Après le traumatisme, l'entreprise pense les plaies - L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008

 

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Horizons

Lorsque des salariés vivent des événements violents ou déstabilisants au travail, certaines entreprises font appel à des structures spécialisées, pour leur apporter un soutien psychologique. L'IAPR est l'une d'entre elles.

Une tentative de suicide sur la voie du métro parisien. Le conducteur est évacué, choqué par l'accident. La victime est sérieusement blessée. Secouristes, policiers, techniciens et cadres de la RATP sont sur place. Malgré la situation, ils doivent se concentrer sur leur mission, faire repartir le trafic le plus rapidement possible. Cela leur permet de faire momentanément abstraction de leurs émotions. Mais plus tard, lorsqu'ils sont de retour chez eux, en particulier au moment du coucher, les images peuvent revenir à leur esprit, tel un film qui repasserait en boucle.

Pour mieux accompagner psychologiquement son personnel témoin d'événements graves, mais aussi victime d'agressions, la RATP lance un audit en 1998. Objectif : étudier la pertinence du dispositif interne d'assistance à ses agents. Conclusion : une prise en charge anonyme, par des professionnels extérieurs à l'entreprise et dans un lieu neutre, est indispensable pour une meilleure efficacité. En effet, les salariés préfèrent éviter de se confier à des psychologues salariés de la même société.

qui va bien travaille bien

La RATP décide alors d'externaliser son service d'accompagnement psychologique. En 2000 naît l'Institut d'accompagnement psychologique et de ressources (IAPR), fondé conjointement par la RATP et la GMF. Les agents des transports parisiens peuvent s'adresser à l'IAPR via un numéro vert, et du côté de la société d'assurance, il s'agit alors d'une prise en charge des sociétaires en cas de sinistre. Peu à peu, l'institut a élargi la liste de ses partenaires. Une cinquantaine d'entreprises tels La Poste ou Total, des sociétés du bâtiment, mais aussi des administrations ou collectivités territoriales font désormais appel à ses services. « Un salarié qui va bien dans sa tête est un salarié qui bosse, note Caroline Maugez, psychologue clinicienne à l'IAPR. Employer des salariés en bonne santé physique et psychique présente pour l'entreprise un intérêt économique et, on peut l'espérer, humain. »

braquage ou... licenciement

Les psychologues sont susceptibles d'intervenir dans le cadre, par exemple, d'une fermeture de site. « Dans ce cas, explique Jacques Rondeleux, nous sommes là pour aider les salariés à faire face au changement et à l'intégrer, apaiser les tensions et recréer un collectif de travail. » Mais l'essentiel de l'activité de l'IAPR concerne l'accompagnement post-traumatique du salarié victime ou témoin de violences venant de l'extérieur de l'entreprise : braquage d'une station-service, découverte d'un corps dans le métro ou dans un parking...

Ainsi, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la trentaine de psychologues cliniciens et de sociologues de l'IAPR se relaient pour répondre aux appels émanant la plupart du temps de la direction ou de l'encadrement des entreprises. « Quand nous avons un signalement, par exemple un braquage dans un bureau de poste, nous nous engageons à apporter une réponse dans les huit heures, indique Jacques Rondeleux. Il faut faire en sorte que le salarié témoin ou victime soit en arrêt de travail le moins longtemps possible. Différentes actions sont possibles : des entretiens téléphoniques ou en face-à-face dans nos locaux, plus rarement une intervention sur site, des groupes de parole ou des actions de sensibilisation. On appelle au besoin le salarié chez lui. On se met ensuite à sa disposition pour la suite de la prise en charge, en le rappelant éventuellement. »

« revenir parmi les vivants »

Le suivi est plus ou moins soutenu selon les personnes. En général, trois à six entretiens suffisent. S'ils révèlent d'autres problèmes, les patients sont adressés à un confrère pour une prise en charge plus complète. Pour cela, l'IAPR peut compter sur un réseau de 200 psychologues libéraux. « Mais la plupart du temps, ça ne dure pas », remarque Caroline Maugez. Auprès d'une personne traumatisée, ses premiers mots consistent à « lui permettre de considérer ses symptômes comme normaux. Car elle a le sentiment de ne pas se reconnaître après cet événement. Elle vient de vivre une expérience avec la mort. Il faut lui permettre de réintégrer la communauté des vivants ».

cadres sensibilisés

Si l'intervention concerne d'abord le salarié, elle peut aussi s'adresser à l'encadrant. Car à travers lui, il faut signifier à la victime ou au témoin d'un événement violent que l'entreprise se mobilise pour lui, qu'il est reconnu et peut retrouver sa place. Mais ce n'est pas toujours évident, observe Jérémy Simon, également psychologue clinicien, car « la tendance naturelle est de dire : "ça va aller". Or, c'est la mesure donnée à cet événement, l'attitude de l'entourage qui fera que le salarié va décompenser ou pas ». D'autant que, renchérit Caroline Maugez, « quand se produit un événement violent, il y a une victime directe, mais aussi tout un environnement de travail qui est touché. Le soutien à l'encadrement permet de maintenir une cohérence dans le collectif ». « Pour ma part, ajoute Jérémy Simon, j'ai mes phrases "tartes à la crème" pour les cadres, comme : "Vous avez fait ce qu'il fallait pour le rassurer." »

Un tiers des entretiens consiste donc en une série de conseils à l'encadrement. Et pour que le signalement devienne un réflexe - car il est la clé d'une intervention rapide, donc efficace - un travail de prévention est mené en amont auprès des entreprises partenaires de l'IAPR. Ainsi, en cas d'urgence, le psychologue de l'IAPR est un repère, déjà connu de l'entreprise. Des actions de sensibilisation et de formation permettent de donner aux cadres des moyens d'agir en pratique et de conseiller leurs collègues (comment porter plainte, quels papiers remplir, etc.).

Ainsi, à la RATP, l'institut organise des formations de deux jours, délivrant des outils pour mettre en place les attitudes et comportements adéquats. « Dans une autre entreprise, je suis intervenue de nuit auprès d'une équipe dont l'un des salariés venait de mourir d'un accident de moto devant le lieu de travail, raconte Caroline Maugez. Mon intervention ne s'est faite pas tant auprès de l'équipe - je me suis cependant entretenue avec la famille et les témoins de l'accident après les avoirs identifiés - que de l'encadrant. Il avait besoin d'informer ses collègues sur la façon dont cela s'était passé. J'ai mis l'accent sur l'importance de transmettre rapidement une information similaire à tous les salariés, pour stopper les fantasmes et les rumeurs, très destructeurs. »

ne pas taire l'événement

Cette notion de communication prend une résonance particulière en pareil cas. Une fois encore, insiste Jérémy Simon, « l'idée répandue est de ne pas faire de vagues. Or, il faut communiquer la nouvelle de la mort d'un salarié. À qui et comment, c'est ce que nous définissons avec l'encadrant. Cette approche témoigne d'une certaine stabilité face à un événement difficile ». Vis-à-vis d'hommes et de femmes souvent démunis quand ils sont confrontés à la mort et au deuil, la présence d'un tiers, professionnel à la déontologie claire, devient précieuse car, conclut Caroline Maugez, « montrer qu'un tel événement n'est pas tu, que l'on peut en parler, c'est apaiser un peu et en tout cas prendre en compte sa dimension humaine ».

1-Institut d'accompagnement psychologique et de ressources (IAPR), 16-18, rue de Bucarest, 75008 Paris. Tél. : 01 53 04 60 50. Courriel : iapr@iapr.fr. Site Internet : http://www.iapr.fr.

témoignage

« Réminiscences et sanglots »

Psychologue clinicien à l'IAPR, Jérémy Simon souligne l'importance d'une intervention rapide et bien menée après un événement traumatique : « Quand on est victime ou témoin d'un événement violent, on éprouve une grande solitude et un sentiment d'abandon, l'impression que personne ne pourra nous aider. Notre première démarche est donc de donner l'assurance aux personnes de pouvoir être aidées. Je leur délivre d'abord un maximum d'informations sur le stress post-traumatique. En leur décrivant ses symptômes : une première nuit agitée, des images récurrentes et des cauchemars. »

«Quand j'y pense, poursuit-il, je ne leur raconte que des horreurs, en parlant de réminiscences, d'hallucinations, de profonds sanglots pour un simple verre à moutarde brisé... Par ces descriptions, je ne fais que rationaliser, expliquer ces manifestations psychologiques qui donnent à la personne le sentiment de devenir folle. Du coup, à l'entretien suivant, elle réagit ainsi : "Tout ce que vous m'avez dit, je l'ai eu, je suis rassuré." C'est comme cela que l'alliance thérapeutique se met en place. »

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