Au clair de la dune - L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008

 

Marie-Madeleine Even

Vous

Rencontre avec

Elle a 50 ans, mais en paraît dix de moins. Fondue de marathon, de liberté et de contacts, Marie-Madeleine Even, infirmière anesthésiste, partage sa vie entre le CHU du Kremlin-Bicêtre et les grands espaces.

Rien ne la retient. Marie- Madeleine Even fonce dans la vie avec enthousiasme et sérénité. Ses passions ? Son métier et les marathons. « J'ai toujours couru et j'aime apaiser la douleur des gens » 100 % bretonne, volontaire et endurante, cette infirmière anesthésiste n'aime pas la routine. Tranquille et souriante, elle manie l'art et la manière de faire les choses sans pression ni astreinte. Libre ? Elle l'est : « Je fais ce que je veux quand je veux et n'ai de comptes à rendre à personne. » Stable ? Elle l'est aussi. À sa manière.

Infirmière depuis 1976, elle commence sa carrière par six années en réanimation à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil, Val-de-Marne). « Un excellent service. C'était le grand bonheur. Une cohésion et une entente parfaite, des soirées entre nous après le boulot... » Et puis, un jour, « je me suis dit qu'il fallait que je me remette en question, sinon je risquais de rentrer dans une routine et de me figer dans mon activité ». En 1985, donc, son diplôme d'infirmière anesthésiste en poche, elle entre au CHU du Kremlin-Bicêtre : « L'évolution en anesthésie permet de ne pas se scléroser dans des gestes routiniers. » Elle y travaille toujours. L'amour du contact avec les patients lui donne des ailes. « J'aime réconforter les gens, les soulager, leur donner du bonheur dans des situations difficiles. Je leur caresse le visage avant de les endormir, leur parle d'une certaine façon. »

sans entraves

La liberté dans tout cela ? « C'est de courir. Et de ne pas avoir de contraintes. Quand on est marathonienne, on ne s'arrête pas. » Le sport est affaire d'équilibre et source de plaisir pour l'infirmière au caractère trempé. Ce qui fait courir Marie-Madeleine ? « J'ai toujours aimé cela. Je me revois, à 18 ans, dans une sorte de plénitude, au printemps, parcourant la campagne. Comme un exutoire. Ce qui me plaît dans le marathon, c'est son côté extrême : le dépassement de soi. L'entraînement est très dur. C'est très intéressant de savoir jusqu'où on peut aller avec sa carapace. » Chaque semaine, elle avale entre 40 et 50 kilomètres. Et privilégie un espace-temps entre hôpital et entraînement. Une espèce de cassure pour se réparer de sa vie civile. Un no man's land pour ne rien faire, reposer ses jambes, se relaxer, en buvant du thé. Une parenthèse.

« je ne fais rien à moitié »

Mais ce qui la régénère le plus, c'est de bouger. En 1995, le Pr Alain Patel, chirurgien orthopédiste, lui confie sa première mission à l'étranger. Elle part au Laos avec l'Association médicale franco-asiatique (Amfa). La voilà parachutée à Vientiane. Dans l'hôpital de la capitale, au sein d'une équipe, elle y soigne bénévolement, pendant cinq semaines, des patients souffrant de nombreuses carences, mais surtout des accidentés de la route pour lesquels des interventions d'urgence sont nécessaires. Un bloc opératoire de traumatologie, tout carrelé, est créé. On y forme à la stérilisation, à l'anesthésie, à la désinfection dans un « bain ». La tolérance à la douleur des Laotiens impressionne Marie-Madeleine : « Les patients n'avaient pas besoin d'antalgiques après les interventions ou pour soulager leurs fractures. Je me souviens d'une patiente à laquelle je répétais : "Vous n'avez pas mal ?" Font-ils un travail sur eux ? Est-ce le bouddhisme ? En tout cas, ça tient la route. » A-t-elle pensé à s'impliquer dans une ONG ? « Bien sûr, mais c'est compliqué pour l'instant. Mais à ma retraite, oui. Quand on rentre dans ce milieu, il faut le faire à fond. Et je ne sais pas faire les choses à moitié. »

le mental pour tenir

Pour Marie-Madeleine, les soins à l'autre bout du monde se résument à des missions de courte durée. En 1996, elle est contactée par le Dr Gaston Peltre, chirurgien orthopédiste et créateur des Doctrotters (1), une société d'assistance médicale de terrain, spécialisée dans l'encadrement d'événements sportifs. Destination : le désert sud-marocain, sur le Marathon des Sables. C'est « la » course de référence dans l'univers de l'endurance. À des heures de 4 x 4 de Ouarzazate. « Il savait que je faisais beaucoup de sport et que je suis une personne de terrain. L'idée d'aller dans le désert, c'était magique et ça représentait beaucoup pour moi. » Le Marathon des Sables ? « À l'époque, je me demandais comment on pouvait aller courir dans le désert un sac sur le dos, avec uniquement son mental et de l'eau pour tenir ! » Sous un soleil de plomb, 245 kilomètres à parcourir en une semaine en autosuffisance alimentaire. Avec pour seul bagage un petit sac d'environ huit kilos, dans lequel chaque participant transporte toute sa nourriture hebdomadaire et son matériel. Pour l'eau, une dizaine de litres est distribuée chaque jour. Le plus dur ? Monter et descendre dans le sable. Épuisant, surtout avec une température pouvant grimper jusqu'à 55 °C. La seule chose à faire ? Maintenir son cap et gérer sa course.

forçats du désert

Le désert... « J'en avais plein les yeux. Aujourd'hui, je suis toujours émerveillée. Je pense au temps, aux siècles, à tous ceux qui sont passés par là... » Marie-Madeleine effectue neuf missions avec les Doctrotters, de 1996 à 2008. Bénévole et passionnée, elle affûte son oeil avisé pour repérer la déshydratation, la fatigue... Les pieds des coureurs ? Tout un poème. Rougis par l'éosine, recouverts de sparadraps et de bandages, ils n'ont rien à envier aux mollets gonflés à bloc, aux épaules et aux chutes de reins en feu - avec le frottement du sac à dos... « Les pieds percutent en permanence, parfois dix ou douze heures, le sol, dans les baskets. C'est un vrai traumatisme. »

Avril 2008. Sous la tente, l'équipe des Doctrotters est en pleine effervescence. Infirmières et médecins soignent une marée d'ampoules impressionnantes. Ils incisent, vident, nettoient, découpent en cas d'infection, mettent des antiseptiques... Les coureurs, allongés sur des tapis aux tons jaunes s'abandonnent aux mains. À l'arrivée de l'étape de 75,5 km que certains ont parcourue en plus de trente heures, « les pieds sont éclatés mais les concurrents continuent grâce à la force du mental. Coureuse moi-même, j'ai une meilleure perception de leur souffrance. Je ressens, je sais pourquoi ils sont là. Enlever un pansement, ça fait très mal, effleurer un pied, c'est ultra-douloureux. Je les rassure. »

au-delà de la douleur

Le sable, les cailloux, elle va les fouler à son tour. « J'aime l'extrême, explique-t-elle. Pousser mes limites au-delà de ce que je connais de moi-même et de la douleur. » En 1997, Marie-Madeleine remonte la course en 4 x 4 en direction du bivouac. Soudain, une averse chaude et... un immense arc-en-ciel. « La pluie en plein désert, c'est incroyable ! Les coureurs se ramassaient comme de petits escargots, leurs sacs sur le dos. Ils "courotaient". Je me suis dit qu'il fallait que je vive ça. » Depuis, le désert est devenu son terrain de course de prédilection. Elle court son premier Marathon des Sables en 1998, après plus de six mois d'entraînement. « Je partais courir aux heures les plus chaudes, entre midi et 14 heures, tout en sachant que ce serait pire au Maroc. Et ça a marché. Je suis passée de 50 km par semaine à 140 km. Je quittais l'hôpital à 15 h 30, courais deux heures, une douche, puis salle de musculation, pour le dos, jusqu'à 20 h 30. Il faut une discipline très forte et avoir à l'esprit que la gestion - de la course, de l'effort, de l'eau, de l'alimentation - est un maître-mot. »

en route pour la mongolie

Marie-Madeleine est gagnée par la fureur du dépassement de soi. Elle passe du jogging quasi professionnel aux marathons qu'elle enchaîne : Trans 333, et autant de kilomètres non-stop en Mauritanie puis au Niger ; Boa Vista Ultramarathon, 150 km en 29 heures dans les îles du Cap-Vert ; Desert Cup, 150 km en Jordanie... « On apprend à gérer sa vie personnelle par ce chemin-là, à faire plus de choses. Je planifie ma journée dès 5 heures quand je me lève et je sais que jamais je ne serai fatiguée. » En juillet prochain, elle parcourra 300 km, en neuf jours et en semi-autosuffisance, dans les arides paysages de Mongolie. « Le désert, c'est la plénitude. Le plus dur ? L'arrivée, comme pour un marin qui amarre avec la foule sur le quai. On quitte quelque chose de fabuleux. »

1- http://www.doctrotter.com.

moments clés

- 1955 : naissance à Lorient.

- 1976 : diplômée d'État à Créteil.

- 1976-1982 : service de réanimation du CHU Henri-Mondor.

- 1983-1984 : études d'infirmière anesthésiste à la Pitié-Salpêtrière.

- Depuis 1985 : infirmière anesthésiste au CHU du Kremlin-Bicêtre.

- 1995 : mission avec l'Amfa au Laos.

- 1996 : première mission avec l'équipe d'assistance médicale Doctrotter, dans le désert sud-marocain.

- 1998 : premier Marathon des Sables, au Maroc comme coureuse.

- 2007 : Boa Vista Ultramarathon, dans les îles du Cap-Vert.