Le Croissant-Rouge sur tous les fronts - L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008

 

palestine

Reportage

Entre villes palestiniennes, colonies israéliennes et barrages routiers, les ambulanciers de l'organisation humanitaire se fraient un chemin pour intervenir, dans l'urgence, sur le territoire morcelé de la Cisjordanie.

«Oui, on dirait un peu un village américain ! » D'un geste de la main, Ahmed Ramadan montre les toits de tuiles rouges, tous semblables, de la colonie israélienne voisine. L'architecture « à l'occidentale » de ces maisons équipées de tout le confort moderne fait contraste avec les bâtiments de la ville d'El Bireh, en Cisjordanie, construits, eux, « à l'arabe ».

Nous sommes à une quinzaine de kilomètres au nord de Jérusalem. Dans les locaux du Croissant-Rouge palestinien, principale organisation humanitaire à assurer le service médical d'urgence dans la région, Ahmed Ramadan est formateur du personnel ambulancier. En quarante ans d'occupation des Territoires, les hommes et femmes travaillant pour cette organisation se sont forgé une solide expérience du transport d'urgence en zone de conflit.

L'histoire du Croissant-Rouge commence pendant la guerre russo-turque de 1876, douze ans après la création de la Croix-Rouge par Henri Dunant. Si l'emblème de l'organisation reprend la forme et les couleurs, inversées, du drapeau suisse, l'Empire ottoman objecte alors que l'emblème rappelle par trop l'insigne des Croisés... Apposé sur ses ambulances, ses uniformes et son matériel médical, le logo, adopté par plusieurs pays musulmans, est officiellement reconnu par la Croix-Rouge en 1929.

Parcours d'obstacles

Depuis la création de l'État hébreu, les ambulances israéliennes du Magen David Adom (MDA) arborent, elles, l'étoile de David rouge. L'une et l'autre de ces organisations opèrent en Cisjordanie (1). La région n'est longue que de 130 kilomètres, mais pour circuler en ambulance, rien n'est simple. À cause de la proximité des colonies et de la circulation de civils israéliens habitant dans les implantations, des centaines de kilomètres de route sont interdites aux Palestiniens pour des raisons de « sécurité ». Environ 600 obstacles (2) sont donc disséminés en Cisjordanie et entravent le passage : il peut s'agir d'une butte de terre, d'une barrière ou encore d'un check-point, barrage contrôlé par des militaires israéliens : « Il faut bien souvent passer de trop longues minutes à parlementer avec eux et leur expliquer qu'il y a urgence, qu'un patient nous attend. Parfois, les Israéliens font du zèle, déplore Yazam, ambulancier de 25 ans. Une fois, je me suis engueulé avec une jeune soldate qui trouvait que j'avais une tête louche. Au fond de l'ambulance, une femme perdait les eaux. L'accouchement a eu lieu au check-point, dans le véhicule. »

Relatif apaisement

Actuellement, les incursions israéliennes en Cisjordanie se font plus rares. À Ramallah, siège de l'Autorité palestinienne, l'armée n'a pas mis les pieds depuis quelques mois. Par contre, le Croissant-Rouge est appelé lorsque des clans rivaux font parler la poudre.

Les interventions sont surtout logistiques, les ambulances étant dépêchées pour le transport de patients de leur domicile aux hôpitaux. Les cas sont classiques : blessures domestiques, soins à apporter aux diabétiques ou encore malaise cardiaque.

Coups de couteau

Lundi soir, à El-Bireh, la radio crépite : un homme a été poignardé dans la banlieue de Ramallah. Pour se rendre sur place, il ne faudra que quelques minutes. L'uniforme taché de sang, l'ambulancier du Croissant-Rouge s'affaire prestement autour du jeune garçon gémissant au milieu d'une ruelle sombre : « Le pronostic vital est bon », estime Yazam. Les blessures sont multiples : des coups de couteau ont été portés au thorax, aux joues et à l'abdomen. Les premiers soins prodigués, le patient est monté sur une civière et placé à l'arrière d'un puissant fourgon de marque américaine, muni d'un équipement médical sophistiqué : le défibrillateur dernier cri jouxte les bouteilles d'oxygène, des attelles de toutes sortes et des sérums.

Toutes sirènes dehors, l'ambulance rejoint l'hôpital public de Ramallah. De rares néons blafards éclairent une salle des urgences bondée, les portes voilées ne tiennent que par des charnières défoncées. Et sur le sol, de vieilles compresses attendent d'être ramassées.

Autorité sous perfusion

Le système de santé palestinien manque cruellement de moyens, l'Autorité étant sous perfusion de l'aide internationale. Le Croissant-Rouge, lui, peut compter sur des dons privés, ou venus de pays comme le Danemark, la Norvège et la Turquie. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), dont il est membre, met aussi la main à la poche. Et « l'Autorité palestinienne nous alloue 800 000 dollars par mois », précise Erab Foukaha, employée de l'organisation. Cela représente près d'un tiers du budget du Croissant-Rouge, mais des aléas subsistent : au moment de la victoire électorale du Hamas, en 2006, l'Autorité, confrontée à un boycott international, n'a pas pu payer tous les versements, et le CICR a pris le relais pendant quelque temps.

Deux heures du matin : à Jérusalem-Est, un homme souffrant de graves problèmes de diabète doit être transféré vers un hôpital de Ramallah. Une ambulance est de nouveau envoyée... mais doit s'arrêter au check-point de Qalandia, où elle est bloquée par l'armée israélienne. C'est une autre ambulance du Croissant-Rouge qui amènera le blessé au check-point.

Réciprocité

Le transfert s'effectue directement par l'arrière des deux véhicules. Ce système, appelé back to back, est parfois utilisé avec les ambulanciers israéliens du MDA. « Lors de la seconde Intifada, par exemple, les deux organisations ont collaboré étroitement via ce système », précise Ahmed Ramadan. L'échange fonctionne également dans l'autre sens, toujours sous le sceau de la neutralité : « Il est même arrivé que nous leur transférions un colon israélien blessé lors d'affrontements. »

1- Le Croissant-Rouge couvre aussi la bande de Gaza.

2- Source : ONU (http://www.ochaopt.org).