Face aux tabous, des ressources - L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008

 

Délinquants sexuels

Du côté des associations

Afin de prévenir la récidive des agresseurs sexuels, une association de praticiens a décidé de mettre en commun ses connaissances. En douze ans d'existence, l'Artaas a permis de grandes avancées.

Tout a commencé en 1993, sous l'impulsion d'une équipe de praticiens travaillant en milieu carcéral. Des questionnaires ciblant des détenus condamnés pour agressions sexuelles sont élaborés afin de mettre au point un protocole de soins. De cette expérience pluridisciplinaire, menée par 18 équipes à travers la France, naît en 1996 l'Association pour la recherche et le traitement des auteurs d'agressions sexuelles. « Les soignants viennent à l'Artaas échanger sur leurs pratiques, poursuivre une réflexion, chercher un encadrement », explique Sophie Baron-Laforêt, psychiatre et vice-présidente de l'association.

trop peu d'études

Les membres de l'Artaas défendent trois priorités : l'amélioration de l'offre de soin, une meilleure articulation entre justice et soignants, et une progression de l'effort de recherche. « La pédophilie, en particulier, est un sujet qui fait horreur. Les services universitaires ne travaillent pas ce terrain et rencontrent très peu les délinquants sexuels, pointe Sophie Baron-Laforêt. Pour favoriser la prise en charge de ces individus, il faut pourtant offrir plus de recours aux personnes travaillant en santé mentale, notamment en favorisant l'acquisition de connaissances dans ce domaine. »

Même constat du côté de Pierre-Yves Emeraud, infirmier de secteur psychiatrique au service médico-psychologique régional (SMPR) de la maison d'arrêt de Grenoble-Varces : « L'Artaas a élargi notre horizon. On se pose forcément des questions du type : les pédophiles sont-ils tous des pervers ? L'association nous a permis de nous stimuler intellectuellement, de prendre du recul et de rencontrer d'autres professionnels extérieurs à la prison ou venus de l'étranger. »

Dans les années 1990, des affaires de moeurs défraient la chronique. Le psychiatre Claude Balier, président de l'Artaas, participe à la commission Santé et justice, qui accouche de la notion de « soin encadré ». En 1998, la loi Guigou instaure le suivi socio-judiciaire des délinquants sexuels, qui impose une prise en charge thérapeutique sur dix à vingt ans. Une victoire pour l'association. « Un basculement vers la prévention a eu lieu, fait remarquer Pierre-Yves Emeraud. On travaille désormais dans le but d'éviter de futures victimes. Une démarche qui va à l'encontre de la culture psy, pour qui le rapport au patient est primordial, sans comptes à rendre à la société. »

contourner le déni

Pierre-Yves Emeraud revient sur les progrès réalisés depuis quinze ans en matière de prise en charge des délinquants sexuels : « Nous avons constaté qu'il fallait diversifier les approches thérapeutiques. À Varces, longtemps, les entretiens individuels ont été privilégiés alors que ces populations, qui sont dans le déni, manipulent leurs interlocuteurs, ne vont jamais à l'essentiel... Nous avons mis en place de nouvelles techniques qui viennent les bousculer, avec des questionnaires et des entretiens très directifs, ou des travaux de groupe. Les pédophiles, en particulier, sont timides, inhibés : le travail en groupe va les décoincer. Nos approches ne sont plus strictement psychanalytiques. Également éducatives, elles s'inspirent des travaux des Canadiens. »

formations demandées

L'association regroupe des psychiatres, des psychologues, des éducateurs, ainsi qu'un grand nombre d'infirmières et de cadres de santé. « Les infirmières réalisent les premiers entretiens d'évaluation avec les détenus, organisent le suivi et animent les thérapies de groupe, précise Sophie Baron-Laforêt. Elles sont nombreuses à se tourner vers nous, car la demande de soin est très grande et elles ne sont pas forcément préparées. »

Des formations et des diplômes universitaires sont proposés par l'Artaas. Cécile, infirmière et membre de l'association depuis ses toutes premières heures, s'est rendue dès 1996 à l'Institut Philippe-Pinet de Montréal, où une unité spécifique travaille auprès d'agresseurs sexuels, volontaires pour les soins. « En rentrant, nous avons pu établir un protocole à Fresnes, qui canalisait la dangerosité de nos patients. Ceux-ci se sont mis à penser qu'ils allaient s'en sortir », raconte-t-elle. « Car face à ce type de détenus, on ne peut pas partir sur un diagnostic infirmier avec un traitement médicamenteux adapté, précise cette soignante chevronnée. Notre rôle est d'accompagner les détenus dans un processus thérapeutique, d'amorcer une demande de soin et d'établir un contrat thérapeutique. Le but est de faire en sorte qu'ils n'aient plus envie qu'il y ait de victimes. »

savoir-faire

En 2004-2005, Cécile préparait un mémoire de diplôme universitaire via l'Artaas, intitulé « Le soin, pour donner du sens à la peine ». « Pour moi qui suis mère de famille, comme pour mes collègues, travailler avec ces personnes n'a rien d'évident. Mon hypothèse de départ était : comment réussir à m'inscrire dans une dimension de soin avec un agresseur sexuel ? Grâce à l'Artaas et aux formations que j'ai suivies, je dispose aujourd'hui d'un savoir-faire et d'un héritage. Quand je me trouve face à une autre infirmière complètement démunie, je lui soumets mon mémoire de DU. »

Artaas

26, rue Yves Toudic 75010 Paris

http://www.artaas.org

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