Quatre lieux pour se retrouver - L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008

 

Exclusion

Du côté des associations

Depuis plus de vingt ans, l'association bordelaise Asaïs oeuvre à la réinsertion des exclus en associant intimement santé, sociabilité et culture.

Un centre de consultation, mais aussi un bar associatif, une salle de spectacle, et une résidence de huit places. La réunion de ces quatre lieux a pu en désarçonner certains. Elle est pourtant la force même de l'association bordelaise de lutte contre l'exclusion Asaïs. Quatre lieux et des amarres pour permettre aux exclus, aux « paumés » de panser leurs souffrances, d'exister, de recoller les morceaux de leur humanité. Parce que l'exclusion a de multiples facettes, parce que « ceux qui passent le pas de notre porte sont des hommes et des femmes fracassés, cumulant les ruptures : de soins, familiales, professionnelles, intimes », explique Michel Lemasson, psychiatre et cofondateur des lieux.

isolés dans la ville

Créée en 1982, Asaïs est née de la réflexion menée par des professionnels sur la question de l'insertion de personnes en grandes difficultés psychosociales, à une époque où la sectorisation démarrait. « Les asiles ont été ouverts sur la ville, une idée enthousiasmante. Puis on s'est demandé pourquoi les fous "relâchés" n'arrivaient pas à vivre dans la cité », explique Michel Lemasson. Comment réapprendre à habiter un lieu ? Quelle réponse apporter à la solitude de ceux qui se retrouvent isolés dans la ville ?

En 1988, ce questionnement a conduit à l'ouverture du Bistrot, lieu d'accueil et de vie associative, comptant aujourd'hui une centaine d'adhérents. En 1994, c'est la création d'Artisse, espace de créations artistiques : une occasion de rencontrer le public, dans la foulée des ateliers proposés par des artistes bénévoles. En 1995, Asaïs a ouvert sa Résidence, avec des « logements meublés, pour apprendre à vivre seul et avec les autres, à habiter un chez-soi, à gérer son quotidien ».

population hétéroclite

Cette même année a vu la naissance du réseau Icare, créé par Asaïs pour tenter de fédérer l'action de partenaires médicaux, sociaux et culturels de l'agglomération. À ces différentes structures s'est adjoint le centre de consultation, doté en 2006 du statut de centre médico-psychologique (CMP) intersectoriel destiné aux personnes en situation de précarité de l'agglomération. En 2007, sa file active dépassait les 220 personnes.

En 26 ans, la population accueillie a changé. « Aujourd'hui, souligne Michel Lemasson, il ne s'agit plus tellement de travailler avec des personnes en sortie d'hospitalisation de longue durée que d'apprivoiser une population hétéroclite d'hommes et de femmes plutôt jeunes, en rupture avec l'institution quelle qu'elle soit. » Des personnes isolées, précaires, souffrantes (schizophrénie, dépression...), ayant renoncé à chercher une aide fragmentaire. Ceux qui osent pousser la porte des lieux (d'eux-mêmes ou orientés par les partenaires de l'association) sont accueillis par une équipe de huit personnes : un psychiatre et deux infirmières (détachés de l'hôpital psychiatrique Charles- Perrens), deux éducateurs, une assistante sociale, un animateur de formation artistique et une secrétaire.

sans étiquette

Au CMP, on peut évoquer sa douleur mentale avec le médecin ou l'infirmière psychothérapeute, tout comme pousser d'abord la porte du Bistrot, où l'on nouera un premier contact avec l'assistante sociale ou l'éducateur qui vous prépare un café. « Santé, sociabilité, culture », ce triptyque signe une approche globale. L'accompagnement est mené sur ces trois fronts, sans que l'un prédomine sur l'autre. « D'ailleurs, note Michel Lemasson, est-il si important de savoir si la pathologie est née de la précarité sociale ou culturelle, ou si elle l'a précédé ? »

L'équipe lutte contre les étiquettes et les « cases toutes faites » dans lesquelles on voudrait faire rentrer les souffrances de l'un ou l'autre... Au tout-chimique, elle préfère l'écoute, « car le médicament seul ne peut être le traitement » ; et à l'immédiateté, le travail dans la durée, avec la participation de chacun.

« à nouveau visible »

Une démarche qui peut avoir du mal à se faire entendre, comme l'illustre la course aux financements menée par Asaïs - qui justement, ne rentre pas toujours dans les cases - auprès de l'agence régionale de l'hospitalisation et de l'Urcam, des hôpitaux, de la Région, du Département, de la Ville ou de divers acteurs privés.

Samuel réfléchit un instant, puis sourit : les années d'errance, d'alcool, sont loin. Élu représentant des adhérents, il est aujourd'hui l'un de ceux qui accueillent les nouveaux venus. « Certains moments ont été difficiles. Mais réapprendre à prendre soin de soi, avec une équipe à l'écoute, pouvoir à nouveau être visible, et tenter de changer le regard sur l'exclusion, ici, ce n'est pas qu'une utopie. »

Association Asaïs

6, rue Ausone 33000 Bordeaux

Tel : 05 56 81 93 22

http://www.asais-icare.org

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