L'essor des maisons de santé - L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008

 

pluridisciplinarité

Enquête

Un peu partout en France, essentiellement dans les zones rurales, des professionnels de santé se regroupent sous un même toit. Proximité, partage des moyens, travail en réseau... la formule attire de plus en plus de soignants.

En février dernier, Roselyne Bachelot a annoncé le versement d'une aide financière destinée à soutenir « dès 2008, la création de 100 maisons de santé pluridisciplinaires, à hauteur de 50 000 euros maximum par projet présenté par les professionnels ou des collectivités locales ». D'après Michel Serin, président de la Fédération française des maisons de soins et de santé (1), environ 200 structures de ce type seraient déjà opérationnelles ou à même d'être terminées avant la fin de l'année dans le pays.

Une quarantaine d'entre elles se trouveront en Bourgogne. « La nôtre devrait ouvrir début 2009 », note Denise Chagnard, l'infirmière responsable, en Saône-et-Loire, du Service polyvalent d'aide et de soins à domicile (Spasad). « Le projet est soutenu, entre autres, par la mairie de Sennecey-le-Grand et la communauté de communes [8 500 habitants] : elles financent la construction et devraient nous louer de nouveaux locaux mieux situés, avec un accès facilité. Ce sera un regroupement paramédical et social, puisque sous ce même toit devraient résider des infirmières libérales, les antennes locales de l' ADMR et du Clic (2), un orthophoniste, des kinésithérapeutes et une pédicure-podologue. Par téléphone ou via Internet, nous étions déjà parfois en contact avec certains de ces professionnels. Mais là, j'imagine qu'on pourra se rencontrer beaucoup plus facilement. »

Rompre avec l'isolement

Sa collègue, Denise Colas, infirmière coordinatrice du services de soins infirmiers à domicile du Spasad, acquiesce : « Aujourd'hui, pour être efficaces, on ne peut plus travailler seuls ! Certains de nos patients vivant en milieu rural sont des handicapés, des personnes âgées lourdement dépendantes, en soins palliatifs ou souffrant de démences... Il leur faut une prise en charge pluridisciplinaire. Les professionnels ont beaucoup à apprendre les uns des autres. »

« Il n'y a pas que les médecins qui ont envie de travailler différemment, affirme de son côté Isabelle Saporta, chargée de la promotion des maisons de santé rurales à la la Mutualité sociale agricole (MSA). Les infirmières aussi recherchent de meilleures conditions d'exercice. Elles souffrent parfois d'épuisement, et sont rassurées si elles peuvent joindre un docteur facilement. »

Elle poursuit : « La MSA souhaitait au départ accompagner neuf sites expérimentaux. Mais nous en suivons davantage car les initiatives se bousculent sur le terrain. Pour le moment, nous n'avons pas modélisé d'exemple idéal d'organisation. Pour cela, il faudra encore un peu de temps. Notre travail, aujourd'hui, est d'abord d'étudier si un projet semble valable : réunit-il un "noyau dur" satisfaisant de professions médicales ? Leurs projets correspondent-ils aux besoins de santé locaux ? Comment peuvent-ils s'agréger aux services déjà existants (les autres libéraux, les pharmaciens, les soins à domicile, les maisons de retraite, les hôpitaux, les réseaux de santé...) ? » Dans ce contexte, certaines maisons mettent à disposition une salle de réunion pour des actions de coordination ou des modules communs de formation.

« Nous faisons aussi intervenir des cabinets de conseil en droit et fiscalité, ajoute Isabelle Saporta. Car le statut juridique que l'on choisit conditionne la possibilité d'obtenir certaines aides. Nous préconisons souvent la constitution d'associations, afin de pouvoir être destinataire des fonds de l'assurance-maladie... Les montages sont parfois complexes et composites, quand l'on fait cohabiter du public, du privé, différents statuts de copropriété, des codes déontologiques et des règlements divers. »

Politique régionale

Afin d'inciter les professionnels à s'installer chez elles, certaines collectivités se sont déjà engagées dans des plans de développement. Jean-Paul Denanot, président du conseil régional du Limousin (3) explique que « la Mission régionale de santé et la Région ont instauré un partenariat pour promouvoir les maisons de santé pluridisciplinaires, prioritairement dans les zones déficitaires arrêtées par les directeurs de l'Urcam et de l'ARH (4) et dans les endroits identifiés comme fragiles (anticipation des situations de rupture). Le programme de création est intégré dans les contrats de territoire sur la période 2008-2013 ».

« Pour l'instant, ajoute-t-il, une dizaine de projets doivent faire l'objet d'une étude de faisabilité. Ce regroupement de différentes professions médicales, paramédicales et sociales (avec un noyau dur constitué de deux généralistes, d'infirmières et, si possible, de kinésithérapeutes) n'est pas une simple juxtaposition de cabinets individuels. La maison de santé pluridisciplinaire doit apporter une plus-value dans la coordination des soins autour du patient et elle doit développer le champ de l'exercice professionnel, notamment dans le domaine de la prévention. Elle doit aussi s'intégrer dans l'organisation de la permanence des soins de la zone, et être en lien avec les hôpitaux et les Ehpad. » En pratique, l'investissement immobilier est porté par une commune ou un groupement de communes. Enfin, il est prévu que chaque nouvelle structure soit évaluée au bout de trois ans.

Démarche informelle

Dans les Pyrénées-Atlantiques, la communauté de communes de Monein (7 500 habitants) a créé « un village médical » au centre du bourg. Elle a acquis un terrain sur lequel ont été construits trois bâtiments. L'un d'entre eux a été revendu à un interlocuteur unique, une SCI formée par six médecins et quatre infirmiers libéraux. « On espère qu'à l'âge de la retraite, ces bureaux pourront être plus facilement revendus ou loués, témoigne l'un des infirmiers, Jean-Louis Rénié. Cette copropriété nous permet de mutualiser certaines dépenses, comme le standard téléphonique, le chauffage ou l'eau chaude. Nous réfléchissons à la possibilité de rationaliser la collecte des déchets médicaux... En revanche, chacun a conservé sa propre ligne téléphonique et ses secrétaires particulières. »

« Être ainsi regroupés favorise un autre état d'esprit, remarque-t-il. Maintenant que nous nous connaissons tous, les rencontres s'organisent facilement, ne serait-ce qu'entre deux portes... On peut aussi converser à trois postes téléphoniques. Une démarche informelle se met en place. » Et même si les infirmiers libéraux continuent à se déplacer beaucoup à domicile, il constate qu'au cabinet, on réalise davantage « de prises de sang, de soins de blessures, de petits pansements ».

La collectivité a vendu le second bâtiment à une clinique dentaire. Le troisième, resté propriété de la communauté de communes, est destiné à être loué à des médecins spécialistes, et il héberge un service de soins à domicile employant dix aides-soignantes. L'infirmière coordinatrice, Marjorie Bordin, estime que la nouvelle organisation les a rapprochées des autres professionnels : « Il arrive qu'une aide-soignante aille aider une infirmière libérale, et vice-versa. Nous regroupons parfois nos actions et nous nous dépannons à l'occasion... Certaines tâches ont été déléguées aux aides-soignantes, comme mettre des bas de contention après la toilette ou donner un traitement préparé dans un pilulier par une infirmière libérale. »

Délégation d'actes

La maison de santé de Saint-Amand-en-Puisaye (Nièvre, 1400 habitants) a été créée en 2005, sous l'impulsion de Michel Serin, médecin généraliste et conseiller municipal. Un service de maintien à domicile, un dentiste, un kinésithérapeute, une sage-femme, un pédicure-podologue, un ergothérapeute, une orthophoniste-neuropsychologue, une diététicienne et un psychiatre y exercent, à temps partiel ou complet. « Nous sommes trois médecins, dont l'un est mon ancien élève, complète Michel Serin. L'un de ses critères d'installation était de pouvoir travailler en lien direct avec des infirmières. Je leur ai délégué diverses tâches : ce sont elles, par exemple, qui enlèvent les fils de suture, qui réalisent les vaccins antigrippaux et d'autres vaccinations standard, qui font le suivi des pansements. Mais si quelque chose ne va pas, elles peuvent nous appeler au milieu d'une consultation. »

Travailler sous le même toit facilite également les prises de rendez-vous, les contacts, la circulation d'un professionnel à un autre. Par exemple, quand une infirmière fait une prise de sang à quelqu'un qui se plaint d'avoir grossi, elle peut lui conseiller d'aller consulter à côté la diététicienne ou la psychologue... Et comme les infirmières du centre médico-pyschologique tiennent également une permanence hebdomadaire d'information psychiatrique, les médecins font parfois des visites à domicile en leur compagnie, pour faire face à de difficiles situations de fin de vie ou à des psychoses.

Comme des besoins de formation remontent durant les discussions, plusieurs ateliers ont déjà eu lieu. « Par exemple, commente Michel Serin, le kiné a montré aux aides à domicile comment manipuler un patient dans un lit médicalisé sans se faire mal au dos. Nous organisons une animation sur la souffrance du soignant, face aux comportements agressifs, aux démences... Le fait d'exercer en équipe aide à dédramatiser certaines situations et permettra d'éviter, je l'espère, que ne surviennent des suicides de soignants. »

Pérennité incertaine

Les professionnels de la maison de santé se sont aussi impliqués dans des actions de santé publique. La sage-femme a parlé aux collégiens de sujets liés à la sexualité, la diététicienne a évoqué l'hygiène alimentaire, la psychologue a abordé les conduites addictives et les violences verbales. Désormais, les adolescents savent où les joindre à la maison de santé. Au foyer-logement de la résidence Caffet ont lieu des animations une fois par semaine (par un ergothérapeute, un art-thérapeute...). Ces initiatives permettent aussi de soulager les aidants.

« En bref, conclut Michel Serin, une maison de santé est un outil fabuleux. Cependant, pour l'heure, différentes interventions sont financées par l'Urcam. Il faudrait donc pouvoir à l'avenir bénéficier d'aides pérennes au fonctionnement et savoir aussi si nous pourrons obtenir des financements suffisamment réactifs en cas de survenue de nouvelles pathologies... Dans le futur, plutôt que d'augmenter le prix à l'acte chez les professionnels médicaux, on pourrait imaginer une rémunération complémentaire collective versée forfaitairement à la maison de santé... ».

Réseaux à construire

De nouveaux modes de contractualisation restent donc à inventer, après une évaluation des nouvelles pratiques mises en oeuvre. On peut également se demander si ce système, reposant sur le volontariat, permettra, à terme, d'inciter suffisamment de médecins à s'installer à la campagne. Cela déterminera ensuite leur capacité à s'organiser en réseau, notamment pour répondre aux besoins d'urgence de proximité, en particulier de nuit ou durant les week-ends.

1- Siège : Maison de santé amandinoise, 16, Grande-Rue, 58310 Saint-Amand-en-Puisaye. Tél. : 03 86 39 18 88.

2- ADMR : Aide à domicile en milieu rural.

Clic : centres locaux d'information et de coordination.

3 - Un guide de mise en oeuvre des maisons de santé est téléchargeable sur http://www.cr-limousin.fr (rubrique documentation et publications, santé).

4- Urcam : Union régionale des caisses d'assurance-maladie. ARH : Agence régionale de l'hospitalisation.

coordination

UN DOSSIER PRÉCIEUX

« Un dossier de coordination médico-sociale, utilisé par les aides-soignantes et par les autres professionnels de la santé, a été créé à Saint-Amand-en-Puisaye, indique Michel Serin, le président de la Fédération française des maisons de soins et de santé. Nous y notons des renseignements administratifs, les personnes ressources et les traitements suivis. Les intervenants s'en servent pour communiquer entre eux, en y laissant des mots. Ce dossier peut aussi faciliter les entrées et les sorties d'hôpital. » Il est également demandé aux aides à domicile d'effectuer une visite hebdomadaire des réfrigérateurs (ainsi que des armoires à pharmacie tous les trois mois) afin de déceler d'éventuels problèmes...

Enfin, une réunion interprofessionnelle a lieu une fois par mois. « Même la conductrice du taxi y est associée, souligne Michel Serin. Car quand elle transporte des malades, elle est confrontée à des questions portant sur la mort ou les maladies. Les patients du canton qui viennent consulter à la maison de santé ne déboursent que quatre euros s'ils empruntent cette société de taxi locale, le reste étant payé par le conseil régional de Bourgogne. Le but est de limiter les visites à domicile non urgentes. »