L'adolescence, cap à franchir - L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008

 

passado 14

24 heures avec

Accueil, consultations, soins, médiation, prévention... À Caen, la Maison des adolescents propose une prise en charge pluridisciplinaire aux jeunes à la dérive.

Ancrée en plein coeur de Caen, la Maison des Adolescents du Calvados ressemble à une caravelle aux diverses passerelles. La proue du bâtiment, une grande porte d'entrée vitrée, toise à 180 degrés le château, l'université, le port, l'arrêt du tramway... Passado 14 - c'est son nom - est amarré au centre de la ville. Et de la vie. Passado 14 ? « C'est un acronyme pour "passage des adolescents" du département du Calvados », explique Patrick Genvresse, pédopsychiatre et chef de service au centre hospitalier spécialisé de Caen, et « père fondateur », selon les termes de ses coéquipiers, de ce vaisseau qu'il pilote.

Il est 9 heures. Sons et mouvements sont feutrés, la maison semble s'éveiller. Pourtant, les consultations ont commencé. Dans la salle d'attente, une maman et sa fille, leurs regards perdus dans la même direction, sont face à un adolescent, baskets aux pieds et tignasse figée par le gel. Il se ronge un ongle. Au secrétariat, Marion Stevenot, psychologue stagiaire, discute avec Nathalie Outin, la secrétaire de l'espace accueil, d'une conversation qu'elle vient d'avoir avec un père soucieux. Un peu plus loin, au fond du couloir, dans son bureau, Yannick Maudet, coordinateur de réseaux, est en ligne. Il conseille un interlocuteur dijonnais sur le point de créer une Maison des adolescents dans sa région. La porte coulissante qui donne sur la rue laisse passer un garçon en blouson kaki, la quinzaine. Il s'assied et observe incidemment deux copines qui papotent tout en écrivant des SMS sur leurs téléphones portables.

« Psycho-infirmiers »

Dominique Josset, infirmière de secteur psychiatrique (ISP) depuis trente ans, apparaît au bout du couloir. « Ici, chaque soignant s'attribue d'une certaine manière des rôles un peu familiaux, explique-t-elle. Je m'occupe d'adolescents depuis huit ans. C'est une population intéressante, qui bouge beaucoup et pour laquelle rien n'est formalisé. » Les « psycho- infirmiers », comme les appelle le docteur Genvresse, leur référent médical, reçoivent de jeunes patients pour des entretiens à visée thérapeutique. Ils peuvent aussi leur proposer d'autres approches, tel le groupe d'affirmation de soi animé par Jacques Lamôré, infirmier. « On a un travail passionnant, affirme Josiane Champonnois. Mon rôle consiste symboliquement à mettre de la pommade sur une cicatrice qui fait mal. Et qu'il ne persiste plus qu'une légère trace. »

La souffrance des adolescents, en mutation physique et psychologique, concerne des patients de plus en plus jeunes. Leur moyenne d'âge est passée d'environ 17-18 ans à 13-14 ans. Troubles du comportement et de l'adaptation, phobies et difficultés scolaires, carences éducatives et affectives, anxiété, processus psychotique... les jeunes renoncent parfois à grandir, ce qui s'accompagne d'une montée en puissance des addictions, de la boulimie, de l'anorexie. Pour y faire face, les soignants reçoivent six à dix adolescents par jour, environ trois quarts d'heure chacun. « Ils disent souvent qu'ils ont "mal à leur père" ou à leur mère. J'instaure un climat de confiance et leur prête ma pensée. Je leur propose de mettre en perspective ce qui se passe, continue Dominique Josset. Ils disent souvent que c'est très beau ici. Nous leur donnons un lieu qui a de la valeur, et ils se sentent reconnus, respectés. »

Quatre missions

À Passado 14, quatre espaces bien définis sont répartis sur près de 1 000 m2. Ils se distinguent par la couleur des portes : vertes, jaunes, oranges... D'abord, l'accueil, ouvert de 13 heures à 19 heures, avec une permanence téléphonique toute la journée. Ensuite, la consultation médico-psychologique, ouverte de 8 h 30 à 19 heures tous les jours, et parfois le samedi matin. Psychiatres, médecins (dont un pédiatre et une gynécologue), psychologues et infirmiers se relaient au fil des thérapies, individuellement ou en groupe (psychodrame analytique, groupes de parole, etc.).

Puis vient l'espace de soins et de médiation, une structure de prise en charge à temps partiel et d'hospitalisation de jour, éducative et soignante, plus intensive, pour des patients hospitalisés ou non. « Les adolescents suivis au CHS se retrouvent dans un service de psychiatrie adulte : c'est très dur pour eux. Nous avons un véhicule pour aller les chercher : ici, ils arrivent dans un lieu ouvert, où nous préconisons la qualité de la relation établie, avec un professionnel pour deux ados », dit le Dr Genvresse. Au programme : musique, art-thérapie, soins esthétiques, activités sportives, ou encore repas thérapeutiques.

Enfin, l'espace Actions de prévention et d'éducation à la santé est un lieu d'information, de formation et de recherche autour de thématiques telles que les conduites addictives, l'éducation à la sexualité, le suicide... Alice Rousset, chargée de mission, y développe des actions collectives en direction des professionnels, des familles et des adolescents, notamment à la demande de l'Éducation nationale.

Complémentarité

10 h 30. Dans la salle réservée au personnel, c'est l'heure du café. Catherine Roussel, agent de service technique, tient les lieux comme une maîtresse de maison. Elle échange quelques mots avec les intervenants... qui repartent aussi vite qu'ils sont venus à l'une des réunions cliniques hebdomadaires. Ils y exposent des situations autour desquelles les membres de l'équipe peuvent échanger et confronter les idées. La philosophie des lieux repose sur la complémentarité. « C'est ambitieux, mais notre objectif était d'allier et de mutualiser les compétences médicales et socio-éducatives (pour les soins, le suivi et l'accompagnement) dans un cadre accessible au plus grand nombre. En gardant une idée à l'esprit : ce dont a le plus besoin un adolescent, c'est d'abord d'un adulte. »

Patrick Genvresse et Véronique Desramés, directrice adjointe, insufflent à leur équipe de trente-deux personnes une énergie particulière, à la fois naturelle et ultra-professionnelle. Créée en 2006, Passado 14 repose sur un système de financement spécifique, au sein d'un réseau de partenaires. Négociations et échanges sont permanents, dans un lieu à la fois émergent et d'une grande richesse : « Ici, nous sommes comme dans un laboratoire, où se confrontent différents savoirs », décrit le Dr Genvresse.

« On est là pour rassurer »

14 heures. Pour accéder à l'espace dédié à la prévention, un grand escalier et un ascenseur pour les handicapés. Très souvent, les jeunes qui poussent la porte ont été « orientés » par leur médecin généraliste ou par l'Éducation nationale. « Tout le monde peut venir se renseigner. Notre rôle est de créer du lien », explique Loïc Nicolas, éducateur spécialisé. L'accueil est libre, gratuit et anonyme. Une femme, la quarantaine, et ses deux filles font le plein de dépliants sur le grand présentoir fixé au mur. De « Bien manger, c'est facile ! » à « Êtes-vous sûr de tout connaître sur les risques de l'alcool ? » en passant par « La pilule du lendemain... vous connaissez ? », toutes les problématiques liées à l'adolescence sont abordées. « Un ou deux entretiens nous permettent de nous demander en amont ce que l'on peut activer avant de mettre en place une aide psychologique, ajoute Jérôme Ropert, autre éducateur spécialisé. Notre rôle est d'être sécurisants. On est là pour rassurer les parents qui se questionnent sur leur attitude par rapport à leur enfant. Pour mettre des mots sur ce qui inquiète les jeunes aussi, et les regonfler. Notre objectif ? Rétablir la communication entre parents et enfants. »

Parents associés

15 h 15. Dans la salle d'attente des consultations, tout en transparence, couleurs claires et végétation, le soleil se faufile un peu partout. Le son d'un concert de djembés monte de la salle polyvalente, au sous-sol, où un petit groupe de jeunes suit le rythme : « Trois, quatre... Trois, quatre... » « Normalement, j'avais rendez-vous avec le Dr Genvresse... » Assise, un magazine entre les mains, une jeune fille visiblement anorexique, escarpins blancs et bas résille, s'adresse à Nadège Babillot, psychologue au look décontracté qui part s'informer au secrétariat. Elle a mis en place un groupe mensuel de parole pour les parents d'adolescents : « C'est très intéressant, cela permet d'éviter l'isolement et le sentiment d'impossibilité, tout en créant du lien avec l'entourage. » Sophie Lamare, psychologue elle aussi, ajoute : « On travaille surtout en complémentarité avec l'adolescent et sa famille, sinon c'est difficile d'avancer. » Sur son bureau, crayons et papier permettent aux jeunes qui ont du mal à parler d'écrire et de dire les choses. Autrement.

16 heures. L'espace de soins et de médiation est en pleine effervescence. Hélène Nicolle, psychiatre, est le médecin référent de l'équipe pluridisciplinaire qui encadre les adolescents. Les admissions sont médicales. « On accueille une vingtaine de jeunes, tous en grande difficulté. Ici, ça bouillonne en permanence. Il y a toujours une notion d'urgence avec les jeunes hospitalisés. D'où la nécessité de moments et de lieux de repli et d'échanges », explique-t-elle.

« Narcissiser »

« On est dans l'arène », ajoute Patrick Davoult, infirmier de secteur psychiatrique, l'oeil rivé sur un grand gaillard en train de jouer à la console dans l'espace de vie, au rez-de-chaussée. Au premier étage, Wilfrid Davoult, ISP, propose de l'art-thérapie. Sur le grand plan de travail : feuilles de papier et matériel de dessin. « Ce type d'activité aide à narcissiser. Les enfants ont compris la fonction de l'atelier et ils ont l'air d'y prendre du plaisir. »

16 h 45. Dans la salle de musique, Jacques Leroy, éducateur spécialisé et musicien, fait chanter les adolescents. Auprès d'eux, des guitares, une batterie et des logiciels, pour enregistrer les voix et refaire les arrangements. « Certains gamins écrivent des textes. ça les valorise. Il y a des choses incroyables qui passent par la médiation. » Edwige, 14 ans, jean rouge, baskets blanches et noires, prend le micro. Les mains dans les poches, elle chante : « Je ne sais pas, je ne sais plus... » Elle ferme les yeux. Fin de la bande musicale. « C'est bien ? », demande-t-il. « C'est mieux », répond-elle. Elle dit qu'elle a mal à la gorge. « Pendant tout ce temps, j'étais dans le faux... j'étais dans le faux... », se remet-elle à chanter. Un temps. Elle regarde l'éducateur, murmure : « J'ai mal à ma voix... » L'après-midi touche à sa fin.

La Maison des adolescents du Calvados, Passado 14, 9, place de la Mare, 14000 Caen.

Accueil : 02 31 15 25 25. Consultations : 02 31 15 25 20. Site Internet : http://www.passado14.fr