Les dilemmes de la réanimation - L'Infirmière Magazine n° 240 du 01/07/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 240 du 01/07/2008

 

Pédiatrie

Éthique

La décision médicale d'arrêter ou de poursuivre les soins chez un enfant est un choix de tragédie. Dans un ouvrage concis, accessible et poignant, Denis Devictor résume les enjeux liés à cette situation.

« Le médecin, comme le philosophe, se trouve à la conjonction du savoir, de l'éthique et de la foi. » C'est à ce point de rencontre que Denis Devictor, pédiatre, livre un éclairage des décisions prises en réanimation pédiatrique.

histoires vécues

On pourra peut-être lui reprocher d'investir le praticien - et donc lui-même - d'une sacralité intemporelle : « Le médecin est bien plus qu'un technicien de la santé, c'est un médiateur, un médium, un intermédiaire entre les dieux et l'homme », écrit-il. Mais les points d'analyse proposés par l'auteur (chef de service en réanimation néonatale et pédiatrique à l'hôpital de Bicêtre) intéresseront tous les soignants, quel que soit leur degré d'intégration au processus de décision qui mène à l'arrêt des thérapeutiques actives.

L'ouvrage s'ouvre par un retour sur l'histoire de la réanimation pédiatrique. Dès 1968, avant même le développement de la néonatologie, pour des enfants de tous âges, la question éthique s'est trouvée posée. Faut-il réanimer à tout prix ? La réflexion de Denis Devictor s'appuie sur des cas cliniques, des histoires vécues au long de sa carrière. Ces enfants, sauvés par les techniques mais dont l'avenir échappe au médecin, garderont parfois des séquelles. Certains mourront à moyen terme, d'autres vivront et s'épanouiront malgré tout.

destins incertains

Rien ne permet de préjuger de leur qualité de vie future. Cette incertitude rythme l'ouvrage : « Nous avons pu maintenir en vie des enfants dont la vie aura été un drame. L'inverse est sans doute aussi vrai », estime l'auteur. L'analyse des recommandations des sociétés savantes souligne les dissonances internationales quant à l'implication des parents dans la décision, au recueil du consentement du jeune patient ou à l'euthanasie active. La législation, quant à elle, traite peu de la réanimation pédiatrique, laissant toujours place à la délibération. Comme le souligne le médecin : « L'éthique trouve sa force dans le "dys-sensus", la diversité et la contradiction plutôt que dans le "con-sensus". »

singularité

Le processus de décision semble désormais clairement établi : recueil de l'avis des parents puis de celui d'un médecin extérieur, réunion de service. Pourtant, la singularité des situations doit subsister, et Denis Devictor souligne la nécessité de préserver une réflexion, toujours « au cas par cas ». « Il ne s'agit pas d'une décision médicale mais de la décision médicale la plus appropriée. »

intuition

Il en ressort que les décisions en réanimation pédiatrique ne peuvent se réclamer, selon l'auteur, « d'aucune loi ou protocole qui pourraient neutraliser le caractère unique de chaque dilemme éthique ».

Denis Devictor confirme ainsi que la décision est toujours prise dans le doute, grâce au savoir scientifique, mais surtout avec l'intuition de prendre la bonne décision. Même si persiste le scandale absurde que représente la mort d'un enfant.

1- Le Tragique de la décision médicale : la mort d'un enfant ou la naissance de l'absurde, éditions Vuibert, collection « Espace éthique », 2008, 114 pages.

TÉMOIN

Sylviane Fiore : « Nous ne laissons jamais l'enfant partir seul »

« Chaque situation est unique. Tout dépend de ce que veulent les parents, de leur histoire, de leur culture, de leur acceptation, de la pathologie du bébé et du stade auquel elle a été dépistée. En tant que soignants, nous ne sommes jamais formés à 100 % pour gérer les arrêts de soins, résume Sylviane Fiore, infirmière en néonatologie à l'hôpital Nord de Marseille. Il nous faut vivre le moment précis dans le respect et l'accompagnement de la famille. Les parents sont au centre de tout cela. S'ils ne sont pas présents, nous ne laissons jamais l'enfant partir seul. C'est alors à nous de le prendre dans nos bras. Depuis vingt-cinq ans que j'exerce en néonatologie, j'ai vu la prise en charge évoluer. Auparavant, les bébés décédaient dans le service de réanimation, alors qu'aujourd'hui on s'efforce de les maintenir en néonatologie. Ils ont été suivis ici, mieux vaut ne pas les changer d'environnement. C'est aussi préférable pour la famille. Surtout, nous discutons de plus en plus en équipe autour de chaque situation. Même si les décisions et la réflexion éthique restent du domaine des médecins. »