Esprit de mai - L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008

 

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Écoles d'infirmières, tenue de travail, place du patient... Dans la mouvance de Mai 1968, le vent de la révolution soufflait sur le soin.

« la barricade ferme la rue mais ouvre la voie ! » Il y a quarante ans, le vent de folie estudiantin n'a pas épargné les écoles d'infirmières. En mai 1968, l'esprit de contestation qui couvait depuis plusieurs années chez les futures soignantes s'exprimait enfin, secouant durablement la rigidité des rapports hiérarchiques.

« on n'existait pas ! »

« En 1968, se souvient Mercedes Chaboissier, j'étais élève au lycée Corvisart, à Paris, le seul établissement de l'Éducation nationale à avoir ouvert une école d'infirmière. Les enseignants étaient beaucoup moins stricts avec nous qu'avec les "petites bleues" de l'Assistance ou les élèves de la Croix-Rouge. Mais on nous apprenait quand même à être serviables, sous les ordres. Moi, je rentrais dans le moule, et j'étais appliquée. Quand Mai 68 a éclaté, ça a été une prise de conscience. »

Dans les hôpitaux, où les élèves effectuaient plus de la moitié de leur formation, il n'y avait aucune conscience identitaire. « On n'existait pas ! J'ai pu réaliser à quel point le pouvoir médical des grands pontes était fort. Avec les stages, on abusait de nous complètement, nous étions un personnel d'appoint. » En mai, les élèves se mettent en grève, mais vont quand même en stage. « Moi, je ne voulais soigner que des étudiants blessés, en aucun cas des CRS. Une surveillante est intervenue, m'a rappelé les règles déontologiques : on devait soigner tout le monde. »

Monique Laborde, elle, était élève à l'Hôtel-Dieu. « L'école est restée en grève pendant un mois. On allait quand même en stage le matin, et grâce à la contestation, on a obtenu de pouvoir se reposer un week-end sur trois. Avant, c'était juste un dimanche sur sept ! »

l'oeil sur les panties

Le look fait aussi sa révolution : « Avant, nous étions obligées de porter des blouses bleues à l'école, blanches à l'hôpital et vertes à l'internat, raconte Anne Perraut-Soliveres. À l'hôpital, nous avions des bas immondes, accrochés à des porte-jarretelles. Je portais des panties, sortes de bermudas avec des dentelles. Pendant mon stage en salle d'op', le patron n'arrêtait pas de me demander de bouger le scialytique, ce qui m'obligeait à me jucher sur un petit banc et à lever les bras. Quand j'ai vu son regard sur mon panty, j'ai compris qu'il s'amusait de moi. » Avant les « événements », Anne Perraut-Soliveres met déjà des jeans à l'internat. Mais la discipline reste stricte : « J'ai été surprise place Gambetta avec le chapeau à l'envers, l'élastique sous le menton : cela m'a valu d'être privée de sortie pour avoir "déshonoré l'uniforme". »

voyage en roulotte

Annie Bardon était, elle, infirmière psychiatrique à l'Institut Marcel-Rivière. « Mai 68 a changé les rapports hiérarchiques, avec les médecins et avec les patients. Dans la foulée, le Groupe d'études et de recherche pour les infirmiers psychiatriques a été fondé, pour promouvoir la qualité des soins et une meilleure reconnaissance des infirmières en psychiatrie. »

Quelques années après, l'Institut accueille plusieurs leaders de Mai 1968, dont Alain Geismar. « Tout le monde savait qu'ils n'avaient pas besoin de soins, ils se planquaient pour échapper au service militaire punitif en Allemagne. » De l'« esprit de mai », Annie Bardon retient aussi un changement des pratiques en psychiatrie : « En 1973, on a fait un voyage avec des patients dans des roulottes. Chacun était responsabilisé. ça n'aurait pas pu avoir lieu dix ans avant. »