En place dans les classes ! - L'Infirmière Magazine n° 241 du 01/09/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 241 du 01/09/2008

 

éducation nationale

Enquête

Au sein des établissements scolaires, les infirmières peuvent jouer un rôle de choix... à condition de parvenir à nouer des liens dans la communauté éducative. Ce qui demande souvent une bonne dose d'énergie.

Il a 19 ans et étudie les arts plastiques. L'infirmière de la fac ? Il ne la voit jamais : « Plus besoin, je contrôle », dit-il. Il vaut mieux... seules 307 infirmières de l'Éducation nationale sont en poste dans les universités ! Mais plus jeune, Romain, qui souffre d'asthme, a écumé les infirmeries scolaires. Cinq au total, au gré des affectations d'un père militaire. Ses souvenirs ? Ils sont nuancés.

« Au primaire, c'était la dame qui venait avec le médecin voir si on n'avait pas de caries et si on avait besoin de lunettes. Au collège, il y avait celle qui restait dans son local au fond du bahut... et celles qui venaient en cours de biologie nous parler sexualité, l'une presque rougissante, l'autre super, qui parvenait même à dissiper notre gêne en parlant avec nos mots. Au lycée, Mme X était là à temps plein : plus pratique, elle nous connaissait ! Je l'ai peu vue, mais je me souviens d'une bonne copine, qui se la jouait rebelle mais n'allait pas si bien que ça... Elle s'est "lâchée" un jour avec l'infirmière : elle qui ne voulait plus voir son médecin de famille, a trouvé quelqu'un à qui parler de son corps en vrac, et qui a su l'orienter vers le planning. Chouette. » Les souvenirs sont singuliers, mais reflètent une réalité toujours actuelle. Infirmière scolaire ? « Un métier dont on fait en pratique ce que l'on veut, ce que l'on peut... avec les moyens que l'on nous donne ! » souligne Brigitte Accart, secrétaire général du Snies-Unsa, l'un des syndicats de la profession.

« Éduquer, soigner... »

Dans les textes, le souci du « prendre soin » est là. « L'école a la responsabilité particulière, en liaison étroite avec la famille, de veiller à la santé des jeunes qui lui sont confiés et de favoriser le développement harmonieux de leur personnalité. Elle participe également à la prévention et à la promotion de la santé en assurant aux élèves, tout au long de leur scolarité, une éducation à la santé... » Ces mots du programme quinquennal de prévention et d'éducation relatif à la santé des élèves, paru en décembre 2003, le disent : la santé des jeunes s'affiche aujourd'hui comme une des priorités de l'école.

Dans ce cadre, les infirmières de l'Éducation nationale sont au premier plan. Leur rôle : « Concourir à la réussite des élèves et des étudiants par la promotion de la santé des jeunes et participer plus largement à la politique du pays en matière de prévention et d'éducation à la santé », détaille leur circulaire de mission (janvier 2001). Brigitte Lechevert, ancienne secrétaire général du Snics-FSU, l'affirme : « Notre rôle est désormais clair. Il s'agit d'accueillir et écouter, conseiller, soigner (suivi de santé, gestion des urgences, accompagnement des enfants handicapés ou atteints de maladies graves), éduquer, relayer... tels en sont les axes majeurs. »

Création de postes

Mais quid des moyens nécessaires pour accomplir cette mission ? Fait rare en ces temps de restriction des effectifs de l'Éducation nationale, le rapport annexé à la loi Fillon a prévu en 2003 la création de 1 500 postes infirmiers sur cinq ans... créations effectivement en cours. « Un signal positif oui, souligne Brigitte Lechevert... mais qui ne suffit pas à couvrir les besoins réels. » Alors sur le terrain, les réalités sont pour le moins diverses !

Quel suivi ?

Recrutées sur concours, les quelque 6 800 infirmières de l'Éducation nationale (plus quelques vacataires et d'autres recrutées par les mairies comme c'est le cas à Paris pour le primaire) travaillent auprès des élèves de 8 300 collèges et lycées, de 55 000 écoles - maternelles et primaires - et de 2 millions d'étudiants. Une tâche titanesque donc... Si elles sont parfois nommées sur des postes fixes - en lycée, lycée professionnel, internat, et dans quelques établissements de ZEP - nombre d'infirmières travaillent sur des postes mixtes : à mi-temps sur un collège et sur les écoles du secteur. Résultat : si les textes mettent en avant la possibilité de suivi des élèves au fil de leur cursus, les professionnelles de santé soulignent pour leur part la difficulté à connaître les jeunes... impératif pourtant préalable à un travail cohérent.

Plus encore, la pénurie de personnel médical place souvent les infirmières comme uniques référents de santé dans les établissements. En 3 ans, 46 % des crédits de vacation des médecins ont été supprimés ! Des restrictions qui alourdissent un manque cruel de personnel : en France, chaque médecin suit en moyenne 7 800 enfants. Difficile de faire face, dans ces conditions. Interrogés en 2006 par l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned), les médecins indiquaient ainsi ne pouvoir réaliser que 85 % des bilans de santé obligatoires pour les élèves de 6 ans...

Appui aux médecins

Résultat, s'insurge Brigitte Lechevert, certaines académies demandent désormais aux enseignants de maternelle de procéder à un repérage des besoins en matière de santé, ou aux infirmières de venir en appui aux médecins sur ces bilans... « Un euphémisme signifiant qu'on devrait pallier le manque de personnel médical, au détriment de nos missions infirmières ! » Autre conséquence, pointée par Dominique Poret, médecin scolaire depuis vingt ans à Avranches (Manche), dans une académie qui a choisi de positionner les médecins sur le premier degré et les infirmières sur le second degré : « Du fait du manque de moyens, le travail de collaboration médecin-infirmière est de plus en plus réduit ».

Parfois « démunies »

« Si le travail infirmier recouvre des réalités multiples, c'est donc aussi qu'au delà des objectifs nationaux affichés, les orientations impulsées par les académies, et la place accordée à la santé dans les établissements, sont tout autres », analyse Brigitte Lechevert. Si la politique de santé en milieu scolaire est en effet arrêtée par le ministère, à charge dans les faits aux rectorats de définir les orientations de mise en oeuvre... et en la matière « les inégalités sont la règle ! », note la syndicaliste. Visibles en termes de travail conduit avec les médecins. Mais aussi en matière de formation.

Son concours réussi, toute infirmière scolaire, chapeautée par un tuteur, bénéficie en théorie d'un temps de « formation d'adaptation professionnelle à l'emploi » mais, suivant l'académie, sa durée varie de deux à vingt-et-un jours ! Les manques sont d'autant plus cruels qu'il n'est pas évident de travailler avec un public adolescent. Éduquer à la nutrition, faire percevoir les risques de l'alcool du samedi soir, répondre à une demande d'IVG ou au mal-être d'un jeune assommé par le cannabis ne s'improvise pas ! « Quand on sort de dix ans en gériatrie ou en chirurgie... c'est dur ! On peut se sentir perdue, démunie », confie Isabelle, infirmière en lycée professionnel en ZEP près de Bordeaux. Elle garde en tête la panique d'une collègue, confrontée à un suicide dans un lycée huppé de la capitale girondine.

Diversité académique, diversité des réalités vécues dans les établissements aussi : placées sous l'autorité des chefs d'établissements, les infirmières ont la marge de manoeuvre que leur supérieur - et la communauté éducative sur place - leur accordent. Quel rapport alors entre le quotidien d'Isabelle, oeuvrant de concert avec l'assistante sociale, la CPE (conseillère principale d'éducation) et nombre de professeurs, soutenue par son proviseur dans la mise en place de projets au long cours... et celui de collègues « qui ont mis six mois pour obtenir ne serait-ce qu'un bureau et un téléphone car leurs principaux ne voyaient pas l'intérêt de leur travail » ? Comment asseoir sa position auprès des professeurs, « les convaincre que l'on n'est pas le pompier de service mais bien des actrices de la communauté éducative ? », s'interroge Alice, infirmière en collège à Paris. Pas évident ! Comme le résume Isabelle : « L'Éducation nationale est un monde complexe ! difficile à décoder, à apprivoiser. » « S'y positionner demande une énergie considérable... un art de la communication auquel on est peu préparé, surtout au sortir du monde hospitalier où le travail d'équipe, entre soignants, est naturel », ajoute Laurent, infirmier en internat dans un lycée professionnel.

Pas le même métier ?

Alors oui... souligne Alice, « les conditions de travail varient tellement d'un poste à l'autre, que j'ai parfois l'impression qu'on ne fait pas tous le même métier ! » Relevé par le « Rapport sur l'évaluation du dispositif d'éducation à la santé à l'école et au collège » paru en 2004, « le hiatus » entre enjeu national et réalités de terrain est flagrant... même si les motivations individuelles demeurent un élément déterminant pour mener ou non les actions.

Secret professionnel

Quoi d'étonnant donc à ce que, sur les 202 infirmières interrogées en vue du Forum adolescences organisé par la Fondation Wyeth en mai dernier, 17 % d'entre elles estiment jouer « vraiment » leur rôle souhaité et 67 % pensent pouvoir simplement « plutôt » le jouer. Pour autant... ce rôle n'en est pas moins crucial. Accueillir et écouter un jeune « mal dans sa tête », et donc souvent dans son corps (comme 19 % des adolescents interrogés), éduquer... rappeler que la trithérapie ne guérit pas du sida, qu'une glace à la fraise n'est pas l'un des cinq fruits et légumes à consommer par jour ; orienter une adolescente enceinte, ou parler sexualité lors de la délivrance d'une pilule du lendemain... tant sur le plan individuel que collectif, les missions sont complexes. Et les ados sont bouillonnants... de certitudes parfois, de questions surtout.

Chaque année, près de 15 millions d'élèves et étudiants passent d'eux-mêmes à l'infirmerie. Demande d'écoute, de soins, de conseils... décrypter leurs angoisses requiert du doigté. « D'autant que la bobologie, la plainte somatique, est souvent pour eux une manière de nous tester... une accroche pour voir s'ils peuvent nous faire confiance, et si on saura détecter ce qui se cache derrière un mal de tête. Cela peut aller de la simple envie d'être rassuré au mal-être plus profond », estime Isabelle. Pour ce faire, il faut créer un climat de confiance en rappelant au jeune qu'une infirmière est tenue au secret professionnel - sauf en cas d'enfance en danger... et « savoir dire non à un proviseur désireux de forcer la porte de l'intime de l'élève » est impératif, souligne Alice. Autre nécessité : s'entourer de professionnels relais hors de l'établissement. « Une collaboration qui se développe, note Aude de Calan, infirmière responsable de l'espace Santé-Jeunes à Nanterre, mais pas encore assez - ne serait-ce que par manque de temps - et qui reste très dépendante des bonnes volontés individuelles. »

Dans la durée

Le constat est valable au sein même des établissements. Si le travail avec l'assistante sociale et la CPE se fait souvent naturellement, convaincre les professeurs de s'investir demande une sacrée dose d'énergie, même si le dialogue progresse, note-t-on de part et d'autre. « Les impliquer, les persuader de nous laisser intervenir en classe, est essentiel si l'on veut mener de réelles actions d'éducation à la santé », insiste Alice. Autre impératif, trop souvent mis de côté, selon Laurence, en poste en banlieue parisienne : « Miser sur les projets dans la durée, et non sur les actions ponctuelles, trop "poudre aux yeux". Et ce en sachant à qui on s'adresse - jeune de 12 ou 17 ans, fille ou garçon, breton ou tout juste débarqué de Turquie, élève de ZEP ou en collège BCBG, matheux ou futur mécano, il faut partir de leur besoins ! Sinon, comment auront-ils envie de nous entendre ? » Cette « accro à l'écoute et à la prévention », comme elle se définit elle-même, conclut : « Il faut être modeste : l'école ne peut pas tout, l'infirmière scolaire non plus. Mais il faut aussi, tout en pestant contre le manque de moyens, être énergique : savoir écouter, impliquer, aller vers... »

initiative

LE THÉÂTRE, ESPACE DE PAROLE

Comment ça va ? Tel est le nom de la pièce de théâtre, créée par la compagnie Entrée de jeu, qui a servi de relais à un projet mené par Gilberte Gainche, infirmière scolaire, au lycée Gustave-Monod d'Enghien-les-Bains (Val-d'Oise). Pour cela, elle a pu compter sur le soutien du Crips (centre régional d'information et de prévention du sida). « Comment ça va ? », car cette question est souvent posée aux adolescents... mais qu'il leur est parfois difficile d'y répondre.

Gilberte Gainche a intitulé son projet « Bien-être et mal-être de l'adolescent », « afin de ne pas présenter les choses en noir, de ne pas stigmatiser », souligne la soignante. Originalité du projet : il s'adresse à tous, élèves bien sûr, mais aussi parents, et professeurs. Pour les quinze classes de seconde, un travail s'est mis en place depuis deux ans à partir de la pièce de théâtre : interaction sur scène, suivie de séances de discussion de deux heures par classe, garçons et filles séparés (« Car ils n'ont pas les mêmes recettes ! », explique l'infirmière), puis de deux heures en classe entière.

Pour répondre aux interrogations des adultes, des membres du Crips, un psychiatre pour adolescents de l'hôpital d'Eaubonne, une association de lutte contre les conduites addictives se sont mobilisés. Durant deux heures, parents puis enseignants ont pu interroger ces spécialistes sur l'adolescence, exprimer leur éventuel désarroi, demander des conseils... De quoi « apprendre à écouter l'autre, à repérer ce qu'il vit, à savoir mieux se positionner », comme l'ont dit nombre d'élèves et adultes. Le projet continue donc cette année !