L'appel de l'archipel - L'Infirmière Magazine n° 241 du 01/09/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 241 du 01/09/2008

 

Nicolas Maizy

Vous

Rencontre avec

Nicolas Maizy, 36 ans, est infirmier au dispensaire de Bélep, au nord de la Nouvelle-Calédonie. L'isolement dans lequel il exerce, il l'a choisi. Pour mieux profiter de son autonomie, et vivre au contact des habitants.

Fin d'après-midi pluvieuse à Koumac, une petite ville de brousse nichée sur la côte nord-ouest de la Nouvelle-Calédonie. Casquette visée sur la tête, short treillis et grosses baskets, Nicolas Maizy sillonne les rayons du supermarché Chez Nino, papier et stylo en main, et établit soigneusement une liste de produits de première nécessité et de conserves.

L'homme de 36 ans est, depuis trois ans, infirmier au dispensaire de Bélep, l'archipel situé au nord de la Grande Terre. Il a eu le temps de s'habituer aux aléas de l'isolement : « Il y a normalement deux dessertes aériennes par semaine, mais depuis décembre, 80 % des rotations ont été annulées. Il faut donc faire des réserves et ne rien oublier quand on fait les courses. » Outre l'avion, un bateau fait la navette deux à trois fois par semaine entre Koumac et Waala, l'unique village de Bélep. Les denrées que Nicolas commande seront acheminées le lendemain par mer, en quatre heures de trajet.

Bélep regroupe quelques îlots et deux îles. Une seule est habitée, l'île Art, où est implantée la majorité de la population, soit environ 800 personnes. Ce bout du monde n'a guère bonne réputation sur la Grande Terre, notamment à Nouméa, où certains restent convaincus qu'il n'est peuplé que de « sauvages ». L'extrême insularité est propice aux légendes urbaines, encouragées par des tensions interraciales loin d'être réglées en Nouvelle-Calédonie.

En binôme

Mais c'est précisément ce contexte qui a encouragé Nicolas à tenter l'expérience : « Avant de partir, quand j'ai regardé la carte, je n'ai vu que Tiga (1) et Bélep. J'aime aller dans les endroits isolés où d'autres infirmières ne souhaitent pas aller, en particulier ceux où elles ne veulent pas rester. C'est là où je suis bien, car je m'y sens le plus utile. » Le dispensaire a accueilli 7 600 patients en 2007, avec une moyenne de près de vingt-trois personnes par jour. Renforcée régulièrement par les visites d'une équipe pluridisciplinaire, l'équipe fixe compte un médecin d'origine métropolitaine, le Dr Paturel, et trois femmes de Bélep : Gertrude, secrétaire régisseuse, Isabelle, auxiliaire de santé, qui assure le lien entre les populations et l'équipe soignante, et Virginie, femme de ménage lingère, accoucheuse à l'occasion, qui travaille au dispensaire depuis une trentaine d'années, et qui est, de fait, la mémoire vivante du lieu. Enfin, deux infirmiers, dont Nicolas.

Difficile pour ce dernier d'évoquer son expérience à Bélep sans dire « nous », tant le fonctionnement en binôme semble couler de source depuis deux ans et demi. Chacun des infirmiers travaille une semaine sur deux, week-end compris, d'astreinte de jour comme de nuit. « Nous avons théoriquement des horaires d'ouverture, mais les patients viennent n'importe quand, car ils savent qu'on est là », explique Nicolas, dont la maison est accolée au dispensaire.

« Nous sommes totalement impliqués tous les deux, très différents mais complémentaires, donc jamais en affrontement. En cas de problème, on sait qu'on peut compter sur l'autre et c'est souvent "tout le monde sur le pont" ! », confie Vincent Roy, le deuxième infirmier. Le jeune homme de 27 ans, diplômé de l'Ifsi de Périgueux, est arrivé six mois après Nicolas : « Il m'a très vite intégré au dispensaire et au village », relève-t-il.

Pas de gaspillage

Avant de débarquer en Nouvelle-Calédonie, Nicolas a fait ses armes en Guyane, en tant que responsable du dispensaire de Saül, au coeur de la jungle amazonienne : « Pour atteindre le dispensaire, il fallait marcher entre quinze et vingt jours. Pour aller à Cayenne et acheminer des médicaments, j'affrétais parfois mon propre avion. J'avais trois heures d'électricité par jour dans le meilleur des cas, une bouteille de gaz par an et pas d'eau potable, ni de téléphone satellitaire, détaille l'infirmier. Pour les visites à domicile, j'étais armé en permanence pour me défendre contre les serpents et les jaguars. Et quand on se perd, tirer en l'air est le meilleur moyen de se signaler. »

Si l'extrême isolement apprend à « éviter le gaspillage matériel » et entraîne une plus grande solidarité entre les personnes, Nicolas est rentré en France, au bout de trois ans, épuisé « physiquement et moralement ». Il considère son expérience en Guyane comme une excellente formation et sourit quand on évoque des conditions « difficiles » à Bélep : « On a le téléphone, Internet et de la nourriture dans les magasins ! Même quand les liaisons régulières sont coupées, on peut prendre une barge pour atteindre la Grande Terre... »

Enfin rentré à Waala avec cinq jours de retard - la faute à un énième avion annulé -, Nicolas prend à peine le temps de poser son sac à la maison : chargé d'une caisse de médicaments, il va réapprovisionner la pharmacie du dispensaire puis s'enquiert de l'état des patients auprès de Vincent. Le lendemain, à 7 h 30, une blouse blanche sur son treillis, il retrouve le reste de l'équipe. Des malades attendent, assis à l'ombre du patio. Malgré l'heure matinale, le soleil tape déjà fort et les récentes pluies ont rendu l'atmosphère moite. Peu avant midi, arrive enfin Martin, un patient que Nicolas attendait plus tôt. L'homme s'est blessé au cou et la plaie suturée doit être surveillée de près car le climat tropical favorise les infections rapides.

« Ici, j'ai la responsabilité de tous mes actes : je gère les soins de A à Z sur une même personne, explique l'infirmier, en changeant le pansement de son patient, après un examen minutieux de la blessure qu'il a recousue la semaine précédente. On travaille souvent sans médecin, car quand il récupère ou qu'il est en vacances, il est rarement remplacé. On est en permanence à la marge des compétences de notre métier, même si on est couverts par notre hiérarchie. Si tu ne maîtrises pas tes actes parfaitement, c'est facile de vite craquer. »

Autonomie et responsabilité, alliées à une certaine force de caractère : voilà peut-être ce qui explique le record de longévité en poste de Nicolas - plus de deux ans, ce qui est rare en Nouvelle-Calédonie. Nicolas se sent désormais chez lui sur l'archipel : « J'assiste l'intégralité du cycle de vie. Depuis que je suis ici, nous avons accouché deux femmes qui n'avaient pas eu le temps d'être évacuées. Quand survient un décès, je fais la toilette mortuaire. Dans la culture kanak, la famille est très présente en fin de vie. Je dois effectuer mes actes tout en respectant les croyances et les traditions de chacun. C'était dur au début, mais tous ont vu que je n'étais là que pour leur bien. »

« Notables »

L'intégration du soignant à cette petite communauté a été progressive. La vie tribale kanak est régie par la loi coutumière : « L'équipe du dispensaire marche main dans la main avec les chefs de clan, constate Nicolas. Je m'entends très bien avec eux et je n'hésite pas à recourir à leur médiation quand il y a un souci. » Lors des cérémonies importantes, les infirmiers sont conviés à une place de choix, auprès des chefs : « On nous considère comme des notables, explique Vincent. Il faut avoir un comportement impeccable... ce qui n'est pas le cas de tous nos remplaçants. » Les deux hommes avouent avoir du mal à « laisser leur dispensaire », même pour de courtes vacances.

Quand Nicolas circule dans le village en 4x4, tous l'apostrophent et tendent la main. Arrivé à destination - une case où vit une grand-mère blessée au poignet -, il prend le temps de saluer tous les membres de la famille. Après le soin, il remballe sa trousse et repart sur la piste de terre qui traverse Waala. La journée s'achève. Avant de rentrer, Nicolas jette un coup d'oeil au soleil qui décline sur le lagon, et sourit. Quand on lui demande comment il envisage la suite, il lance, ravi : « Tant que la vie ici me plaît, je reste. Après ? Prenez une mappemonde, cherchez un endroit isolé, vous m'y trouverez sûrement ! »

1- Tiga est une minuscule île située entre Lifou et Maré (voir carte).

moments clés

- 1998 : diplômé d'État à Agen, il commence à travailler en intérim.

- Septembre 2000 : s'installe en Guyane française pour un poste d'infirmier de bloc dans une clinique de Cayenne.

- Décembre 2001 : est nommé responsable du dispensaire de Saül.- Janvier 2004 : revient en France et travaille en intérim.

- Août 2005 : part pour la Nouvelle-Calédonie, pour un poste d'infirmier itinérant de brousse en province Nord.

- Octobre 2005 : prend son poste au dispensaire de Bélep.