens de Jack Lang et de l'abbé Pierre. En ligne de mire, notamment, le discours de l'infirmière, qui, sous couvert de bons sentiments, établit une distinction entre les patients selon que leur contamination par le VIH est « injuste » ou non. Dans la catégorie des victimes innocentes, les personnes transfusées et les nourrissons contaminés par leur mère. En revanche, lorsqu'il s'agit de représenter des toxicomanes, ou un malade bisexuel, Derib choisit des couleurs sombres et des visages inquiétants. Autre défaut, également épinglé par l'Agence française de lutte contre le sida : les allusions au préservatif sont rares. En 79 planches, on n'en compte que quatre, parfois indirectes. La conclusion tirée par le Conseil national du sida en avril 1992 est sans appel : l'ouvrage, en dépit de ses qualités, « ne [...] paraît pas comporter un véritable message de prévention clair et rationnel ».

psychiatrie

INTERNÉS DE FORCE

L'hôpital psychiatrique est-il une simple variante de la prison ? Dans la bande dessinée, la dimension carcérale prend souvent le pas sur le soin. L'internement en institution psychiatrique est presque un passage obligé pour le héros, qui s'y retrouve enfermé contre son gré. Tout au long de ses 23 aventures, Tintin ne croise d'ailleurs d'infirmiers que dans Les Cigares du Pharaon (Casterman, 1934) où le jeune héros se retrouve enfermé, en Inde, dans un asile, à la suite d'un complot impliquant un médecin. Dans ce contexte, l'infirmière psy applique en général les ordres du pouvoir médical, et refuse de croire le patient lorsque celui-ci affirme qu'il n'est pas fou. C'est le cas, par exemple, dans Dock 21 (Dargaud, 1993) : Jack Forester, le héros, se retrouve du jour au lendemain interné de force dans une clinique, où des médecins cherchent à le soigner de ses « tendances schizoïdes ». Lorsqu'il tente de s'évader, l'infirmière de garde donne l'alerte et participe à la course-poursuite (ci-dessus).

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