L'observance mieux conseillée - L'Infirmière Magazine n° 237 du 01/04/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 237 du 01/04/2008

 

sida

Enquête

Aujourd'hui, de plus en plus d'infirmières sont formées à l'éducation thérapeutique et à l'aide à l'observance. Zoom sur cette pratique préventive dans l'accompagnement des malades du sida.

«Quand on sait qu'il faut au moins 90 à 95 % d'observance pour que le traitement contre le sida soit efficace, on comprend plus facilement l'intérêt des consultations d'éducation thérapeutique et d'aide à l'observance », affirme Martine Schlossers, infirmière d'observance thérapeutique, référente de la consultation au Cisih (Centre d'information et de soins de l'immunodéficience humaine) de l'hôpital Nord de Marseille.

Dans ce service, la consultation est basée sur le modèle mis en place par l'association « Comment dire », de Catherine Tourette-Turgis (1). Infirmière et enseignante-chercheur en sciences de l'éducation (université de Rouen) et pionnière en France dans le champ de la consultation d'observance HIV, elle insiste sur l'importance « de l'acte d'éducation thérapeutique, sur la notion de rencontre et d'écoute, et d'acceptation par le malade de l'impact du sida sur les différentes sphères de sa vie. La consultation d'aide à l'observance est centrée sur le patient et non sur l'objectif thérapeutique. Dans la même démarche, nous avons mis au point des consultations téléphoniques pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer à l'hôpital, et nous prenons régulièrement de leurs nouvelles. »

Écoute active

L'un des outils utiles à la mise en application de ce modèle est le « counseling », méthode d'écoute active basée sur la reformulation et permettant de recentrer la personne sur ses problèmes (2). « J'ai été initiée au counseling par Jackie Schneider, "counselor" formée en Angleterre, raconte Martine Schlossers. Mon poste est dédié à l'observance thérapeutique, mais mon activité est plus vaste que les consultations. Je consacre une part importante de mon temps à faire du lien téléphonique, à aller au chevet des patients hospitalisés et à suivre des grossesses de femmes séropositives. Le point commun entre ces différentes activités est l'éducation thérapeutique et l'observance. »

« Je crois foncièrement à l'intérêt de l'approche du counseling dans les consultations VIH, mais peu de gens y sont vraiment formés et ont un espace dédié ainsi que le temps pour le faire, déclare le Dr Michel Ohayon, coordinateur médical de Sida Info Service. Ici, tous nos écoutants sont formés au counseling. Nous faisons un travail de relation d'aide basé sur des entretiens téléphoniques pour l'ensemble de nos appelants, quels que soient le motif ou la ligne appelée. Le téléphone permet d'apporter une offre importante et autre que celle de l'hôpital. On travaille jusqu'à 21 heures et on pense étendre davantage nos horaires le soir. »

Les progrès accomplis tant au niveau des molécules (polythérapies) que du nombre de prises de comprimés par jour ont amené de nouveaux enjeux : la nette amélioration de l'espérance de vie des patients s'accompagne d'un phénomène de lassitude par rapport au VIH et à la prise de traitement. « Certains prennent des traitements contre le sida et l'hépatite C, ce qui est lourd et complexe à gérer. Quand on voit que de nombreuses personnes ne respectent pas un traitement antibiotique banal de cinq jours, on comprend mieux les difficultés des patients co-infectés et traités à vie, poursuit Jackie Schneider, aujourd'hui formatrice en counseling sur le VIH et responsable de l'association Access à Marseille. Et puis certains paramètres sont des freins à l'observance : la stigmatisation du sida, l'indicibilité sociale de la séropositivité, les effets secondaires, comme les lipodystrophies, les diarrhées, etc. Le counseling est la clé d'une approche globale de la personne qui prend en compte tous les aspects de sa vie : psychique, spirituel, corporel, sexuel, environnemental, professionnel. »

« Aïkido »

« C'est le contraire d'une attitude paternaliste, estime Chantal Vernay-Vaisse, médecin chef de service, responsable du CDAG (centre de dépistage anonyme et gratuit) des Bouches-du-Rhône. Notre objectif est de rendre le niveau de risque de la personne aussi bas que possible. Le counseling, c'est un peu comme l'aïkido : ce n'est pas notre force mais celle du patient que nous utilisons dans une situation donnée. Le counseling est encore plus important dans le domaine de la prévention que dans celui du soin. Car les inégalités dans l'accès à la prévention sont plus importantes que les inégalités dans l'accès aux soins. »

Bien que présentes dans un nombre croissant d'hôpitaux et dans certaines associations, les consultations d'éducation thérapeutique et d'observance ne sont pas encore suffisamment prescrites en amont du premier traitement. « Or, l'enjeu de ces consultations avant la première ligne de traitement est majeur, reprend le Pr Laurence Weiss, du service d'immunologie clinique de l'Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), car on sait que si le patient non observant passe à une deuxième ligne thérapeutique, il aura développé des résistances. Le phénomène d'échappement thérapeutique se produit alors, ce qui rend la deuxième ligne de traitement plus difficile et moins adaptable aux contraintes de vie du patient. »

Éviter les risques

« Aujourd'hui, tout patient qui arrive dans le service entre dans le programme d'éducation thérapeutique et d'aide à l'observance, ajoute le Dr Didier Laureillard, du service d'immunologie clinique de l'HEGP. « L'objectif est de faire en sorte qu'il ait une qualité de vie acceptable avant la mise en marche du traitement. Nous sommes passés de 40 consultations en juin 2007 à 500 en décembre 2007. Notre objectif est de réussir à suivre 1 500 personnes, sachant que la fréquence des consultations décroît en général avec le temps. »

« Nos méthodes ont beaucoup évolué, souligne Catherine Chambard, infirmière au Cidag depuis 1991, et qui dédie une partie de son temps aux entretiens de pré-dépistage du Cidag. Il s'agit de faire en sorte que le patient ne se remette plus dans une situation à hauts risques. Lors de cet entretien, on essaie de comprendre la demande du patient, ses problèmes et ses questions liées au VIH, aux hépatites et aux MST, le but étant de permettre à la personne de se poser les bonnes questions et de trouver ses propres solutions. Pour les entretiens post-dépistage, c'est le médecin qui rencontre le patient car il lui donne aussi le résultat des tests et éventuellement un traitement. »

Chaque service a son organisation. En immunologie, à l'HEGP, Éliane Thieffry, cadre supérieur de santé, décrit le cahier des charges des cinq premières consultations précédant la mise en route du traitement. La première séance permet de se présenter et d'apprendre à se connaître. L'infirmière évalue au cours de la deuxième séance ce que connaît le patient de la maladie et elle abordera avec la troisième séance ce qu'il connaît des traitements. La quatrième séance est consacrée aux effets secondaires et la cinquième se concentre sur le mode de vie du patient et sur les moyens d'intégrer au mieux le traitement dans sa vie.

« À partir de la prise du traitement, on suit le patient régulièrement, fait observer Emmanuelle Borde, infirmière du service. On le voit en consultation à J0, puis on l'appelle à J3. Cet appel est très important car les patients tâtonnent encore et les premiers jours de traitement peuvent être mal vécus. On le voit ensuite à J15, le bilan sanguin à l'appui, puis à J30. Ensuite, les consultations s'espacent et ont lieu tous les trois mois. Mais ce déroulement est théorique : nous nous adaptons à chaque patient. »

Chacun son histoire

« On nous reproche parfois d'être un peu trop conciliants, ajoute-t-elle. Je donne parfois mon numéro de portable aux patients très angoissés. C'est nécessaire lorsqu'on sait qu'ils gèrent mal le nouveau traitement et ses effets secondaires. Nous travaillons main dans la main avec l'assistante sociale, car beaucoup de patients sont dans des situations de vie précaires, qui représentent un frein important à l'observance. Nous avons aussi la chance d'avoir un sexologue, un psychiatre, un psychologue et une diététicienne dans notre service, autant de spécialistes qui peuvent apporter des réponses aux questionnements des patients. »

Nombreux sont les patients séropositifs suivis depuis longtemps par un médecin hospitalier qui n'iront pas dire leurs doutes ou les nouvelles difficultés rencontrées avec la maladie et le traitement. « Ces patients vont davantage me parler de leur quotidien qu'ils ne le feront lors de la consultation médicale, confie Martine Schlossers. C'est l'histoire du patient qu'il faut tenter de comprendre si l'on veut pouvoir vraiment l'aider : l'histoire de la contamination, l'histoire médicale, l'histoire thérapeutique... les situations peuvent être complètement différentes d'une personne à l'autre. » Laurence Weiss va dans le même sens : « L'importance de la tierce personne dans l'éducation thérapeutique est essentielle car le patient ne veut pas décevoir son médecin dans la relation directe patient-médecin. » Et Catherine Tourette- Turgis d'ajouter : « N'oubliez jamais que la relation soignant-soigné est une relation asymétrique et que vos patients vous attribuent une autorité ou un pouvoir qui sont un véritable obstacle à cette étape de la rencontre. »

« Toute la vie »

Des consultations infirmières HIV-observance commencent à être dispensées à domicile. « Cela permet de voir l'environnement, le quartier, le style de vie du patient, et d'apporter des réponses ciblées à ses problèmes, témoigne Marie-Laure Daher, infirmière libérale travaillant pour le réseau de santé Mistral à Marseille. Ces visites ne peuvent qu'aller dans le sens du renforcement du suivi et d'une meilleure qualité de vie. La première visite peut durer plus longtemps car le patient raconte le vécu de la contamination et sa vie depuis. Je ne perds pas de vue les objectifs "secure", destinés à éviter les prises de risque du patient qui peuvent avoir des conséquences sur son pronostic vital. Nous ne remplaçons pas l'hôpital, bien sûr, mais nous sommes complémentaires. »

« L'aide à l'observance ne s'arrête jamais, reprend le Dr Laureillard (HEGP, service d'immunologie clinique). Cet accompagnement va durer toute la vie du malade, car on sait que l'observance parfaite, à 100 %, n'est pas naturelle. Le travail consistant à intégrer le mieux possible le traitement à la vie du patient est fondamental car on engendre une forme d'angoisse lorsque nous leur expliquons les risques de résistances s'ils prennent mal le traitement. Cela est d'autant plus délicat qu'avant de commencer le traitement, certains ne se sentent pas malades. »

«Plus-value »

« La disponibilité, l'écoute, représentent beaucoup de temps, de bon sens et énormément d'économies en vies humaines, poursuit-il. La mauvaise observance coûte beaucoup plus cher que la mise en place de consultations observance. Pourtant, elles ne sont pas codées dans notre activité, donc toujours pas reconnues. Je reste optimiste car, dans mon service, on se rend compte des économies de temps, d'énergie et de traitements faites grâce à ces consultations. Et puis pour les infirmières, c'est une véritable plus-value. C'est un travail difficile mais qui donne une position essentielle dans le soin, ainsi que dans les relations infirmière-médecin. »

1- Informations, contacts et documentation sur le site Web de l'association (http://commentdire.fr).

2- Lire Le Counseling, de Catherine Tourette-Turgis, PUF, coll. « Que sais-je », n° 3133.

santé publique

ENJEU LOCAL, DÉFI MONDIAL

Pour le Dr Laureillard (HEGP, Paris), l'intérêt de la consultation d'éducation thérapeutique et d'aide à l'observance n'est plus à démontrer, d'autant qu'elle fait partie des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (1). « Le seul moyen de soigner mieux, estime-t-il, c'est de prendre une approche à long terme, mélangeant technicité, écoute et rôle actif du patient. En France, j'ai l'impression que nous basculons dans une sorte de technicité idiote, alors que l'on peut faire beaucoup mieux. Aujourd'hui, on peut faire un scanner avant même d'avoir examiné le patient. »

« L'observance insuffisante est la raison principale pour laquelle les patients ne retirent pas tous les bienfaits qu'ils pourraient attendre de leurs médicaments, déplore le Dr Derek Yach, directeur exécutif pour les maladies non transmissibles et la santé mentale à l'OMS. Elle entraîne des complications médicales et psychosociales, diminue la qualité de vie des patients, augmente la probabilité de développer des pharmacorésistances et provoque un gaspillage des ressources. Au total, ces conséquences directes empêchent les systèmes de santé dans le monde entier d'atteindre leurs objectifs sanitaires. »

1- Rapport de OMS : Adherence to Long-Term Therapies, Evidence for Action, consultable sur Internet (http://whqlibdoc.who.int/publications/2003/9241545992.pdf).