L'annonce et autres poèmes - L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008

 

Vous

Vécu

L'ANNONCE

Véritable tsunami

Elle dévaste tout sur son passage

Elle balaie l'avenir

Elle fige, elle paralyse le présent

La vie se résume à un diagnostic

Tranchant comme une lame

Lorsque l'on reprend conscience

On est vivant mais tout est détruit autour de soi

On comprend peu à peu tout ce qu'on va quitter

Tout ce qui faisait notre existence

Tous ces petits riens qui nous émerveillaient

Ou nous irritaient

Tout ce qui emplissait notre quotidien

Tout est emporté par un flot d'émotions

Qui nous submerge

Désormais plus rien ne sera comme avant

Le compte à rebours commence

Et peu à peu la maladie gère et dirige toute notre vie

LE LIT

Le lit du mourant

Parenthèses de vie

À jamais fermées

Le vécu se découpe en pointillés

Et le souffle qui reste

Se répète de plus en plus lentement...

LA LAMPE DE CHEVET

Ça y est le vide se fait

Le calme envahit l'espace

Le voisin regarde la télévision

Et la musique commerciale des publicités

Traverse le mur

Quelques notes cristallines viennent danser autour de mon oreille

Tout est blanc

De la porte de ma chambre

Je vois le couloir du service

Seuls quelques cadres accrochés ça et là au mur

Brisent l'unité monochrome

La lumière est vive, forte, froide

Il y a la porte qui donne sur la terrasse

Mais elle est fermée

On est en automne

Cette porte de secours s'ouvrira pour d'autres

La chambre est plongée dans l'obscurité

J'allume la lampe de chevet

Qui distille une lumière orangée

Coucher de soleil personnel

Cuivré et chaud

Sa douce quiétude envahit mon coeur meurtri

Elle me réchauffe

Je peux presque imaginer

Quelques crépitements de bûches

Et me voilà devant la cheminée

Petit plaisir de vie...

Mais le son strident d'une sonnette d'appel

Me sort de ma rêverie

Et la cavalcade qui s'ensuit

Me rappelle que je suis à l'hôpital

Cancer phase terminale

Couloir de la mort...

LE SAC

Il renferme les objets personnels

De celui ou celle qui l'a rempli

Il cache dans ses petites poches

Des secrets bien gardés

Tout y est repassé, plié, organisé

Tout y est propre et bien rangé

La trousse de toilette est neuve

Le savon dans son étui

S'il ne contenait que des vêtements de nuit

On pourrait penser

Que ce sac appartient

À un heureux vacancier

Ou un enfant qui part en colonie

Mais son destin est tout autre

Il est le trait d'union

Entre la vie d'avant

Et l'agonie d'aujourd'hui

Il sera le dernier à recevoir les effets

De celui ou celle qui désormais

Ne voyagera plus jamais...

LA TERRASSE

Sitôt les beaux jours revenus

La magie s'installe aux soins palliatifs

La terrasse devient le coeur de l'unité...

Les rencontres y sont éphémères

Et dureront le temps d'un été

Patients, famille, soignants se côtoient sous le soleil

Les parasols multicolores égaient ce lieu

Et les fleurs plantées dans les jardinières

Symbolisent à elle seules

Le retour de la vie

Petit îlot de joie retrouvée

Tout ici est fait pour que l'être meurtri

Et son entourage

Retrouvent un peu d'apaisement

On oublie l'inéluctable

L'impermanence de l'instant

La terrasse crée le lien

Crée des liens

Elle devient projet de vie

Elle illumine le quotidien

Et le temps d'un après-midi

La vie retrouve sa place

On ne pense plus à demain

On évoque le passé

Seul le présent compte

Le soleil donne des idées :

Et si on faisait un barbecue ?

Mon neveu pourrait venir...

Pourvu qu'il fasse beau dimanche !

La maladie se retrouve reléguée au second plan

Et la mort, on n'y pense plus

Enfin on y pense moins...

La terrasse devient un no man's land

Et la vie y a pris ses quartiers d'été

LA MORT

La mort a l'esprit grégaire

Elle ne veut jamais être seule

Lorsqu'elle se manifeste

Elle invite avec elle

Tous les défunts qui la précèdent

Elle leur redonne vie dans nos souvenirs

Et le temps d'une veillée ou d'une cérémonie

Tous nos proches

Amis, famille décédés

Reviennent dans notre esprit

Comme de multiples boomerangs

Éphémères et colorés

LES BLOUSES BLANCHES

Elle bougent

Elles parlent

Elles rient

Elles sourient

Elles vivent...

Elles font preuve d'empathie

De compassion

Elles touchent à l'intime

Au caché, au secret

Tantôt elles sont imperméables

Tantôt elles sont éponges

Elles abordent toute la misère

Toutes les histoires de vie

Et s'effacent comme une phrase

À la craie sur un tableau noir

Elles se reconstituent

Se recréent, se retrouvent

La craie et la blouse ont la même couleur blanche

Articles de la même rubrique d'un même numéro