« L'espace doit être évolutif » - L'Infirmière Magazine n° 240 du 01/07/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 240 du 01/07/2008

 

Architecture

Questions à

Gilberto Pellegrino, architecte à Nantes, dessine les contours de ce que pourrait être l'Ehpad idéal : une structure qui s'adapte aux différents âges des résidents, tout en faisant appel à leurs sens... Un projet à concevoir, autant que possible, en lien avec les équipes.

En tant qu'architecte, quel regard portez-vous sur ce qu'on appelle communément les maisons de retraite ?

Telles qu'elles sont conçues aujourd'hui, y aller, c'est mettre un pied dans la fin de vie... C'est en tout cas mon impression. Pourtant, ces établissements accueillent une population évolutive, qui a besoin de repères pour se projeter. C'est d'ailleurs ce que cherchent à faire les résidents quand ils emportent avec eux une photo sous cadre, un objet, un peu de leur histoire. C'est normal, une personne se construit si elle a des repères.

Qui dit population évolutive devrait dire évolutivité de l'espace. L'architecture peut permettre l'évolution du résident dans l'établissement en l'orientant vers des espaces aux fonctions bien identifiées, mais aussi en prenant en compte ce que l'on appelle des espaces de transition. Nous sommes entourés de ce type d'espaces non fonctionnels, par exemple les seuils de portes, qui symbolisent justement le passage entre deux espaces.

En quoi leur prise en compte peut-elle influer sur la vie quotidienne des résidents ?

Ces espaces intermédiaires permettent une appropriation plus ou moins grande de l'architecture par les personnes qui y vivent. Quand on pense à un entre-deux, on va penser lumière, par exemple. La couleur de la lumière a une incidence sur la perception que l'on a d'un espace. Par le type de lumière privilégiée (naturelle ou artificielle), on va favoriser ou non une continuité dans le déplacement...

Mais prévoir des espaces différents, c'est aussi offrir la possibilité aux résidents de se les approprier. Un directeur d'Ehpad m'a raconté qu'il s'était rendu compte qu'un espace était utilisé par les résidents pour qu'ils puissent parler sans être entendus du personnel. L'absence d'espaces intermédiaires a aussi un sens. J'ai vu aux États-Unis un projet d'établissement à grande échelle où régnerait une confusion totale entre chambres et espaces de vie. Ce qui m'a choqué, car cela signifierait pour les résidents d'être toujours sous l'oeil du personnel.

Pour vous, un établissement réussi est un lieu qui se préoccupe des cinq sens...

Oui. Par exemple, la pénétration du soleil est fondamentale dans la notion du temps qui passe. Il faut prévoir des systèmes qui protègent mais qui permettent de continuer à percevoir la réalité. La lumière artificielle est importante également. Malheureusement, elle est souvent pensée non pas en fonction des besoins, mais sur la base de la seule réglementation. Laquelle renvoie à des standards très généraux, qui ne tiennent pas compte des nuances relatives aux différentes classes d'âge. Nous avons aujourd'hui tous les outils pour modeler la luminosité, que cela soit dans le cadre d'un projet de conception ou de rénovation.

Même chose pour l'utilisation des couleurs. Il faut éviter un damier noir au sol, qui va donner une sensation de vide pour des personnes désorientées. L'acoustique, elle aussi, est importante. On connaît la capacité d'absorption des différents matériaux. C'est toujours dans la même logique des usages. Dans un établissement pour personnes malvoyantes, on va se préoccuper de la typologie des bruits par espace. On voit bien le sens que cela va avoir pour elles. Dans un Ehpad, un des repères essentiels sera le bruit de l'extérieur. Je m'interroge sur la perméabilité acoustique de certains bâtiments, qui sont quasi hermétiques au bruit.

Comment fait-on pour parvenir à cet équilibre architectural ?

Il n'existe pas de solution unique. Mais pour respecter la notion de village, souvent mise en avant dans les projets architecturaux, pour maintenir une dimension humaine qui permette aux résidents âgés de garder le contact entre eux, l'idéal est que l'architecte soit impliqué dans le projet d'établissement. L'architecture devient alors un outil de la prise en charge à part entière. Pour faire émerger un projet nouveau, adapté, il est nécessaire d'avoir un temps de culture partagée.

Le besoin de lits ne s'oppose pas à un travail de qualité. Sans compter que cette collaboration en amont permettra d'intégrer très vite les exigences environnementales. Par exemple, depuis décembre 2007, il faut inclure dans tout projet de plus de 1000 m2 une étude pour définir les économies d'énergie possibles. Cela permet de se faire une idée du coût global du bâtiment, et pas seulement du coût de sa construction. Un projet bien pensé va coûter 30 % de moins sur trente ans de fonctionnement !

Gilberto Pellegrino Architecte

Dès ses études, Gilberto Pellegrino a commencé à travailler sur le rapport entre architecture et santé mentale. Pendant deux ans, il a effectué des stages dans des établissements pour être au contact de malades psychotiques et étudier la relation entre espace et comportements. Aujourd'hui, il est enseignant à l'École d'architecture de Nantes et anime des conférences sur l'espace en tant que support d'une pratique de soin. Dernière réalisation : l'Ehpad de La Garnache, en Vendée, une restructuration-extension.