Le soin sans mauvais genre - L'Infirmière Magazine n° 240 du 01/07/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 240 du 01/07/2008

 

new york

Reportage

En plein coeur de Manhattan, Callen-Lorde est un centre de santé conçu pour accueillir gays, lesbiennes, bisexuels et transsexuels. Son expertise est désormais reconnue bien au-delà de cette communauté.

Avant d'arriver à New York, elle était au bord du suicide. Pas facile d'assumer seule un changement de sexe. Pas facile de soutenir le regard des collègues, des amis, de la famille. Pas facile de devoir tricher pour obtenir les hormones féminines qu'on vous refuse à cause de votre état civil. Pas facile de se sentir constamment incomprise.

« Une vraie famille »

« Dans le New Jersey, les médecins n'avaient aucune idée de ce qui m'arrivait. L'hôpital m'a même envoyée dans une organisation catholique pour un soutien psychologique... Je n'ai pas pu parler de mes vrais problèmes à un prêtre ! », se révolte Rachel. Jusqu'à ce que la sculpturale transsexuelle change de ville et découvre Callen-Lorde, le premier centre de santé communautaire à destination (non exclusive) d'un public gay, lesbien, bisexuel et transsexuel (LGBT) aux États-Unis, né en 1998 en plein coeur de Manhattan. « Ça a été un tel soulagement de ne pas avoir à revenir, détail après détail, sur ce que c'est que d'être trans !, assure Rachel. Callen-Lorde est devenu une vraie famille. »

Ici, en consultation généraliste, dentaire, de gynécologie ou de psychologie, on peut révéler des préférences sexuelles « différentes » sans crainte. La confiance est indispensable car beaucoup de patients ont connu des relations difficiles avec le corps médical. Certains ont été victimes d'insultes ou de mauvais traitements. Mais, en général, la discrimination est plutôt diffuse : c'est un malaise qui s'installe lorsque la personne dévoile son orientation sexuelle. Échaudés, beaucoup d'homosexuels ont renoncé à l'idée de se confier à leur médecin. Jim, un musicien de 48 ans, a longtemps fui le corps médical. Il soupire : « Les hétéros ne comprennent pas à quel point c'est difficile d'être ouvert et de tout dire. »

Marginalisés

Jason Dolby, directeur adjoint des services infirmiers de Callen-Lorde, approuve : « Ici, les patients s'identifient davantage à nous. Et ils nous font confiance. » Jason vivait à Pittsburg, en Pennsylvanie, avant de suivre son conjoint à New York. Là-bas, « je n'avais jamais dit à un médecin que j'étais gay, témoigne-t-il. Et je n'avais jamais été dépisté pour les maladies sexuellement transmissibles alors que je faisais partie d'une population à risque. Je craignais qu'en diagnostiquant une gonorrhée par exemple, on me dise que c'était parce que j'étais gay. » Le jeune trentenaire a découvert des détresses qu'il ne soupçonnait pas. « J'ai été surpris par la prévalence des MST dans la communauté, par les besoins en soins de base et par le succès de cette clinique ! »

Public grandissant

Comme Jason, la majorité des employés de Callen-Lorde font bien partie de la communauté LGBT, mais ce n'est pas le cas de tous. Anthony Varvasis, le directeur médical du programme destiné aux adolescents, n'est ni gay, ni bi, ni trans. Après l'école de médecine, il a fait son internat dans la clinique communautaire traitant du VIH qui a précédé Callen- Lorde. Son but était d'aider les personnes défavorisées, sans vraiment connaître la communauté LGBT. Il y est resté. En 1998, après un appel d'offre de financement de la mairie de New York, la petite clinique s'est implantée sur six étages, est passée de quelques centaines de patients à 9 000 (aujourd'hui 47 000) et a pu proposer une véritable offre de soin à la communauté LGBT. Le programme pour adolescents qu'Anthony a monté dans sa troisième année d'internat, a grimpé, lui, de 300 à plus de 1 000 patients.

Spécificités médicales

« Dans la société actuelle, les adolescents sont largement incompris et marginalisés, observe-t-il. Et pour la communauté LGBT, c'est encore pire. Ces jeunes souffrent d'un manque de confiance en eux, de mauvaises habitudes alimentaires, de dépression. Lorsqu'ils se rendent chez un médecin, on présume qu'ils sont hétéros. Tout peut être répété aux parents, et ils sont infantilisés. »

Callen-Lorde assume ce rôle de lieu de confiance pour une communauté confrontée au rejet social. Mais le centre revendique aussi des spécificités médicales. Outre les pathologies liées à des pratiques sexuelles présentant plus de risques que celles de la population générale, statistiquement, les membres de la communauté sont davantage victimes de dépression, plus enclins à la dépendance à la nicotine et à de mauvais comportements alimentaires. Les soignants doivent également connaître les conséquences des nouvelles drogues apparues d'abord dans la communauté, comme la crystal méthamphétamine qui, en plus des troubles du comportement ou de la perte de poids, détruit les dents.

Former les soignants

Le docteur Anita Radix, directrice médicale adjointe, est catégorique : « La médecine lesbienne est une véritable spécialité. Les études montrent par exemple que le cancer du sein a davantage d'incidence chez les lesbiennes. Ou prenez la violence domestique. Elle existe dans les foyers de deux femmes, pourtant les médecins ne le savent pas. » Idem pour la médecine chez les transsexuels. « Les transsexuels hommes (passés du genre féminin au genre masculin) peuvent encore contracter un cancer du sein, malgré l'ablation. »

Pour que Callen-Lorde ne soit pas une institution ghetto, le centre organise des séminaires pour les écoles d'infirmières, de médecine ou encore les centres de santé. « Les cursus ne comprennent que peu d'éléments sur la communauté LBGT, explique Nathan Levitt, le coordinateur du programme de formation. En général, quand je rencontre des soignants, ils ne savent pas comment se montrer plus ouverts ou sensibles. »

Langage réfléchi

En plus d'études médicales sur la communauté, le jeune homme leur présente des idées pour créer un « espace sûr » avec leurs patients. « On peut mettre des affiches montrant des personnes homosexuelles ou transsexuelles sur les murs de la salle d'attente, changer sa manière d'aborder le patient en parlant par exemple de "partenaire" et non de femme, de mari ou de petit copain... », répète-t-il devant étudiants, professeurs et praticiens. Un travail de longue haleine pour que Callen-Lorde ne soit pas considéré comme la solution au problème, mais juste une réponse temporaire.