Violences de la psychiatrie - L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 239 du 01/06/2008

 

patients

Dossier

Suivi fragmenté, traitements lourds, isolement, libertés entravées... le quotidien des malades est marqué par la souffrance.

«Quand vous souffrez physiquement, on vous soulage. Quand vous souffrez mentalement, on vous enferme. » Tel est l'amer constat que dresse Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations d'usagers de la psychiatrie (Fnapsy). Si la façon d'appréhender la psychiatrie a changé depuis la grande époque asilaire, l'enfermement demeure à bien des égards l'une des pratiques de référence du soin en psychiatrie. Il s'agit de comprendre l'ensemble des éléments liés à la maladie psychique qui peuvent être vécus comme des formes de violence par le patient.

La chambre d'isolement, à l'hôpital psychiatrique, apparaît comme le mode d'enfermement ultime. Pièce de taille moyenne au mobilier sommaire et aux murs nus, ce lieu fermé et sécurisé est destiné à accueillir des patients en état de crise, que l'on peut aller jusqu'à sangler sur un lit parce qu'ils sont jugés dangereux pour les autres ou pour eux-mêmes.

Maux nécessaires ?

« Une majorité de praticiens hospitaliers témoignent de la nécessité à la fois clinique et sécuritaire d'adopter de telles mesures », note Natalie Giloux, psychiatre au centre hospitalier Le Vinatier à Bron, près de Lyon. L'isolement n'est pas forcément considéré comme un soin en soi, mais davantage comme un moyen d'instaurer une relation thérapeutique entre patient et soignant. En cela, il est conçu comme une sorte de mal nécessaire. Néanmois, il suscite des débats. Dans certains cas, comme l'admet le docteur Carol Jonas, psychiatre au CHU de Tours, il peut aboutir à l'effet inverse de l'objectif recherché en entretenant, voire en accentuant, l'agitation et le stress du malade psychique.

Que dire alors du caractère asilaire de certaines chambres d'isolement et, plus généralement, de l'état de décrépitude d'un grand nombre d'établissements psychiatriques ? En février 2005, le ministre de la Santé d'alors, Philippe Douste-Blazy, s'en inquiétait. « Il existe dans notre pays des cellules d'isolement indignes, nous ne pouvons le tolérer », disait-il, en référence à des espaces vétustes, sales, rebaptisés « mitard » dans le milieu et où le patient en est réduit à une forme d'animalité. Sans nier la nécessité de ces dispositifs dans des cas exceptionnels, Claude Finkelstein souhaite « que l'on s'en serve le moins possible ».

Patients « bouclés »

Or, loin d'être en voie d'abandon, « l'usage des chambres d'isolement en psychiatrie est de plus en plus banalisé, sans nécessité médicale obligée », constate un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) sur « la prise en charge des patients susceptibles d'être dangereux », publié en 2006. Infirmier en hôpital psychiatrique, Philippe Clément (1) estime que la mise en chambre d'isolement répond davantage à des préoccupations sécuritaires qu'à une logique de soin.

Sans même parler des chambres d'isolement, « les unités d'hospitalisation sont le plus souvent fermées », note le rapport de l'IGA. Dans certains établissements, dénonce Philippe Clément, il suffit qu'une personne soit hospitalisée sans son consentement pour qu'elle soit « bouclée » dans sa chambre, en violation de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux. Laquelle n'autorise les mesures privatives de liberté que si elles sont « nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement » (article L. 3211-3 du Code de la santé publique).

La violence et l'angoisse générées par une hospitalisation est d'autant plus intense lorsque celle-ci est décidée contre la volonté de la personne, même si l'internement est reconnu comme médicalement bénéfique au patient. Les deux modes d'hospitalisation psychiatrique sans consentement, l'hospitalisation sur demande d'un tiers (HDT) et l'hospitalisation d'office (HO), représentent 13 % à 14 % du nombre total d'hospitalisations psychiatriques dans le secteur public [lire l'encadré p. 7].

Consentement « équivoque »

Si plus de 80 % des malades s'adressent librement à l'hôpital (officiellement, du moins), Philippe Clément souligne le caractère « équivoque » de la notion de consentement en psychiatrie. Certains patients ne sont pas en état de se prononcer. Christine, âgée d'une cinquantaine d'années, a vu deux de ses fils, schizophrènes, être hospitalisés. Elle se souvient que l'aîné était totalement passif lors de sa première admission en psychiatrie, motivée par l'expression insistante d'idées suicidaires. Dans d'autres cas, le consentement semble plus arraché que recueilli par l'entourage, familial ou soignant qui, craignant d'essuyer un refus, ne livre pas toute l'information au malade.

Plus insécurisant encore, la législation ne garantit pas qu'un patient admis librement à l'hôpital ne soit pas contraint, ensuite, d'y rester contre sa volonté. Dans son livre Bienvenue à l'hôpital psychiatrique !, Philippe Clément cite le cas d'une jeune fille qui, arrivée volontairement dans un service, prend peur en entendant les hurlements d'un patient en isolement, demande à rentrer chez elle, mais se voit contrainte de rester hospitalisée après avoir été vue par le psychiatre, qui prononce une HDT. Pour Claude Finkelstein, c'est une « dérive inadmissible ». Philippe Clément évoque même des cas de « pré-HDT », où, en prenant quelques libertés avec la loi, on hospitalise sans son consentement une personne sur la foi, dans un premier temps, d'un seul certificat médical quand la procédure en exige deux.

Cette privation de liberté, pas toujours rigoureusement encadrée par la loi, non seulement pose un problème de droit mais, plus grave, peut s'avérer néfaste pour les soins. « Essayer de soigner quelqu'un sans son consentement, c'est une gageure que nous ne parvenons presque jamais à concrétiser », constate le Dr Jonas. Parmi les hospitalisations sous contrainte, les HDT (87 % du total) ont connu une très forte croissance depuis la mise en oeuvre de la loi de 1990 : + 103 % entre 1992 et 2001. L'augmentation est encore plus spectaculaire en ce qui concerne les HDT prononcées en urgence (+ 448 % en dix ans). Le recours massif aux HDT s'explique notamment par le manque de prévention. Claude Finkelstein y voit aussi une « solution de facilité ». On ne prend pas le temps de persuader la personne, « de s'adresser à la partie saine du malade », regrette-t-elle. Pour Philippe Clément, cette augmentation tient aussi au fait qu'« on repousse au maximum l'hospitalisation, qui n'a lieu qu'au moment où la personne est très mal. Si l'hospitalisation intervenait avant, on éviterait beaucoup la contrainte », estime l'infirmier.

Les professionnels de la psychiatrie constatent par ailleurs une subordination accrue du soin à des logiques sécuritaires. La baisse du nombre de soignants, la féminisation des équipes qui vivent au contact quotidien des malades et la suppression, en 1992, de la spécialisation psychiatrique du diplôme d'État infirmier sont les principaux facteurs explicatifs de ce phénomène. « Les mesures de sécurité excessives auxquelles on assiste peuvent dégrader la qualité des soins, mais aussi accroître les risques d'atteinte aux libertés et, paradoxalement, les risques de dangerosité », note le rapport de l'IGA.

L'enfer de la maladie

La première des violences réside cependant dans la maladie psychique elle-même et ses effets sur la personne atteinte. Cette violence de la pathologie, Jean Canneva, président de l'Union des amis et familles de malades psychiques (Unafam), la qualifie de « séisme ». Son intensité est si forte « que la seule réaction humaine, c'est de nier » l'existence de la maladie. Convaincu qu'il n'est pas malade, le psychotique en proie à l'altération de sa perception vit un enfer. Tout est violence. Les sons, les lumières sont une agression permanente pour le patient, incapable de hiérarchiser la masse d'informations que son cerveau reçoit à chaque instant.

« Mathieu ne supporte pas le bruit de la télé », raconte Christine à propos de son fils de 31 ans, schizophrène depuis neuf ans. « La télé lui parle, les journaux lui parlent », explique-t-elle pour décrire le harcèlement dont le jeune homme se sent victime. La paranoïa, la sensation d'être poursuivi ou « le vol de pensées », l'impression que les gens s'immiscent dans votre esprit, sont autant de manifestations de la maladie, sources de souffrances qui rendent la vie insupportable, et peuvent provoquer des manifestations de violence contre des objets, contre soi-même - tendances suicidaires, automutilations - ou contre autrui.

L'hôpital psychiatrique public apparaît à bien des égards mal armé pour soulager cette souffrance. À commencer par ses locaux, « en partie inadaptés, avec des conséquences négatives sur le comportement des patients », note le rapport de l'IGA. Les grands ensembles perdurent, regrette Claude Finkelstein, plaidant pour leur éclatement en petites unités.

La plupart du temps, le travail des soignants en psychiatrie est salué et reconnu comme extrêmement difficile et usant. C'est davantage vers l'institution psychiatrique elle-même, ses lourdeurs administratives et ses protocoles rigides que se tournent les critiques. La relation humaine, pourtant essentielle au bien-être des malades, y est malheureusement réduite à la portion congrue. Ainsi, le recours systématique et de plus en plus massif aux neuroleptiques et aux sédatifs est très critiqué par les patients comme par leurs familles.

« État végétatif »

En 1999, le fils aîné de Christine a fini par se donner la mort, après trois tentatives. Elle se souvient que pendant son hospitalisation, il lui disait : « Maman, je suis en enfer. » « C'était horrible, indescriptible », se souvient-elle. Assommé de neuroleptiques, il « bavait », subissait « des crispations incontrôlées de son corps » et « il s'en rendait compte ». Christine a très mal vécu cette souffrance. « On ne fait jamais ça à un animal », dit-elle. Elle avoue avoir eu beaucoup de mal à « coopérer avec les médecins » qui expliquaient être à la recherche de la bonne molécule pour soigner le jeune homme. « Les doses administrées sont bien supérieures à ce que j'ai connu il y a dix ans », confirme Philippe Clément. « Elles vont au-delà des doses thérapeutiques. Le but, c'est que le malade se tienne tranquille. Les gens passent leur temps à dormir, ce qui est une autre forme de violence », déplore l'infirmier.

Christine se souvient aussi du désoeuvrement de son fils. Malgré la présence de huit ou dix infirmiers dans le service, « on ne cherchait pas à occuper les patients », déplore-t-elle. À cette époque, épuisée et terrorisée à l'idée de reprendre son fils malade à domicile, la mère ne se sentait « pas capable de signer une décharge ». Elle admet volontiers son impuissance, mais elle peste contre les conditions dans lesquelles le jeune patient a vécu à l'hôpital, contre sa chambre qu'elle qualifie plutôt de « box », contre l'« état végétatif » dans lequel on le mettait. « L'hospitalisation les détruit, les désocialise, résume-t-elle. Ce qui ressort de l'hôpital, c'est l'ennui, le désoeuvrement, l'abandon. »

Du soin à la sanction

L'hôpital psychiatrique induit par ailleurs promiscuité et perte d'intimité, voire de dignité. Les chambres communes, l'inventaire systématique des effets personnels d'un patient à son arrivée, la mise en pyjama obligatoire, pour utiles ou nécessaires que ces mesures puissent être, n'en constituent pas moins des violences faites à l'individu. Claude Finkelstein cite l'exemple d'« un établissement du sud de la France où les patients mis en chambre d'isolement sont systématiquement dénudés ». L'institution justifie cette pratique par la volonté d'empêcher que se reproduise le cas d'un patient qui, « dans le temps », s'était donné la mort par étouffement en avalant ses vêtements.

Toutes ces pratiques, de nature à humilier le patient ou à le stresser, accroissent les risques de mal-être et de comportements de révolte. Christine décrit son fils comme un provocateur, qui violait le règlement de l'hôpital en y faisant entrer, par exemple, du cannabis. Il s'est retrouvé un an enfermé seul dans sa chambre, raconte-t-elle, avec « un seau, des journaux, sa musique ». La limite entre soin et sanction est parfois floue, souligne Philippe Clément. Il n'est pas rare qu'un patient doive « mériter » son autorisation de sortie pour le week-end, ou qu'il faille donner des gages de bonne conduite pour avoir droit à quelques cigarettes. L'infirmier a constaté plus d'une fois cette dérive qui consiste à situer la relation soignant-soigné sur le terrain de l'« enjeu de pouvoir, de domination », au détriment de l'objectif de soin.

Malades dans la cité

Immédiatement, lorsque l'on parle de psychiatrie, l'hôpital spécialisé vient à l'esprit. Mais ce réflexe masque une réalité tout autre, celle de la sectorisation. Dans les années 1970, à l'hôpital psychiatrique, les patients étaient souvent davantage hébergés que soignés, rappelle le Dr Jonas. Il y avait alors moins de maisons de retraite, moins de solutions alternatives. Puis l'idée est née de commencer à soigner les malades en ambulatoire, non plus à l'hôpital, mais à l'extérieur, dans leur environnement habituel. La psychiatrie devait aller vers les patients pour désamorcer la crise avant que celle-ci ne survienne, et ne réserver l'hospitalisation qu'à ceux qui en avaient vraiment besoin, explique le psychiatre. Depuis la mise en place de la sectorisation - formalisée par la loi en 1985 -, la moitié des lits de psychiatrie a été supprimée, estime l'Unafam. Et selon les chiffres de la Drees (2), la durée moyenne de séjour en psychiatrie générale est tombée de 86 jours en 1989 à environ 30 jours en 2003. Les malades mentaux sont donc désormais à 95 % dans la cité, qu'ils soient pris en charge par leur famille ou livrés à eux-mêmes, déplore l'Unafam.

Mais l'idée de la sectorisation n'a malheureusement pas aussi bien fonctionné dans la réalité que sur le papier, laissant démunis bon nombre de malades par définition extrêmement fragiles et vulnérables. Les équipes psychiatriques mobiles censées intervenir auprès des personnes se sont révélées nettement insuffisantes en nombre. Le suivi des malades par les centres médico-psychologiques est entravé par de fortes disparités régionales, caractérisées par endroits par ce que Patrick Coupechoux (journaliste et auteur d'Un Monde de fous, Le Seuil, 2006) qualifie de « déserts provinciaux ». La détection de la souffrance psychique est d'autant plus difficile que les malades n'appellent que rarement à l'aide, explique Jean Canneva. Résultat, « on a noté qu'il fallait souvent dix ans, en moyenne, avant qu'un patient soit correctement pris en charge », note Claude Finkelstein, qui dénonce la « violence » du « non-soin », de « l'abandon ».

Risque de replonger

On retrouve cet abandon au sortir de l'hôpital. Encore trop souvent, une personne est lâchée dans la nature après une hospitalisation plus ou moins longue, sans que l'institution ne s'inquiète de savoir où elle va atterrir, si elle a les moyens de survivre, etc. « S'il n'y a aucun soutien » après l'hospitalisation, « vous avez toutes les chances de replonger », affirme Claude Finkelstein. Associations et professionnels constatent ensemble qu'un effort de coordination reste à faire entre les différents acteurs qui se relaient autour d'une personne malade.

Faute de réussir à établir cette coordination, la prison, la rue ou le métro sont les nouveaux lieux d'« accueil » d'un nombre croissant de grands malades, oubliés ou rejetés du dispositif d'accueil et de soins, indique Philippe Clément. « Avec la sectorisation, la dimension asilaire a disparu, mais aussi la dimension asilante, au sens d'accueil, de logement et de protection », renchérit Xavier Emmanuelli, président du Samu social. Les personnes les plus vulnérables se retrouvent donc à la rue, où l'on compte 30 à 50 % de malades psychiques, estime-t-il. Or, « le milieu de la rue ne s'embarrasse ni de scrupules ni de délicatesses. Les malades mentaux y sont particulièrement en danger, les femmes à plus forte raison », souligne Philippe Clément.

L'obsession de l'autonomie

Toutes catégories sociales confondues, « le fou reste le fou », constate Claude Finkelstein. Les malades psychiques sont stigmatisées par une société qui oscille entre sentiment de culpabilité, impuissance et peur irraisonnée. Sur ce dernier point, il convient de rappeler une vérité que la forte médiatisation de drames tels que celui de Pau (3), tendrait à faire oublier : les malades eux-mêmes sont surexposés aux violences. Une enquête concernant 72 000 patients psychiatriques menée au Danemark entre 1973 et 1993 montre un taux d'homicide multiplié par six par rapport à la population générale, un taux de décès par accident multiplié par quatre et un taux de suicide multiplié par douze. Pour les schizophrènes, le taux de suicide est vingt fois supérieur à celui que l'on connaît dans la population générale, détaille l'Unafam.

Face à une société moderne à la fois violente et exigeante envers chacun de nous, le malade psychique navigue entre disqualification et volonté de normalisation. « On est dans une société où il faut être autonome », constate Jean-Charles Pascal, psychiatre à l'hôpital Erasme d'Antony. Or, regrette-t-il, les équipes de soin ont parfois du mal à limiter leur ambition de réinsertion pour le malade. Un emploi en Esat ne doit par exemple pas être conçu systématiquement comme transitoire. Il vaut mieux, au contraire, stabiliser le malade dans le cadre d'une activité professionnelle en Esat plutôt que vouloir à toute force le confronter au monde du travail ordinaire, quitte à risquer un échec destructeur. La réinsertion des grands psychotiques « n'a pas de sens », observe ainsi Philippe Clément, qui voit une grande violence dans « l'obsession de la resocialisation ».

Déclassement définitif

Paradoxalement, cette volonté de normalisation s'accompagne le plus souvent d'une forme de discrédit de la personne, à qui la société ne reconnaît pas le statut de citoyen à part entière, malgré les consignes légales pourtant claires sur ce point. Ainsi, une existence marquée du sceau de la psychiatrie, si léger et limité dans le temps soit-il, semble-t-elle vouée à subir une forme de disqualification définitive. L'association Advocacy France cite l'exemple d'une jeune femme à qui le juge refuse depuis deux ans l'autorisation de voir seule ses enfants parce qu'elle a été hospitalisée quelques jours en psychiatrie. Ou encore celui d'une étudiante qui, stressée par ses examens, se fait hospitaliser quarante-huit heures, ce qui lui vaudra de ne pas pouvoir entrer dans la police malgré sa brillante réussite au concours.

Droits méconnus

La dépossession du statut de sujet passe également par le manque d'information dont pâtissent les personnes atteintes de troubles psychiques, parfois même sur des éléments qui les concernent directement, à commencer par la maladie dont ils souffrent. Cette posture les laisse souvent dans l'ignorance de leurs droits (4). Médecin, banquier, tuteur, juge, partent trop souvent du principe que les malades « sont trop fragiles, qu'ils sont paranos, qu'ils ne vont pas comprendre, alors on ne leur explique pas, ou on tord l'information », regrette Martine Dutoît, présidente d'Advocacy France.

1- À lire également : l'interview de Philippe Clément dans notre supplément Santé mentale du n° 233, p. 4.

2- Drees : direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de la Santé.

3- En décembre 2004, à l'hôpital psychiatrique de Pau, deux infirmières ont été tuées par un patient atteint de schizophrénie.

4- Lire « Psychiatrie : les droits du malade », dans L'Infirmière magazine paru ce mois-ci (n°239), pp. 20-21.

témoignage

LA CHAMBRE D'ISOLEMENT

« Le type bouclé là-dedans doit avoir autour de la cinquantaine, peut-être un peu moins. Je n'arrive pas à me faire une idée précise car je ne le vois pas très distinctement, à travers le carreau de Plexiglas rayé et sale de l'épaisse porte de bois. Je devine son visage quand il tourne la tête dans notre direction. Un visage blanc comme un linge, aux traits ravagés par l'angoisse et probablement les hallucinations. Le seau hygiénique a été renversé, urine et excréments sont répandus sur le sol. L'homme est nu, accroupi dans un coin de ce qu'il faut bien appeler une chambre, faute de mieux et parce que c'est ainsi qu'elle est "officiellement" considérée. En proie à une sorte de frénésie, il gratte le bas du mur avec ses ongles pour détacher des morceaux de peinture jaunâtre qui s'écaille visiblement avec une grande facilité, puis il les porte à sa bouche et les mastique quelques secondes avant de les avaler. Sans se redresser, "en canard", le patient se déplace d'un mètre environ et répète la même opération. »

Extrait de Bienvenue à l'hôpital psychiatrique !, de Philippe Clément, Les Empêcheurs de penser en rond, 2007.

initiatives

VERS LA JUDICIARISATION ?

De nombreux acteurs de la psychiatrie, patients, soignants, associations de défense des droits de l'homme, sont favorables à la judiciarisation de l'hospitalisation sans consentement dès le début de la procédure, comme c'est le cas dans la grande majorité des pays européens... et non pas seulement a posteriori, sous forme de recours, comme la législation française le prévoit actuellement.

L'association Advocacy France propose ainsi de mettre en place un juge des affaires psychiatriques, qui serait saisi au plus tard dans les soixante-douze heures après le placement en institution sanitaire. Il vérifierait, sur la foi de rapports d'experts, le bien-fondé de la contrainte. Ce « JA psy » serait amené à décider du maintien ou de la suspension de la mesure d'internement chaque semaine au cours du premier mois, puis chaque mois à l'issue du premier mois. Tous les six mois, il procéderait à un examen approfondi de la situation de la personne hospitalisée contre son gré.

L'hospitalisation sous contrainte

> L'hospitalisation sur demande d'un tiers requiert deux certificats médicaux, dont un au moins doit être extérieur à l'établissement d'accueil. Mais la notion de péril imminent permet d'hospitaliser sur la foi d'un seul certificat médical, pouvant émaner de l'établissement d'accueil.

> L'hospitalisation d'office, en cas de menaces contre l'ordre public ou la sûreté des personnes, est prononcée par arrêté du préfet au vu d'un certificat médical extérieur à l'établissement d'accueil.

Les UMD

Villejuif, Montfavel, Sarreguemines, Cadillac et Plouguernével : la France compte cinq unités pour malades difficiles, soit 452 lits au total. Elles sont réservées aux patients dont la dangerosité requiert des protocoles thérapeutiques intensifs et des mesures de sécurité particulières. Les malades (prévenus ou condamnés compris) y sont admis sur hospitalisation d'office. La durée moyenne des séjours est longue : 378 jours par exemple à Cadillac.

prisons

MALADE ET DÉTENU, UNE DOUBLE PEIN

Selon une étude de la Drees, 12 % des personnes emprisonnées sont atteints de troubles névrotiques et anxieux, et 8 % d'une pathologie psychotique. « Plus de 25 % des détenus souffrent de troubles avérés - schizophrénie, paranoïa, psychose, dépression grave », affirme pour sa part Christiane de Beaurepaire, psychiatre à la prison de Fresnes. Pour ce médecin, « il est inhumain d'envoyer des malades mentaux en prison. Comment peut-on imaginer qu'une personne qui souffre de dépersonnalisation survive à la violence pénitentiaire, qui rend encore plus malade si c'est possible ? », s'interroge-t-elle. Malgré d'importants efforts de modernisation et de restructuration, la vétusté du parc pénitentiaire, conjuguée à la surpopulation de certaines maisons d'arrêt, est difficilement conciliable avec les normes d'hygiène les plus élémentaires, note par ailleurs un rapport de l'IGA publié en 2006. Et l'absence de formation met souvent les surveillants des prisons en difficulté pour s'adresser correctement aux détenus présentant des troubles psychiques.

Pour l'association Advocacy France, le besoin de soin doit conditionner le lieu de détention. Elle propose la création d'hôpitaux psychiatriques pénitentiaires où les détenus malades pourraient être incarcérés.

Articles de la même rubrique d'un même numéro