La proximité n'est plus la priorité - L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008

 

Rapport Larcher

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Le sénateur UMP a évité de parler de « carte hospitalière », mais son rapport dessine des jours sombres pour les petits établissements.

C'est promis, il n'est pas question d'argent. En présentant son rapport à la presse le 10 avril, Gérard Larcher, président de la commission de concertation sur les missions de l'hôpital, a assuré ne vouloir faire « ni oeuvre de cartographie, ni audit comptable ». Les regroupements des établissements publics dans des « communautés hospitalières de territoire » ? La mise en place d'une « nouvelle gouvernance » à la tête des hôpitaux ? « Tout ça est d'abord fait pour le malade », assure Gérard Larcher.

prudence avec les mots

Tout au long de son discours, le sénateur (UMP) des Yvelines, installé à la tête de la commission par Nicolas Sarkozy le 16 octobre dernier, a prudemment évité de parler de « carte hospitalière » ou de fermeture d'établissements. Il s'agit tout au plus, pour lui, de « favoriser le développement de complémentarités entre hôpitaux publics », en incitant ces derniers à « se rapprocher pour former des communautés hospitalières de territoire, autour d'un socle en termes de plateau technique et de compétences médicales ».

Ces communautés se verront déléguer, par exemple, la gestion des ressources humaines du personnel médical et d'encadrement, ainsi que la politique de formation continue. « La sécurité du patient prime sur la proximité. On peut avoir un hôpital central avec un plateau technique important et des hôpitaux périphériques avec des consultations, de la gériatrie, des soins palliatifs », a proposé Gérard Larcher lors de la présentation du rapport. Ces rapprochements ne seront pas obligatoires, mais la distribution des enveloppes d'aides à l'investissement y inciteront fortement.

« indicateurs du passé »

De son propre aveu, Gérard Larcher n'a « pas traité la question financière » : « Pour les Français, le nombre de lits ou le taux de l'Ondam (1), ce n'est pas le sujet ! N'ayons pas les yeux rivés sur les indicateurs du passé. Un hôpital plus efficace sera un hôpital qui coûtera moins cher. »

L'autre série de propositions concerne la gouvernance de l'hôpital. Calqué sur le modèle de l'entreprise, l'hôpital vu par Gérard Larcher serait placé sous la direction d'« un seul responsable », assisté d'un « directoire » et d'un « conseil de surveillance », chargé de fixer les orientations stratégiques et de veiller aux équilibres financiers. Aujourd'hui, les hôpitaux sont dirigés par un conseil d'administration, dont le président est un élu, en général le maire de la commune dont dépend l'établissement.

hostilité de la cgt

« C'est très dangereux pour la démocratie, réagit Sylvie Breuil, infirmière au centre hospitalier Marc-Jacquet, à Melun, représentante de l'Ufmict-CGT. Cela écarterait de la prise de décision les représentants des salariés et de la population. Le rapport Larcher travaille l'idée que le public et le privé, c'est la même chose. » La syndicaliste n'est pas davantage convaincue par l'opposition entre proximité et sécurité : « Quand on est un professionnel de santé, les gestes sont acquis, ils ne présentent aucun danger pour le patient, même s'ils ne sont pas effectués souvent. L'hyperconcentration [des structures] provoque du stress, donc un danger. »

le lmd préconisé

Et les infirmières ? Le rapport Larcher préconise qu'un « coordonnateur des soins » soit désigné au sein des services pour « répondre aux questions relatives à l'hospitalisation et aux conditions du retour à domicile ». « Cette fonction, avancent les auteurs, pourrait être exercée par un infirmier, devrait être clairement définie, professionnalisée et reconnue. Elle pourrait d'ailleurs être complétée, dans le champ libéral, par une réflexion sur l'intégration d'un honoraire de coordination dans la nomenclature des actes infirmiers. » Une idée reprise dans le chapitre sur la formation, pour laquelle Gérard Larcher voudrait favoriser « la dimension de coordination de soins ».

Sans surprise, les auteurs se disent favorables à l'intégration des études paramédicales dans le système LMD. « Nous osons espérer qu'avec le temps, les actes succéderont aux promesses ! », glisse Livia Lainé, présidente de la Fnesi, qui estime qu'« on ne trouve rien de nouveau dans ce rapport ».

1- Ondam : objectif national des dépenses de l'assurance-maladie.

« Le rapport fait froid dans le dos »

« À chaque phrase, je me projette dans ce que je vis au quotidien. » Dans le local CGT de l'hôpital Saint-Antoine, Régine Linard, infirmière, s'est plongée dans les 102 pages du rapport Larcher. Dans cet établissement parisien, le personnel administratif et paramédical s'est mis en grève, le 18 mars, pour protester contre les effectifs insuffisants et les fermetures de lits dans différents services : douze en médecine interne, douze en orthopédie, trois en hématologie et trois en oncologie. Autant dire que les recommandations de Gérard Larcher peinent à convaincre : « Dès les premières pages du rapport, ça m'a fait froid dans le dos. Parmi nos revendications, la première chose qu'on met en avant, c'est qu'il faut du personnel pour rouvrir des lits. Si on en ferme encore, il va y avoir des morts ! »

Régine Linard n'est pas non plus franchement emballée par l'idée d'un rapprochement des hôpitaux publics. « On sait ce qu'ils veulent faire : rassembler Saint-Antoine, Trousseau et Rothschild sous une seule direction, mutualiser les cuisines des trois établissements... Les repas servis aux patients vont être encore moins bons. » Quant à la meilleure coordination entre l'hôpital et la médecine de ville, l'infirmière redoute qu'elle ne permette, par exemple, aux cabinets de libéraux de venir utiliser l'appareil IRM de l'hôpital Saint-Antoine. A.L.G.

À Carhaix, branle-bas de combat pour l'hôpital

Faut-il choisir entre sécurité et proximité ? Dans le petit hôpital de Carhaix-Plouguer (Finistère), qui emploie 600 salariés, personne ne le croit. Et les propositions du rapport Larcher n'ont pas convaincu grand monde. Depuis plus d'un mois, les soignants et les habitants qui dépendent de l'établissement sont mobilisés pour le défendre, redoutant sa transformation en centre de gériatrie. Catherine Henry, infirmière en « gastro », ne croit pas que la qualité des soins dépende de la taille de l'hôpital. Ce préjugé « dévalorise » le personnel, dit-elle avant d'évoquer « l'ambiance familiale » de l'hôpital.

« Notre cas illustre la logique générale », estime Clarisse Sibéril, infirmière en poste à Carhaix depuis 31 ans. Pour cette déléguée CFDT, la situation de l'établissement a « toujours été fragile ». Depuis quelques semaines, des menaces pèsent sur la maternité et la chirurgie. Deux services dont la fermeture aurait « des répercussions sur tout l'hôpital ».

Le principal problème de cet établissement isolé au coeur de la Bretagne ? « Le recrutement des médecins », selon Clarisse Sibéril. La moitié du déficit - plus d'un million d'euros en 2007 - s'explique par le recours à des médecins intérimaires.

L'hôpital est considéré comme l'élément-clé de l'offre de soins du pays « centre-ouest Bretagne », qui représente 108 communes et plus de 103 000 habitants.

En février, un comité de défense et de développement de l'hôpital est né. Fin mars, 7 000 personnes ont défilé en ville. Presque l'équivalent du nombre de Carhaisiens.

Mathieu Hautemulle