Les médicaments de 2e urgence des intoxications aiguës - L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008

 

toxicologie

Conduites à tenir

Pour remédier à l'absorption de substances toxiques, divers médicaments peuvent être administrés après les traitements de première intention, en fonction du diagnostic.

TRAITEMENTS SYMPTOMATIQUES ET ADJUVANTS

Douleur toxique. Le traitement est non spécifique, adapté à l'intensité de la douleur : utilisation d'un antalgique de palier adapté. La morphine est le médicament de première intention lors d'une ingestion de caustique fort, une anesthésie générale pouvant devenir rapidement impérative : fibroscopie immédiate et très probable chirurgie d'urgence.

Anxiété ou agitation toxique. Le diazépam est généralement recommandé, quelle que soit la cause. En cas de tableau hallucinatoire, on peut proposer l'halopéridol en complément.

Acidose lactique. Concerne essentiellement les intoxications par adrénergiques, alcools, aspirine, biguanides, CO, ions cyanures, caustiques : l'alcalinasation, possiblement délétère, n'est pas indiquée ; avis impératif du médecin réanimateur.

Diarrhées, déshydratation et vomissements. Respect des diarrhées, nécessité de protection cutanée en cas d'ingestion de trichloréthylène. Les vomissements et la déshydratation sont traités de la façon symptomatique habituelle.

Intoxication par ecstasy. Risque d'hyponatrémie sévère avec l'ecstasy : restriction hydrique, soluté salin hypertonique si déshydratation extracellulaire persistante.

Intoxication par méthanol. Alcalinisation indiquée en cas d'acidose sévère : trou anionique très élevé (plus de 25 mmol/L) et/ou pH < 7,20 ; on prescrit 1 mmol/kg de bicarbonate molaire (1 mL/kg) ou semi-molaire (2 mL/kg).

Intoxication par l'éthylène- glycol et ses éthers. Alcalinisation indiquée en cas d'acidose sévère : trou anionique très élevé (> 25 mmol/L) et/ou pH < 7,20 ; on prescrit 1 mmol/kg de bicarbonate molaire (1 mL/kg) ou semi-molaire (2 mL/kg) en évitant toute surcharge volémique dans ce cas (possibilité d'anurie et d'insuffisance cardiaque liées au toxique).

Intoxication par médicament gastrotoxique. La prescription systématique d'un antiulcéreux de type anti-H2 ou IPP n'est pas justifiée. On réalise une fibroscopie gastrique en cas de symptomatologie.

Intoxication par caustiques

Caustiques faibles (produits irritants). Ils peuvent être dilués dans la première heure (1 à 3 verres d'eau selon le poids du sujet, l'équivalent d'un biberon chez le nourrisson). On propose ensuite un pansement gastrique pour 24 à 48 heures.

Caustiques intermédiaires. Concernant les oxydants, les chélateurs calciques et les dessicants, la conduite à tenir est la même que pour les caustiques faibles mais avec une dilution plus abondante. L'hyposulfite de sodium (hyposulfène) est inutile.

Concernant les acides et alcalins, elle dépend de la quantité ingérée ainsi que des données clinico-biologiques : un avis spécialisé s'impose.

Caustiques forts. Un avis spécialisé immédiat s'impose. Concernant les poudres ou gels pour lave-vaisselle et les oxydants concentrés à faible dose (une gorgée au maximum), la conduite à tenir reste la même que pour les caustiques intermédiaires. Dans les autres cas : boissons et pansements gastriques sont proscrits ; les antiulcéreux n'ont pas de bénéfice documenté ; l'accès veineux profond cervical gauche est proscrit (voie d'abord chirurgicale des oeso-gastrectomies).

Intoxication par champignons supérieurs

Syndrome phalloïdien. On propose, sans efficacité clinique formelle démontrée, la sibiline injectable : 5 mg/kg en 1 heure puis 20 mg/kg/24 heures en quatre perfusions (Légalon Sil®). Les fortes doses de pénicilline G ne sont plus recommandées. Certains auteurs ont proposé l'utilisation, non validée, de N-acétylcystéine.

Syndrome sudorien. On utilise l'atropine de façon titrée (première dose : 0,5 mg chez l'adulte).

Syndrome coprinien. On utilise le diazépam en cas de tableau anxieux mais seulement en cas d'hémodynamique stable.

Pas de cas clinique rapporté avec utilisation de fomépizole.

Syndrome panthérinien. On utilise le diazépam, associé au phénobarbital en cas de convulsions.

Syndrome narcotinien. On utilise le diazépam, associé à un neuroleptique (halopéridol) en cas de tableau onirique sévère.

Syndrome gastro-intestinal (résinoïdien). Respect des diarrhées, habituellement traitement des vomissements.

Principes habituels de la réhydratation.

ANTIDOTES

Ils sont susceptibles de modifier l'histoire naturelle de l'intoxication, sans action immédiate sur une perturbation physiologique. Ils agissent par des mécanismes biochimiques très divers, modifiant soit la cinétique du toxique, soit sa toxicodynamie. Ils ne devraient être prescrits qu'après évaluation du pronostic de l'intoxication et dans la mesure où il est admis que pour la circonstance clinique rencontrée, le produit a un rapport bénéfice-risque positif, et ce d'autant que le coût peut ne pas être négligeable. Évitant ou limitant une évolution péjorative, ils pourront faciliter la prise en charge ou faire moduler l'orientation hospitalière du patient.

Intoxication par antivitamine K. Qu'il s'agisse de médicaments, de raticides anticoagulants ou de plantes contenant des dérivés coumariniques (telle la grande férule), une hypoprothrombinémie menaçante justifie la prescription initiale des facteurs coagulants inhibés par le toxique.

Le traitement antidotique de deuxième ligne repose sur la vitamine K injectable puis parfois orale lorsque, et c'est le cas pour les raticides, la demi-vie d'élimination du toxique est extrêmement longue (plusieurs semaines parfois) ; la vitamine K agit par mécanisme compétitif sur les sites de synthèse des fractions coagulantes hépatiques vitamine-K-dépendants.

L'objectif chez le sujet traité par anticoagulant au long cours est le retour de l'INR (International Normalised Ratio) dans la zone thérapeutique, et non pas sa normalisation.

Intoxication par cyanures. À côté du traitement urgent des intoxications cyanhydriques par oxygène et ions cobalt, le thosulfate de sodium (hyposulfène ®) est un traitement d'appoint permettant la formation de thiocyanate par stimulation de la voie de la rhodanèse ; le composé formé est stable et est éliminé par les urines.

Intoxication par éthylène-glycol ou ses éthers. L'histoire naturelle de l'intoxication est la survenue de troubles métaboliques puis d'une atteinte cardiaque, rénale et neurosensorielle.

L'alcool éthylique (Curéthyl®) et le fomépizole ou 4-méthylpyrazole (Fomépizole AP-HP®) bloquent la fabrication des métabolites acides toxiques, et peuvent permettre de surseoir à l'hémodialyse, tout en prolongeant la demi-vie d'élimination du glycol (nécessité d'un avis spécialisé).

Les indications sont :

- une dose ingérée de plus de 0,15 g/kg (0,135 mL/kg de produit pur) ou

- un taux sanguin supérieur à 3 mmol/L (1 g = 16 mmol) ou

- un trou osmolaire (1) supérieur à 10 mOsmol/L ou

- un trou anionique [Na+ - (HCO-3 + Cl-)] de plus de 16 mmol/L (auquel peut participer une hyperlactatémie ou une cétonémie, notamment chez le patient éthylique), ou

- un pH < 7,30 ou

- présence de cristaux d'oxalates dans les urines.

Un trou anionique très élevé (plus de 25 mmol/L) et/ou un pH < 7,20 et/ou un taux plasmatique ³ 0,5 g/L sont prédictifs d'une évolution péjorative et imposent à la fois la prescription d'un antidote, de bicarbonate de sodium et l'hémodialyse.

La vitamine B6 est proposée comme traitement adjuvant.

Intoxication par méthanol. L'histoire naturelle de l'intoxication est la survenue de troubles métaboliques puis d'une atteinte optique. L'alcool éthylique (Curéthyl®) et le fomépizole ou 4-méthylpyrazole (Fomépizole AP-HP®) bloquent la fabrication des métabolites acides toxiques, et peuvent permettre de surseoir à l'hémodialyse, tout en prolongeant la demi-vie d'élimination du méthanol (nécessité d'un avis spécialisé).

Les indications sont :

- une dose ingérée de plus de 0,15 g/kg (0,19 mL/kg de produit pur) ou

- un taux sanguin supérieur à 6 mmol/L

(1 g = 31 mmol) ou

- un trou osmolaire > 10 mOsmol/L ou

- un trou anionique [Na+ - (HCO-3 + Cl-)] de plus de 16 mmol/L (auquel peut participer une hyperlactatémie ou une cétonémie, notamment chez le patient éthylique), ou

- un pH < 7,30.

L'intoxication par alcool à brûler, contenant plus d'éthanol que de méthanol, ne justifie pas de traitement antidotique tant que l'alcoolémie est de 1 g/L environ (mais le métabolisme de l'éthanol est plus rapide que celui du méthanol, ce qui doit conduire à une surveillance biologique rapprochée).

Un trou anionique très élevé (plus de 25 mmol/L) et/ou un pH < 7,20 et/ou un taux plasmatique ³ 0,5 g/L sont prédictifs d'une évolution péjorative et imposent à la fois la prescription d'un antidote, de bicarbonate de sodium et l'hémodialyse.

L'acide folinique est proposé comme traitement adjuvant (détoxication des ions formiates).

Intoxication par monoxyde de carbone. L'oxygénothérapie hyperbare, indiquée pour les formes les plus graves, doit être proposée dans trois situations, quels que soient la symptomatologie clinique et le taux de carboxyhémoglobine : femmes enceintes, enfants de moins de 10 ans, autres sujets avec perte de connaissance initiale. Ce traitement semble limiter les séquelles neuropsychiques et foetales.

Pour les intoxications ne présentant pas ces signes de gravité, une oxygénothérapie normobare (6 à 9 L/min chez l'adulte) doit être prescrite pour 12 heures.

Intoxication par nitriles aliphatiques. Leur métabolisme hépatique conduit à la formation d'ions cyanures. Le thiosulfate de sodium (Hyposulfène®) est un traitement très efficace permettant la formation immédiate de thiocyanate par stimulation de la voie de la rhodanèse ; le composé formé est stable et est éliminé par les urines.

Intoxication par organophosphorés. À côté du traitement symptomatique immédiat reposant sur l'oxygène, l'atropine et les anticonvulsivants, le chlorhydrate de pralidoxime trouve sa place :

- dans les formes graves : troubles neuropsychiques, bronchorrhée majeure, signes nicotiniques aigus précoces, hypotension artérielle, oedème pulmonaire aigu ;

- dans les formes évolutives malgré l'atropine ;

- pour les neurotoxiques et les insecticides porteurs de groupes éthylesters : chlorpyrifos, diazinon, parathion.

Le traitement s'impose tant que l'atropine est nécessaire et facilite la stabilisation du patient ; il semble également limiter l'incidence du syndrome intermédiaire.

Intoxication par paracétamol. L'effet toxique principal est la survenue d'une hépatite cytolytique pouvant conduire à une insuffisance hépatocellulaire majeure. Le mécanisme en est une déplétion cellulaire en glutathion, détoxifiant physiologique du principal métabolite du paracétamol (ce dernier n'étant pas à proprement parler hépatotoxique).

La N-acétylcystéïne, précurseur du glutathion et possiblement hépatoprotecteur par d'autres mécanismes, est l'antidote de choix et doit être prescrite chaque fois que l'évaluation pronostique du patient fait évoquer une atteinte hépatique secondaire.

L'antidote a une efficacité constante dans les huit premières heures. Celle-ci s'amenuise mais persiste après la 24e heure, même lorsqu'une hépatite survient.

1- Osmolarité mesurée (à l'osmomètre par la méthode du D cryoscopique) - osmolarité calculée : [(Na+ + 7) x 2] + glycémie (en mmol/L) + azotémie (en mmol/L) ; la présence d'éthanol dans le sang participe à ce trou osmolaire (21 mMol pour 1 g).

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