L'architecture au service de l'âge - L'Infirmière Magazine n° 240 du 01/07/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 240 du 01/07/2008

 

le médou

24 heures avec

Aménagement novateur, personnel nombreux et formé... Le Médou, près de Troyes, a été conçu pour accueillir un petit nombre de personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer.

«Aujourd'hui, mesdames, nous allons travailler sur la mode d'antan, celle des années quarante et cinquante, quand vous étiez jeunes filles. » Autour de Christiane, aide-soignante transformée en animatrice, huit pensionnaires écoutent attentivement. C'est le début d'une séance de l'atelier de réminiscence au Médou, structure d'accueil réservée aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés.

Contrairement à la mémoire immédiate, la réminiscence de faits anciens ne pose pas de problème, explique Chrystel Vallois, infirmière référente. Lorsque Christiane annonce aux pensionnaires que l'atelier, programmé sur plusieurs semaines, pourrait déboucher sur une visite au Musée de la bonneterie, célèbre dans la région de Troyes, les visages s'illuminent et des « Oh, oui ! » fusent dans le salon cosy, pourvu d'une cheminée à éthanol et de canapés confortables.

Corsets et jupons

Une pensionnaire se lance : « Moi, je suis née en 1925. Après l'Occupation, c'était tout simple, on n'avait pas le choix. C'était une mode pratique, on n'avait pas les moyens de s'offrir des toilettes », se souvient-elle. Les autres acquiescent. Tout est passé en revue, les patrons pour fabriquer les vêtements, la soie naturelle utilisée en bonneterie, le lin, plus solide et plus cher que le coton... « Les pantalons, on n'en mettait pas », se souvient une dame. Une autre évoque « les jupons et les combinaisons » de sa mère, « en 1900 ». Arrive le moment de s'intéresser aux sous-vêtements. « Le corset, vous l'avez porté, mesdames ? », demande Christiane. « C'était dur ! » grommelle une résidente. « On était contentes, ça nous faisait une taille plus fine », nuance sa voisine.

L'aide-soignante fait circuler des images de femmes corsetées. Et toute l'assistance pouffe quand un ancien policier se joint au groupe et cite « les culottes fendues » qui permettaient aux paysannes d'uriner sans interrompre leur travail aux champs...

L'unité Alzheimer du Médou a ouvert ses portes le 1er mars 2006 à quelques mètres seulement de la maison de retraite La Roseraie à Bréviandes, dans l'Aube. Lové dans un écrin de calme et de verdure, au fond d'une impasse, à l'abri du bruit et des dangers de la circulation, Le Médou dispose en tout de quinze chambres, dont une est réservée à l'hébergement temporaire de malades dont les familles souhaitent prendre quelques jours de repos.

Repères nombreux

Les chambres mesurent 21 mètres carrés et sont identifiables par un papier peint différent assorti aux rideaux et au couvre-lit, pour que les résidents s'en souviennent plus facilement. Les salles de bain sont équipées d'un détecteur de présence et d'un sol antidérapant. Dans chaque chambre, une porte-fenêtre donne accès au jardin où les résidents peuvent entretenir leur potentiel physique sur un modeste parcours de motricité avec rampe centrale, plan incliné et marches. Au Médou, tout a été pensé pour s'adapter à la maladie d'Alzheimer. Après son inauguration, en 2007, l'unité a reçu le prix de la meilleure réalisation architecturale lors du salon Géront-Handicap Expo.

Ayant lui-même une mère atteinte de cette maladie, l'architecte Daniel Régnault a travaillé en étroite collaboration avec les médecins. Mais c'est Marlène Piubello, directrice de La Roseraie, qui est à l'origine du projet. « On est partis d'un échec », explique-t-elle. Car dans cet « Ehpad classique », les patients atteints d'Alzheimer fuguaient régulièrement. « Une fois, on a retrouvé l'un d'eux à sept kilomètres d'ici », se souvient Mme Piubello. La directrice a donc réuni ses troupes. « Il fallait créer un lieu spécifique pour eux, mais on ne voulait surtout pas fermer un étage de La Roseraie et mettre un digicode », se souvient-elle. Le « projet de vie » devait rester au coeur du processus. L'équipe s'oriente alors vers l'idée d'une petite unité aux horaires plus souples pour ne pas brusquer les malades, « mais ça restait un établissement ouvert et le problème des fugues restait entier ». Puis l'équipe s'est demandée : « Qu'est-ce qu'on voudrait pour nous ou nos parents ? » La réponse finit par éclore : un espace fermé, mais conçu de telle manière que les résidents puissent aller et venir et se sentir en liberté.

Domotique

Mis à part les chambres individuelles, la plupart des espaces communs ne sont pas séparés par des portes, mais ouverts les uns sur les autres. De grandes baies laissent le regard vagabonder loin. Un système de domotique permet aux soignants d'être alertés dès qu'une porte vitrée s'ouvre sur l'extérieur : dans ce cas, un aide-soignant rejoint le résident fugueur, lui parle et fait quelques pas dans le jardin avec lui avant de le ramener. Ce système est bien moins frustrant pour les malades que s'ils se heurtaient sans arrêt à des portes fermées à clé. Autre avantage, de taille : les soignants ne passent pas leur temps à courir après les personnes âgées et peuvent ainsi se consacrer à toutes sortes d'activités.

Car l'autre spécificité du Médou, c'est son personnel nombreux. Marlène Piubello préfère en effet mettre le paquet sur la prise en charge plutôt que sur les traitements chimiques. « Les médicaments, ça tue les gens », estime la directrice, « ça les fait glisser encore plus vite ». Au contraire, « si la personne se dépense, la nuit elle dort », constate-t-elle, ajoutant qu'« au bout de deux ans », le Médou n'administre « presque plus de psychotropes la nuit ». « On s'occupe d'eux », poursuit Mme Piubello, « on leur fait des massages sensoriels, on a tout fondé sur la communication non verbale, sur les odeurs, le goût, le toucher. Nos émotions ne vieillissent pas, l'essentiel est toujours là », affirme-t-elle.

Vers 9 heures, ce matin-là, une dizaine de pensionnaires sont assis en rond à la table du petit-déjeuner dans la grande salle de séjour. La pièce triangulaire, grande ouverte sur le couloir de l'entrée, est recouverte d'un parquet blond, et décorée de tableaux et d'objets en polystyrène fabriqués par les résidents. La luminosité du lieu provient de l'immense baie vitrée qui occupe tout un mur, mais aussi d'un système de luminothérapie : par temps gris, des panneaux sur le plafond éclairent la pièce d'une lumière identique à celle du soleil. En plus des résidents permanents, cinq à sept personnes viennent en accueil de jour. Lorsqu'ils arrivent, ils déposent leurs effets dans une pièce attenante au bureau d'accueil. « On s'est éloigné du mobilier hospitalier », explique Chrystel, l'infirmière coordonnatrice, en montrant de larges fauteuils jaune vif.

Attentifs à la fatigue

Effectivement, le Médou ressemble plus à un bel intérieur privé qu'à une maison de retraite. Dans les espaces communs, l'architecte s'est efforcé de recréer les lieux publics que les anciens ont connus : des panneaux de rue indiquent l'« allée de la Sagesse », des enseignes en fer forgé signalent « Le Bistrot », « La Brasserie » ou encore le « Jardin d'hiver » et tous ces espaces, qui existent réellement, sont en accès libre.

Si le Médou propose de nombreux ateliers, le personnel demeure attentif à l'état de fatigue des pensionnaires. Il ne s'agit pas de les surmener, mais de les stimuler. La participation aux ateliers se fait donc sur la base du volontariat, mais dans l'ensemble, l'enthousiasme est au rendez-vous. « Il ne faut pas qu'ils s'ennuient, sinon ils dépriment très vite », explique Chrystel. « La tombée de la nuit est un moment difficile, ils sont très angoissés », note la jeune femme de 31 ans.

À 17 heures s'ouvre un atelier cuisine. Quatre résidentes vont préparer une salade de fruits qui servira de dessert pour le dîner. Sous l'oeil attentif de Cédric, aide-soignant, les vieilles dames commencent à éplucher et couper bananes, pommes et poires. Mme Joly prend le journal destiné aux épluchures et commence à le lire, provoquant l'hilarité générale. Dans une autre pièce, un atelier animé par une neuropsychologue propose un travail sur le langage. Dictée, synonymes, proverbes... tout concourt à stimuler la mémoire. Avec leur cahier ouvert devant elles, leur stylo-bille à la main, et leurs yeux tournés vers Fanny, les vieilles dames ont l'air d'être à l'école. « Qui me donne la date d'aujourd'hui ? », demande Fanny. Les résidentes se lancent des regards gênés. « Quelle année ? », insiste la jeune femme. « 2006 ? » tente une résidente. « 28 février 2008 », répond Fanny.

Peu d'actes médicaux

Mme Maigret, 82 ans, se voit proposer une séance individuelle d'hydrothérapie. Allongée dans une baignoire remplie d'eau chaude et bouillonnante, Suzanne, vêtue d'un maillot de bain, les cheveux relevés par un bandeau, affiche un sourire béat et hume l'air parfumé d'huiles de senteur. « On est quand même gâtés, au Médou », lance-t-elle tandis que l'aide-soignante lui applique un masque de beauté à l'argile.

Le Médou n'accueille que des personnes valides, au diagnostic de démence avéré et aux troubles du comportement stabilisés. « Dès qu'une personne devient grabataire, on la transfère vers un Ehpad classique, pour ne pas bloquer nos lits », explique Chrystel. Le Médou fait très peu d'actes médicaux, il est avant tout tourné vers l'animation. Scrabble, chant, taï-chi, puzzles, quilles, projections vidéo, mandalas, il y a le choix !

Un mercredi par mois, une sortie est organisée, en forêt ou à la piscine. Au quotidien, ceux qui le souhaitent sortent se promener deux par deux, accompagnés de soignants. Régulièrement, les résidents se perdent et ne retrouvent pas leur chambre. Il faut parfois répéter quinze fois un numéro de chambre dans une même journée. Le personnel du Médou vient de La Roseraie. Tous sont volontaires et ont une clause de retour dans leur contrat. « Si demain ils craquent, ils savent qu'ils peuvent retourner à la maison de retraite. On évite ainsi la maltraitance », explique Marlène Piubello.