« Toutes les grossesses ne sont pas des accidents » - L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 238 du 01/05/2008

 

Adolescentes

Questions à

Au centre de planification familiale de l'hôpital parisien Saint-Vincent-de-Paul, le Dr Sophie Gaudu accompagne des jeunes femmes qui s'interrogent sur la poursuite de leur grossesse.

Dans quelles conditions ces jeunes femmes arrivent-elles à la consultation et comment se déroule le premier entretien ?

Elles viennent au centre pour une IVG ou pour une hésitation sur la suite à donner à leur grossesse. À l'adolescence, toutes les grossesses ne sont pas des accidents, même si c'est le cas la plupart du temps. Ces patientes doivent être considérées comme des femmes enceintes et non comme des adolescentes. La première étape est de réinscrire la grossesse dans son contexte social et dans un projet personnel, en interrogeant la patiente.

On ne peut pas comparer une très jeune femme en couple, qui a choisi d'avoir un enfant, et une adolescente qui a décidé de poursuivre sa grossesse parce qu'elle s'en est aperçue tardivement mais n'a pas souhaité se rendre à l'étranger pour avorter. Les risques médicaux varient considérablement selon que la grossesse est acceptée ou non par l'entourage de la jeune fille. L'accompagnement pluridisciplinaire qui lui est proposé s'adapte en conséquence.

Voici 25 ans que vous pratiquez des IVG. Observez-vous une évolution dans les représentations ?

Je suis très frappée par la montée des intégrismes, toutes croyances confondues. On voit apparaître à nouveau un « ordre de virginité » et d'interdit autour des rapports sexuels. Or, on ne peut empêcher le désir d'exister, ni les jeunes filles de vivre leurs histoires. Et on le sait, l'interdit du rapport sexuel complique beaucoup la contraception et engendre des grossesses. Lorsqu'on en est à transgresser l'interdit de la virginité, la contraception devient un problème secondaire. En consultation, on retrouve un bataillon de jeunes filles enceintes, lesquelles, en général, ne poursuivent pas leur grossesse (1).

Quel est le regard des familles, de l'entourage, sur la pratique de l'IVG chez les adolescentes ?

Il faut savoir que, dans 80 % des cas, selon mes statistiques, les patientes mineures que je reçois n'ont pas averti leur famille avant de demander une interruption volontaire de grossesse. Cela dit, depuis une dizaine d'années, j'observe une montée de ce que l'on peut appeller « l'injonction d'avortement ». Même si l'on permet aux jeunes filles d'avoir une vie sexuelle, cela ne veut pas dire que l'on accepte de les voir tomber enceinte. L'entourage (famille, petit ami) tente généralement de convaincre la jeune fille d'avorter. On peut penser qu'elle serait certainement arrivée à la même conclusion. Mais cette forte pression constitue une entrave à sa liberté de penser et d'agir, et de choisir seule ce qu'elle souhaite.

D'ailleurs, cette injonction concerne toutes les femmes : dès que le cadre n'est pas exactement ce qu'il devrait être, la femme est encouragée à avorter. Lorsqu'il s'agit d'une adolescente, la pression de l'entourage est d'autant plus forte. Cela explique que certaines grossesses soient annoncées tardivement, de façon délibérée, afin que le délai légal pour avorter en France soit dépassé, et qu'on ne puisse plus influencer leur choix.

Qu'est ce qui vous intéresse dans ce travail d'accompagnement ?

Ce qui me plaît, c'est de les accompagner dans le démarrage de leur vie de femme, en étant si possible une « bonne rencontre ». Je veille à ne pas me montrer répressive ni intrusive. Je suis là pour protéger la sécurité de leur appareil génital mais aussi pour leur offrir les armes pour s'épanouir dans les domaines de leur sexualité et de leur vie amoureuse.

Lorsque nous dialoguons, je leur demande souvent l'âge de leur premier rapport sexuel et ses circonstances. Nous abordons alors la question essentielle du consentement et de l'égalité dans la relation. La loi sur l'IVG n'a pas fixé de plancher d'âge et n'a pas distingué les mineures de plus et de moins de 15 ans. En moyenne, à 15 ans, 10 à 15 % des adolescentes ont déjà eu des rapports sexuels (contre 35 % à 16 ans) et un nombre non négligeable de ces jeunes filles ont subi des violences.

1- Sur l'ensemble des patientes en demande d'IVG suivies au centre, 20 % sont des mineures, ce qui représente 150 à 200 adolescentes par an.

Sophie Gaudu Gynécologue-obstétricienne

Praticienne de l'AP-HP, Sophie Gaudu est responsable du centre de planification familiale de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul et tient des consultations en obstétrique. Elle est également présidente du Revho (Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie), qui rassemble 18 centres hospitaliers et 200 médecins de ville.