Indiscrète informatique - L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008

 

Données personnelles

Éthique

En psychiatrie, la mise en place du nouveau modèle de financement (la VAP) s'accompagne d'une collecte de renseignements sur les patients. Leur confidentialité soulève des doutes.

« La fin ne justifie pas les moyens », dénonce le Dr Claire Gekiere, psychiatre, présidente de « Droits et libertés face à l'informatisation de la société Santé mentale Rhône-Alpes » (1). Cette association, membre du réseau Delis et proche de la Ligue des droits de l'homme, vient de saisir le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) « sur les atteintes au respect de la vie privée, aux libertés individuelles et à l'éthique médicale liées aux pratiques actuelles en matière de recueil informatique des "données personnelles" [des usagers] dans les établissements de santé privés et publics ayant une activité psychiatrique. »

tarification à l'acte

Au coeur de son inquiétude, la valorisation de l'activité en psychiatrie (VAP). Équivalent de la T2A, la VAP devrait entrer en vigueur courant 2009. Afin de bâtir ce nouveau système de financement, tous les établissements et services psychiatriques de France ont été mis à contribution. Ainsi, depuis janvier 2007, ils ont l'obligation d'alimenter une base de données appelée Recueil d'informations médicalisées en psychiatrie (RIM-P). Une fois moulinée et passée au tamis de savants algorithmes mathématiques et politiques, cette « soupe » logicielle devrait donner naissance au futur modèle budgétaire sur lequel vivront, en partie, les établissements.

quelle utilité ?

Le problème, c'est que le ventre de la RIM-P semble insatiable et réclame de plus en plus de données « sensibles », dont le lien avec la VAP demeure obscur. « Lorsqu'on interroge les responsables à ce sujet, leur réponse est : "ça peut toujours servir pour des études épidémiologiques". Ce qui est absurde !, estime la présidente. Et pourquoi amasser tant de données alors que la VAP ne financera que 20 % du budget des établissements ? »

anonymat incomplet

Sources de revenus, activité professionnelle, invalidité, mise sous tutelle, hospitalisation libre ou sous contrainte... tout est coté, « critérisé », répertorié, y compris le diagnostic, qu'il soit transitoire ou non. Cette masse d'informations, si elle est rendue anonyme lorsqu'elle est transmise à l'Agence technique de l'information hospitalière, demeure « en clair » au sein de chaque département d'information médicale.

Une situation dénoncée par Delis SMRA, qui, sans attendre, réclame l'anonymisation des données à la source. L'association ne craint pas tant le « piratage » des fichiers que leur accessibilité. « Lorsqu'un fichier d'une telle importance est constitué, il finit toujours par servir des intérêts dont l'objet n'était pas prévu au départ », souligne Claire Gekiere. Qu'adviendra-t-il lors de la mise en réseau des établissements et peut-on, aujourd'hui, assurer aux usagers que les informations qui les concernent ne pourront pas à terme être exploitées par les assurances privées, par exemple ?

l'appel aux sages

À quoi s'ajoutent un manque d'information aux usagers, voire son absence, et une remise en cause du secret professionnel. Bref, autant de questions sur lesquelles sont appelés à se pencher les sages du CCNE.

1- Sur Internet : http://www.delis.sgdg.org, rubrique « Psychiatrie ».

TÉMOIN

Pascale Périnel : « Le sentiment de participer à un fichage »

« Lorsqu'on nous a demandé de remplir des dossiers administratifs de patients, raconte Pascale Périnel, infirmière psychiatrique, l'objectif était de réunir des renseignements pour préparer le passage à la VAP. Puis il nous a été dit que ce recueil pourrait aussi être utilisé pour évaluer notre charge de travail. Aujourd'hui, qu'en est-il ? Plus ça va, plus on nous impose de rassembler des données personnelles, dont on se demande bien en quoi elles pourraient servir les finalités annoncées. Par ailleurs, de fait, le patient n'est pas informé de la constitution d'un fichier nominatif dans lequel apparaît - et demeure - le diagnostic, pourtant posé à un instant T. Il se voit ainsi estampiller "psy" ad vitam aeternam. Bref, sous couvert de tâches administratives, j'ai le sentiment de participer à un fichage qui pourrait, sur fond de logique comptable, échapper à son but initial et porter atteinte à l'éthique du soin. Dans ce contexte, comme nombre de mes collègues, je m'interroge sur ma participation à cette collecte. »