Vous
Vécu
Véritable tsunami
Elle dévaste tout sur son passage
Elle balaie l'avenir
Elle fige, elle paralyse le présent
La vie se résume à un diagnostic
Tranchant comme une lame
Lorsque l'on reprend conscience
On est vivant mais tout est détruit autour de soi
On comprend peu à peu tout ce qu'on va quitter
Tout ce qui faisait notre existence
Tous ces petits riens qui nous émerveillaient
Ou nous irritaient
Tout ce qui emplissait notre quotidien
Tout est emporté par un flot d'émotions
Qui nous submerge
Désormais plus rien ne sera comme avant
Le compte à rebours commence
Et peu à peu la maladie gère et dirige toute notre vie
Le lit du mourant
Parenthèses de vie
À jamais fermées
Le vécu se découpe en pointillés
Et le souffle qui reste
Se répète de plus en plus lentement...
Ça y est le vide se fait
Le calme envahit l'espace
Le voisin regarde la télévision
Et la musique commerciale des publicités
Traverse le mur
Quelques notes cristallines viennent danser autour de mon oreille
Tout est blanc
De la porte de ma chambre
Je vois le couloir du service
Seuls quelques cadres accrochés ça et là au mur
Brisent l'unité monochrome
La lumière est vive, forte, froide
Il y a la porte qui donne sur la terrasse
Mais elle est fermée
On est en automne
Cette porte de secours s'ouvrira pour d'autres
La chambre est plongée dans l'obscurité
J'allume la lampe de chevet
Qui distille une lumière orangée
Coucher de soleil personnel
Cuivré et chaud
Sa douce quiétude envahit mon coeur meurtri
Elle me réchauffe
Je peux presque imaginer
Quelques crépitements de bûches
Et me voilà devant la cheminée
Petit plaisir de vie...
Mais le son strident d'une sonnette d'appel
Me sort de ma rêverie
Et la cavalcade qui s'ensuit
Me rappelle que je suis à l'hôpital
Cancer phase terminale
Couloir de la mort...
Il renferme les objets personnels
De celui ou celle qui l'a rempli
Il cache dans ses petites poches
Des secrets bien gardés
Tout y est repassé, plié, organisé
Tout y est propre et bien rangé
La trousse de toilette est neuve
Le savon dans son étui
S'il ne contenait que des vêtements de nuit
On pourrait penser
Que ce sac appartient
À un heureux vacancier
Ou un enfant qui part en colonie
Mais son destin est tout autre
Il est le trait d'union
Entre la vie d'avant
Et l'agonie d'aujourd'hui
Il sera le dernier à recevoir les effets
De celui ou celle qui désormais
Ne voyagera plus jamais...
Sitôt les beaux jours revenus
La magie s'installe aux soins palliatifs
La terrasse devient le coeur de l'unité...
Les rencontres y sont éphémères
Et dureront le temps d'un été
Patients, famille, soignants se côtoient sous le soleil
Les parasols multicolores égaient ce lieu
Et les fleurs plantées dans les jardinières
Symbolisent à elle seules
Le retour de la vie
Petit îlot de joie retrouvée
Tout ici est fait pour que l'être meurtri
Et son entourage
Retrouvent un peu d'apaisement
On oublie l'inéluctable
L'impermanence de l'instant
La terrasse crée le lien
Crée des liens
Elle devient projet de vie
Elle illumine le quotidien
Et le temps d'un après-midi
La vie retrouve sa place
On ne pense plus à demain
On évoque le passé
Seul le présent compte
Le soleil donne des idées :
Et si on faisait un barbecue ?
Mon neveu pourrait venir...
Pourvu qu'il fasse beau dimanche !
La maladie se retrouve reléguée au second plan
Et la mort, on n'y pense plus
Enfin on y pense moins...
La terrasse devient un no man's land
Et la vie y a pris ses quartiers d'été
La mort a l'esprit grégaire
Elle ne veut jamais être seule
Lorsqu'elle se manifeste
Elle invite avec elle
Tous les défunts qui la précèdent
Elle leur redonne vie dans nos souvenirs
Et le temps d'une veillée ou d'une cérémonie
Tous nos proches
Amis, famille décédés
Reviennent dans notre esprit
Comme de multiples boomerangs
Éphémères et colorés
Elle bougent
Elles parlent
Elles rient
Elles sourient
Elles vivent...
Elles font preuve d'empathie
De compassion
Elles touchent à l'intime
Au caché, au secret
Tantôt elles sont imperméables
Tantôt elles sont éponges
Elles abordent toute la misère
Toutes les histoires de vie
Et s'effacent comme une phrase
À la craie sur un tableau noir
Elles se reconstituent
Se recréent, se retrouvent
La craie et la blouse ont la même couleur blanche