De l'autre côté de l'aube - L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008

 

Séverine Perriau

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Rencontre avec

Après avoir exercé plusieurs années en équipe de nuit au sein du Samu social de Paris, Séverine Perriau soigne désormais les sans-abri à l'accueil de jour du XIIe arrondissement. Deux facettes très différentes d'un même métier.

«Chaque matin, on ramenait le camion à 5 h 30 au lieu de 4 h 30, l'heure réglementaire. Pour moi, le travail de terrain était tellement plus urgent que le rapport de transmission, que je ne pouvais pas passer devant une personne sans abri à 4 h 35 du matin sans m'arrêter... Ces retards m'ont valu le surnom de Miss Catastrophe ! Au bout de trois ans, en 2005, j'ai démissionné de l'équipe mobile d'aide de nuit du Samu social », se souvient Séverine Perriau.

« on se sent isolé »

« Chaque jour, j'étais révoltée. Chaque jour, j'étais frustrée, poursuit-elle. Révoltée car la nuit, on voit beaucoup de gens vivant dans la grande précarité, dans la rue. Frustrée car l'aide que l'on peut leur apporter n'est qu'à court terme. Et puis, ces personnes sans abri ne sont pas en demande de soins. La nuit, sauf urgence vitale, leur but est de manger et de trouver un abri. On essaie de tisser des liens, mais on se sent impuissant face à leurs vrais problèmes. On les retrouve le lendemain au même endroit, dans la même situation, voire pire. »

En deux ans et demi passés avec l'équipe de nuit, la jeune infirmière a rencontré beaucoup de personnes dont la santé physique et psychique s'est dégradée très vite. Face à cette réalité, dit-elle, « on se sent isolé. Cela ne signifie pas qu'on est seul, car les maraudes se font toujours à trois, avec un travailleur social, un chauffeur et une infirmière. Cependant, c'est totalement différent du travail pluridisciplinaire d'une équipe soignante ».

La rue, la nuit, est un concentré de tous les problèmes. « On se demande comment une société dite développée, évoluée, et riche comme la nôtre peut ne toujours pas avoir trouvé de réponse adaptée à la grande précarité. Comment peut-elle laisser ces gens de côté, sans s'interroger ? Et puis, nous sommes aussi confrontés à des situations violentes, comme les gens qui nous appellent pour que nous venions "vider leur perron"... »

accueil sans conditions

Toutes ces raisons ont concouru à son départ du Samu social. Pendant un an, Séverine Perriau a rejoint l'association Le Refuge, à Pantin (Seine-Saint-Denis), en accueil de jour. « L'équipe comprenait une assistante sociale, un psychologue, un juriste, une "femme-relais", trois animateurs et une infirmière. Pendant cette année, j'ai fait le même travail que celui que je réalise aujourd'hui. La seule différence, c'est qu'il n'y avait pas de médecin dans l'équipe. »

En 2006, retour au Samu social, mais de jour, dans l'espace Solidarité-Insertion situé à l'Hospice Saint-Michel, dans le XIIe arrondissement de Paris. Ce lieu d'accueil, ouvert en semaine de 13 h 15 à 17 h 15, est également un lieu de soins et d'écoute des adultes vivant dans la grande précarité. Les personnes les plus désocialisées y sont reçues sans conditions, en respectant leur anonymat. « Nous n'avons pas vraiment de journée type, explique Séverine Perriau. Chaque jour, nous sommes - l'assistante sociale, l'infirmière et la psychologue - à l'accueil de 13 h 15 à 14 heures, afin de faire émerger les demandes des personnes présentes. Les personnes SDF viennent d'elles-mêmes ou peuvent être accompagnées par d'autres partenaires, tels que la mission Solidarité de la RATP, avec qui nous travaillons main dans la main. Le premier fléau à combattre, c'est l'alcool. Cependant, en présence d'une réelle dépendance, il faut que la personne fasse une démarche qui passe par notre psychologue-alcoologue. Or, nous sommes très souvent face à des personnes dont le niveau de détresse sociale est tel qu'elles ne demandent plus rien. Nous vivons tous les jours des situations de refus de soin. En tant que soignant, c'est l'une des choses les plus difficiles à supporter.»

problèmes psychologiques

Le jour, certaines personnes viennent pour une douche, ou simplement pour être au chaud, mais elles ne veulent pas de soins. Ainsi, Séverine voit régulièrement une personne souffrant d'un diabète grave, mais qui refuse un suivi régulier de sa glycémie. Ces refus de soins sont souvent liés à des problèmes psychologiques. C'est pourquoi l'équipe de l'espace Solidarité-Insertion intègre un infirmier de secteur psychiatrique à mi-temps.

« De 14 à 17 heures, nous pouvons dispenser des soins dans l'infirmerie, en tenue blanche. Le reste de la journée, nous ne portons pas de blouse pour ne pas être marquées "blouse blanche". Nous prodiguons beaucoup de soins d'hygiène liés à des lésions dermatologiques ou de déparasitage ; nous soignons aussi des épisodes infectieux multiples comme les bronchites, la tuberculose, les angines ou la grippe, et suivons des affections chroniques telles que le diabète ou des maladies psychiques comme des démences, des psychoses... Nous proposons un atelier hygiène (douche et laverie) dont je m'occupe en partie. Le jour, on accompagne plus que la nuit, on crée des liens plus solides, et notre travail s'inscrit davantage dans la durée. Ce qui le rend plus positif. »

Pour elle, le plus dur est de travailler avec des patients alcoolisés, souvent polydépendants. Dans la rue, les exclus ont tendance à mélanger alcool, médicaments... en fonction de ce qu'ils trouvent. « On remarque fréquemment que ces personnes ont eu un problème lié à des traumatismes familiaux qui datent de l'enfance. Idéalement, il faudrait intervenir bien en amont... » Autre préoccupation majeure : « Les personnes exclues et souffrant de maladies mentales sont tout à fait inadaptées au système actuel. Elles ne pourront jamais accéder à un logement autonome. Leur place est à l'hôpital psychiatrique, mais elles sont dans la rue ». « Si ça ne tenait qu'à moi, imagine-t-elle, je créerais et réinventerais des pensions de famille, régies par des règles souples, où l'alcool serait accepté. Aujourd'hui, certains SDF n'ont plus la capacité de construire un projet, si ce n'est de chercher un toit. Il va falloir accepter le fait que les gens ne sont plus forcément capables de s'adapter à la société, et que c'est à la société de s'adapter à eux. »

sophrologie

Son idéalisme, Séverine ne l'a jamais laissé de côté. Ce « virus » l'a touchée avant même qu'elle ne passe son bac, époque où elle rêvait de missions dans l'humanitaire. Ses études d'infirmière, elle les a vécues comme « une révélation ». Après plusieurs stages au sein de Médecins du monde et un travail de fin d'étude sur les sans- domicile-fixe, elle cherche à comprendre les raisons pour lesquelles elle est autant attirée par l'humanitaire, en passant un diplôme universitaire sur les maladies tropicales. Finalement, elle choisit de rejoindre le Samu social, dans les rues de France.

Aujourd'hui, Séverine envisage de suivre une formation en sophrologie, qui s'étalera sur trois ans et lui donnera des outils en psychosomatique. « Cette formation est nécessaire car, quand on est soignant, on doit se donner du temps pour remobiliser son énergie, assure-t-elle. Il faut continuer à se poser des questions. C'est peut-être encore plus vrai quand on travaille avec des populations marginales et défavorisées. » En étudiant la sophrologie, elle compte s'enrichir « d'une approche différente du soin. Et j'espère pouvoir ensuite développer des outils qui vont aider les personnes sans domicile à mieux gérer le stress énorme auquel elles sont tous les jours confrontées, les angoisses et tous les problèmes physiques (dermatologiques, par exemple) qui s'ensuivent ». Elle glisse un petit bémol : « Reste à savoir si les médecins accepteront de travailler avec une infirmière-sophrologue... »

moments clés

- 1976 : naissance à Rodez.

- 1995-1997 : double première année de médecine.

- 1997-2000 : Ifsi, à Rodez.

- 2000-2002 : DU de maladies tropicales, à Anvers (Belgique).

- 2002-2005 : équipe mobile d'aide de nuit, au Samu Social, Paris-XIIe.

- 2005-2006 : association Le Refuge, à Pantin (Seine-Saint-Denis).

Depuis 2006 : équipe de jour du Samu Social de Paris-XIIe.

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