L'ordre infirmier peine à démarrer - L'Infirmière Magazine n° 237 du 01/04/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 237 du 01/04/2008

 

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Peu de candidats, beaucoup de cafouillages. L'ordre infirmier est affaibli par la faible mobilisation et la menace d'une levée de boucliers.

Retard à l'allumage ou déroute annoncée ? Alors que les candidatures pour les élections départementales de l'ordre infirmier sont closes depuis le 10 mars, la plupart des Ddass n'ont pas assez de candidats par rapport au nombre de sièges à pourvoir. À Paris, la Ddass a recueilli 32 candidatures pour 28 postes à pourvoir dans le collège du public (dont la moitié de suppléants). Trois sièges de suppléants sur sept seront vacants pour le collège des libéraux, tandis que dans le collège des salariés du privé, tous les candidats sont assurés d'obtenir un siège de titulaire.

la mobilisation tardive

Quelques jours avant la date limite, notre site Internet (espaceinfirmier.com) sonnait l'alarme en annonçant les premiers chiffres des candidatures, communiqués par les Ddass. La mobilisation des derniers jours a permis aux organisateurs d'éviter le fiasco. Par exemple, la Guadeloupe, qui ne disposait d'aucune candidature quelques jours avant le scrutin, a trouvé in extremis assez de candidats pour deux de ses trois collèges.

Côté logistique, l'organisation a aussi connu de nombreux ratés. Dans le Rhône, un infirmier candidat dans le collège du privé reçoit un courrier de la Ddass l'invitant à choisir parmi les candidats du secteur public. Dans le Doubs, une infirmière attend le vendredi 7 mars pour recevoir l'appel à déposer sa candidature avant... le lundi 10 mars.

En outre-mer, la situation est encore plus difficile : après avoir transmis les candidatures au ministère de la Santé, la Ddass de Guadeloupe reçoit du courrier provenant d'autres îles de l'archipel. Envoyées dans les temps mais parvenues trop tard, ces candidatures seront-elles validées ? Quid des candidats qui ont oublié de mentionner leur ville, ou leur date de naissance ?

textes elliptiques

Les informations contradictoires n'ont pas simplifié la donne. Jusqu'aux derniers jours, plusieurs candidats, parmi lesquels certains avaient accompagné la création de l'ordre, restaient persuadés que seuls les élus aux élections départementales pourraient se présenter aux conseils régionaux et au conseil national. Il a fallu que la Dhos se repenche sur le texte d'origine, elliptique sur la question, pour écarter toute interprétation restrictive : pour se présenter, nul besoin d'être élu à un échelon inférieur.

l'épouvantail préel

Des rumeurs de toutes sortes ont aussi contribué à diaboliser l'ordre. « Instance directement issue de l'UMP », « racket organisé »... Certains s'en sont pris à la figure de Jean-Luc Préel, le député (Nouveau Centre) de Vendée à l'origine de la proposition de loi. L'objectif : ringardiser l'ordre infirmier, en rappelant les positions conservatrices du député sur la contraception, l'avortement, le Pacs...

À l'AP-HP, un tract signé par la CFDT, la CGT, FO et Sud prête à la future instance des arrière-pensées : « Les ordres professionnels sont souvent critiqués sur leur fonctionnement et les valeurs morales qu'ils portent, notamment leur opposition à la contraception et à l'IVG. » En guise de réponse, Jean-Luc Préel agite le chiffon rouge : « Ce sont les arguments habituels des communistes et de certains socialistes ! L'ordre défend la déontologie, il a donc un côté moral. Mais la morale n'est ni de droite, ni de gauche. »

une fronde annoncée

Plus inquiétant : la situation chez les kinésithérapeutes, en fronde contre leur ordre qui leur réclame une cotisation exorbitante [lire p. 18]. La situation pourrait-elle s'étendre à l'ordre infirmier ? Chez Sud, certains syndicalistes rêvent déjà d'une grève de l'encadrement des stagiaires, au cas où l'ordre interdirait d'exercice ceux qui refuseraient d'adhérer. Si la CFDT a clairement écarté cette idée, l'Unsa envisage déjà un boycott de la cotisation et laisse la porte ouverte à « toutes les modalités d'action ».

Dix ans d'indifférence

L'ordre infirmier n'en est pas à ses premiers ratés. En 1998, Jean-Luc Préel, député UDF, fait une première tentative. Sa proposition de loi est rejetée par la gauche, alors majoritaire au Palais-Bourbon. En 2003, le député fait une nouvelle tentative, mais ne parvient pas à convaincre son propre camp. Parmi les opposants se trouve une certaine... Maryvonne Briot, députée UMP, ex-cadre infirmière. Les raisons du scepticisme : la crainte du corporatisme et la cotisation. « L'expérience plutôt négative des sages-femmes en la matière n'est pas très encourageante », souligne-t-elle.

Changement de cap trois ans plus tard : Maryvonne Briot coécrit avec Richard Mallié (UMP) une proposition de loi pour... la création d'un ordre infirmier !

À l'Assemblée, le texte n'est pas l'occasion de grandes joutes oratoires : le 13 juin 2006 à 13 heures, c'est un hémicycle désert qui approuve l'ordre infirmier.

La loi part ensuite au Sénat, puis revient à l'Assemblée le 14 décembre 2006, où le texte définitif est adopté par les rares députés présents en séance. Il faudra attendre septembre 2007 pour que Mme Bachelot annonce, dans une réponse écrite à L'Infirmière magazine, les dates des élections de l'ordre.

A.L.G.

Les syndicats cachent leur joie

Surtout, ne pas se réjouir trop fort. Pendant le débat, chaque camp a accusé l'autre d'être coupé de la base. Et s'ils avaient tous raison ? « Moins de 1 % des infirmiers acceptent cette idée » d'ordre infirmier, dit Sud en citant la Coordination infirmière, l'Unaibode, le SNPI-CGC et le SNCH.

« Aux élections professionnelles, il a fallu un deuxième tour pour valider le scrutin, tellement la participation était faible », rétorque Michelle Bressand.

Ainsi, la CGT se garde bien de jubiler : « Nous sommes confrontés au même problème dans les syndicats : les infirmières n'ont pas le temps de s'investir, reconnaît Dominique Lahbib. On ne les entend pas, ça ne se sera pas plus le cas dans l'ordre que dans les syndicats. »

Pascal Martin, représentant de l'Unsa, évite aussi tout triomphalisme : « Je ne vais pas me féliciter d'un fiasco. On a vu clair dès le début, on savait que les gens se fichaient de l'ordre, on n'a même pas réussi à mobiliser contre. Tout ça est malheureux. » La participation ? « Elle sera très faible, pronostique-t-il, probablement entre 10 % et 12 %. »

La palme de la modération revient à la CFDT, dont certains adhérents sont candidats. Et l'appel à « tout mettre en oeuvre pour s'opposer à la mise en place des ordres professionnels »? « La CFDT n'a pas appelé au boycott du scrutin », nuance Michaël Deroche.

A.L.G.

Michelle Bressand, 59 ans, candidate à Paris

L'ordre infirmier est-il mal parti ?

Évidemment, j'aurais préféré qu'il y ait une vraie vague de candidatures ! Mais pour une première fois, ce n'est pas si mal. Il faut se rappeler que l'ordre, c'est du volontariat, et que les femmes ont souvent une deuxième vie après le travail !

Six syndicats ont appelé à s'opposer à la mise en place de l'ordre...

Ils ont tort. Il y a déjà tellement de problèmes à traiter ! Ils devraient se concentrer sur les revendications salariales. Je ne suis pas contre les syndicats, d'ailleurs, je suis adhérente à l'un d'entre eux. Mais ceux qui appellent au boycott obéissent à des consignes.

Si la participation est faible, craignez-vous qu'ils déposent des recours pour faire annuler le vote ?

Non. Il n'y a pas de seuil minimum de participation nécessaire pour valider le scrutin.

Le divorce entre les kinésithérapeutes et leur ordre professionnel est-il une menace pour l'ordre infirmier ?

Il n'y a pas de divorce entre les kinés et leur ordre, ils râlent juste parce qu'ils trouvent leur cotisation trop élevée. Les infirmières n'auront pas ce problème de cotisation, et le conseil national devra faire en sorte que la cotisation soit la moins élevée possible, en faisant des emprunts pour les investissements de départ. Les infirmières sont de bonnes gestionnaires ! Il me semblerait logique que la cotisation soit comprise entre 20 et 30 euros.

Envisagez-vous de vous présenter au conseil régional, puis au conseil national de l'ordre infirmier ?

Pour l'instant, je n'envisage que les élections départementales. Propos recueillis par A.L.G.

Christophe Debout, 40 ans, candidat en Haute-Savoie

À quoi attribuez-vous la faible mobilisation des candidats à l'ordre infirmier ?

D'abord, les infirmières n'ont pas une grande propension à s'engager dans des organisations associatives ou syndicales. D'autre part, comme c'est une structure nouvelle que les conseillers élus devront organiser de toutes pièces, il est difficile de se représenter l'engagement qui sera demandé aux élus. Enfin, il y a eu d'énormes difficultés au niveau des Ddass : des infirmiers qui n'obtiennent pas un renseignement, des candidatures refusées pour des motifs discutables, des documents en retard...

L'appel au boycott lancé par les syndicats a-t-il aussi pesé ?

Certainement, mais ce n'est qu'un facteur parmi d'autres.

La fronde des kinés risque-t-elle de toucher les infirmières ?

La cotisation est le point crucial du conflit. Je souhaite que les conseillers nationaux fassent le choix d'une option budgétaire permettant de mettre en oeuvre les missions de l'ordre à un coût le plus étudié possible. 5 ou 10 euros de plus ou de moins peuvent être déterminants. Les élus doivent garder en tête le revenu moyen des infirmières.

L'Anfiide, que vous présidez depuis 2002, va-t-elle présenter d'autres candidats ?

Chaque candidature est indépendante. Nous avons incité nos adhérents à se présenter et nous sommes associés aux initiatives du groupe Sainte-Anne. L'Anfiide a toujours milité pour l'ordre, mais nous avons été très neutres en termes d'affichage associatif.

Envisagez-vous de vous présenter au conseil national ?

Pour l'instant, je n'ai pas encore pris de décision en ce sens. Propos recueillis par A.L.G.

Thierry Amouroux, 44 ans, candidat à Paris

Pourquoi vous présentez-vous à l'ordre infirmier ?

J'ai siégé dans les instances internationales de la profession, et j'ai vu que, dans chaque pays, les ordres permettent de prendre en compte la dimension infirmière de la santé. En France, on est bons sur le curatif, mais on ne fait pas grand-chose sur la prévention, les soins de santé primaires, la relation d'aide et l'éducation thérapeutique.

Que pensez-vous de l'attitude des syndicats qui ont appelé au boycott ?

Ils devraient employer des arguments corrects. Dire « L'ordre, c'est Pétain », c'est faux et ça ne fait pas avancer les choses, comme faire croire que l'ordre partagera les idées sur l'avortement de Jean-Luc Préel. Le SNPI-CGC, dont je suis président, a milité pour cette création. On peut être un militant syndical et être favorable à l'ordre. C'est la même démarche : agir pour ne pas subir.

Pourquoi y a-t-il eu si peu de candidats ?

Il y a très clairement eu un problème de communication. Pas de campagne nationale, pas d'affiche du ministère... La peur de l'inconnu a aussi joué. Moi, je trouve que c'est une expérience formidable d'être des pionniers, alors que dans quelques années, tout risque d'être codifié par les habitudes ou les règlements intérieurs !

Serez-vous candidat au conseil régional et au conseil national ?

Je suis un pragmatique, je me concentre déjà sur l'étape du conseil départemental. Propos recueillis par A.L.G.