La schizophrénie - L'Infirmière Magazine n° 241 du 01/09/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 241 du 01/09/2008

 

psychiatrie

Cours

Apparaissant le plus souvent à l'adolescence ou au début de l'âge adulte, cette psychose peut revêtir des formes cliniques assez variées. Même si la prise en charge médicamenteuse a connu de grands progrès, le traitement requiert l'hospitalisation et un suivi exigeant, notamment pour prévenir les rechutes.

La schizophrénie est un trouble psychotique chronique dont la description clinique s'est construite et affinée au cours des deux derniers siècles.

À la suite d'Esquirol, plusieurs « aliénistes » comme Morel ou Kraeplin développent le concept de démence précoce qui touche de jeunes gens et qui se différencie des troubles neurologiques et infectieux. En 1911, Bleuler crée le vocable « schizophrénie » dont l'étymologie évoque une pensée divisée conformément à la conception théorique qu'il avance et qui demeure aujourd'hui d'actualité. Dans les années soixante, Henri Ey résume ainsi la description de la schizophrénie : « Un ensemble de troubles où dominent la discordance, l'incohérence verbale, l'ambivalence, l'autisme, les idées délirantes, les hallucinations mal systématisées et de profondes perturbations affectives dans le sens du détachement et de l'étrangeté des sentiments ; troubles qui ont tendance à évoluer vers le déficit et une dissociation de la personnalité. »

ÉPIDÉMIOLOGIE

La schizophrénie est réputée toucher environ 1 % de la population, ce qui exprime une fréquence importante. Elle atteint autant d'hommes que de femmes et se répartit géographiquement et culturellement de façon homogène.

C'est une maladie du sujet jeune. Elle survient classiquement entre 15 et 35 ans, l'adolescence et l'entrée dans l'âge adulte étant des périodes particulièrement à risque. Elle débute avant 23 ans dans 50 % des cas. Il existe cependant des formes de schizophrénie infantile (âge de début inférieur à 12 ans) dont la prévalence est de 1/10 000.

La maladie débute en moyenne trois à cinq ans plus tôt chez les hommes et l'évolution est souvent plus sévère que chez les femmes. Elle débute également un peu plus tôt dans les formes paranoïdes.

MODE D'ENTRÉE

Habituellement, la schizophrénie apparaît au moment de l'adolescence de deux façons possibles, brutalement ou de manière insidieuse.

Formes à début brutal. Il s'agit de la classique bouffée délirante aiguë. Celle-ci n'évolue vers la schizophrénie que dans environ 30 % des cas. Cela signifie qu'une majorité des sujets présentant un épisode délirant aigu ne souffrira pas d'une pathologie chronique.

On dit des bouffées délirantes aiguës qu'elles éclatent « comme un coup de tonnerre dans un ciel serein » pour souligner leur apparition brusque et sans signes avant-coureurs. La symptomatologie associe un état confuso-oniroïde, une agitation ou une stupeur dans une atmosphère d'angoisse majeure et de perplexité. Les éléments délirants sont nombreux, polymorphes et bruyants. Les variations d'humeur sont intenses. Le trouble s'amende rapidement dans le cas où un traitement adapté est mis en route précocement.

Face à cette symptomatologie, les cliniciens ont repéré un certain nombre de facteurs indicateurs d'un risque d'évolution vers une schizophrénie : un début insidieux, une absence d'événements déclenchants, un trouble de la personnalité déjà reconnu, un délire pauvre, une absence de variations de l'humeur, des éléments d'étrangeté et une réponse tardive au traitement.

En dehors de la bouffée délirante aiguë, des épisodes dysthymiques aigus peuvent signer l'entrée dans un processus schizophrénique et notamment les états dépressifs dits atypiques. Ils associent les symptômes dépressifs classiques à une pauvreté affective et des traits de caractère de type schizoïde : attitude de repli, désintérêt pour le monde extérieur, timidité, incapacité à exprimer ses sentiments ou à éprouver du plaisir, contact froid et distant, intérêt réduit pour la sexualité, vie imaginaire intense mais bizarre, avec un intérêt pour les choses abstraites.

Face à un état aigu, c'est un faisceau d'arguments qui laisse craindre une évolution vers la schizophrénie. Il ne donne aucune garantie de certitude et doit être distingué des aménagements classiques de l'adolescence face à la délicate gestion du lien affectif.

Formes à début progressif. Les troubles peuvent s'installer peu à peu, sur des semaines ou des mois, et passer longtemps inaperçus. On peut observer un fléchissement intellectuel, une modification du caractère avec une tendance à l'isolement et une hostilité envers le milieu familial, un renoncement aux loisirs habituels, un intérêt pour l'ésotérisme et l'occultisme, l'apparition de troubles névrotiques atypiques.

PÉRIODE D'ÉTAT

Habituellement, on considère que la durée d'évolution du trouble doit être supérieure à six mois pour porter le diagnostic de schizophrénie. On décrit une triade symptomatique : dissociation, délire paranoïde et repli « autistique ».

Syndrome dissociatif. Sa présence signe le diagnostic. Il s'agit d'un dysfonctionnement brutal ou progressif de la vie psychique qui donne au comportement du sujet une tonalité étrange et discordante (discordance : expression comportementale de la dissociation). La dissociation peut être décrite comme un relâchement des processus associatifs entre idées, comportements et affectivité.

Ce syndrome confère à la pensée, aux émotions, ou au comportement du sujet une dysharmonie, voire une incohérence. Le processus de désorganisation de la personnalité qui en découle est susceptible d'affecter tous les secteurs de la vie psychique.

Sphère intellectuelle

Troubles du cours de la pensée :

- relâchement des associations d'idées (les propos du patient ne sont pas organisés de façon logique et cohérente), le discours est peu compréhensible, sans idée directrice, les propos sont elliptiques, la pensée est dite diffluente.

- les barrages, brève suspension du discours, non motivée, dont le sujet est conscient mais à laquelle il est indifférent. Parfois, le discours ralentit simplement et le volume sonore se réduit progressivement : on parle de fading.

Troubles du contenu de la pensée :

- appauvrissement des idées.

- altération du système logique (propos hermétiques, parfois incompréhensibles), rationalisme morbide, pensée abstraite, floue.

- altération des capacités d'abstraction (interprétation des propos au premier degré).

Troubles du langage :

- maniérisme (vocabulaire précieux, décalé, concret) ;

- invention de mots (néologismes) ;

- usage de mots inappropriés au contexte (paralogisme) ;

- possible atération de la syntaxe.

Lorsque ces troubles sont importants, le langage peut perdre sa valeur de communication. On parle alors de schizophasie. Il peut également exister des phases de mutisme.

Sphère affective :

- ambivalence (coexistence simultanée de sentiments contraires) se traduisant par des attitudes et des propos bizarres ou incongrus (agressivité brutale inexpliquée, affects inappropriés aux circonstances, réactions affectives paradoxales et imprévisibles).

- émoussement affectif.

- perte de l'élan vital : désintérêt, inertie, perte de la motivation (athymhormie).

- parfois négativisme (refus du contact).

Sphère motrice. Le comportement apparaît étrange, bizarre. On observe une réduction d'activité avec une perte d'initiative, de spontanéité (apragmatisme). Le sujet éprouve des difficultés à organiser des tâches complexes.

- maniérisme gestuel (préciosité, attitudes empruntées) ;

- sourires immotivés ;

- négativisme ou comportement d'opposition ;

- décharges motrices imprévisibles ou impulsions paradoxales ;

- stéréotypies motrices ou gestuelles ; on peut également observer des gestes (ou mimiques) parasites ou en écho (mimant l'interlocuteur) ;

- catalepsie (flexibilité cireuse avec maintien des attitudes) ;

- catatonie (rare). Il s'agit d'une réduction globale de l'activité avec mutisme et immobilité, conservation des attitudes imposées (ou au contraire hypertonie) contrastant avec des décharges impulsives verbales ou motrices.

Syndrome délirant paranoïde. Il est fréquent mais pas toujours manifeste. Le sujet peut être réticent à exprimer son délire. Les manifestations délirantes sont classiquement pauvres, polymorphes et mal systématisées, c'est-à-dire sans cohérence interne.

Mécanismes. Les mécanismes hallucinatoires sont souvent au premier plan du tableau clinique :

- hallucinations acoustico-verbales et intrapsychiques ;

- hallucinations olfactives ;

- hallucinations cénesthésiques ;

- les hallucinations visuelles sont plus rares.

Le syndrome d'automatisme mental est particulièrement fréquent. Il s'agit du fonctionnement automatique et dissident de la totalité ou d'une partie de la pensée.

Il associe :

- vol et devinement de la pensée ;

- commentaires de la pensée et des actes ;

- écho de la pensée ;

- pensées ou actes imposés (parfois à l'origine d'actes dangereux).

D'autres mécanismes délirants sont souvent présents : intuition, interprétation, imagination.

Thèmes. Les thèmes délirants sont très polymorphes. On note la fréquence des thèmes persécutifs, mystiques, érotomaniaques, hypochondriaques, mégalomaniaques, d'influence, de référence. Des thèmes de transformation corporelle (dysmorphophobie) (le sujet peut passer beaucoup de temps à se regarder dans le miroir : signe du miroir), des troubles de l'identité du sujet lui-même (recherche d'identité) ou des troubles de l'identité sexuelle (conduisant parfois à des tentatives de mutilation) sont fréquents et fortement évocateurs du diagnostic.

Les thèmes sont vécus dans une angoisse intense, peu accessible à la réassurance, et le sujet a parfois l'impression d'être dévitalisé ou morcelé (angoisse de morcellement).

Organisation du délire. L'absence d'organisation du délire (délire non structuré ou non systématisé) est caractéristique de la schizophrénie. Ce délire flou et incohérent est qualifié de paranoïde par opposition au délire paranoïaque qui, lui, est logique, cohérent et structuré.

Le repli « autistique ». Le terme de schizophrénie implique une rupture dans la vie psychique du sujet (dissociation) mais également entre le sujet et le monde environnant. Il s'agit d'un repli sur soi se manifestant par :

- un retrait social actif (isolement social, apragmatisme conduisant parfois à l'incurie).

- le sujet est distant, son regard est ailleurs.

- une pensée secrète, illogique, non subordonnée au principe de réalité. Il s'agit d'une pensée magique, peu communicable.

FORMES CLINIQUES

En fonction de la prédominance de tel ou tel registre de la triade symptomatique que avons détaillée, on décrit plusieurs formes cliniques.

Schizophrénie simple. Son évolution est progressive et lente, le délire est peu intense, les symptômes dissociatifs sont modérés. La bizarrerie est au premier plan et l'insertion sociale peut être préservée.

Schizophrénie paranoïde. Il s'agit de la forme la plus fréquente et la plus typique. Le délire paranoïde est au premier plan et est associé à la symptomatologie dissociative. On observe une alternance d'épisodes aigus et de phases de rémission.

Schizophrénie hébéphrénique. C'est la forme dans laquelle la dissociation est la plus intense, avec un délire très pauvre et un émoussement affectif majeur. L'évolution se fait vers le déficit et le retrait progressif.

Schizophrénie héboïdophrénique. Des épisodes dissociatifs alternent avec des périodes de rémission marquées par des comportements impulsifs et transgressifs.

Schizophrénie dysthymique. Comme dans le trouble bipolaire, il existe une alternance d'épisodes maniaques et dépressifs. Entre les épisodes, on note des symptômes schizophréniques permettant de porter le diagnostic.

Schizophrénie catatonique. Elle est aujourd'hui exceptionnelle du fait de l'amélioration des traitements. On pouvait observer dans les évolutions chroniques de certaines schizophrénies des phases de repli majeur, de stupeur, de négativisme et de perte de toute initiative motrice. Ces formes pouvaient entraîner de graves complications de décubitus.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Le diagnostic de fond du trouble schizophrénique nécessitant au minimum six mois d'évaluation, la question des diagnostics différentiels concerne essentiellement les épisodes aigus. Ils doivent être systématiquement envisagés afin de ne pas ignorer une pathologie nécessitant une prise en charge spécifique urgente.

Troubles organiques. Ils doivent toujours être évoqués devant un accès psychiatrique aigu. Certains signes orientent particulièrement vers une étiologie organique, notamment le syndrome confusionnel et les hallucinations visuelles.

Les causes somatiques à éliminer sont nombreuses : infectieuses, métaboliques, endocriniennes, neurologiques, toxiques...

Bouffées délirantes aiguës. Comme nous l'avons signalé précédemment, une majorité de ces accès aigus ne donne pas lieu à une évolution chronique et peut rester sans lendemain, ou se répéter isolément sans altération majeure du pronostic. Il existe des critères laissant espérer une telle évolution favorable : la survenue brutale, la présence d'un facteur déclenchant (événement heureux ou malheureux, prise de toxique...), l'intensité du syndrome confusionnel et de la participation thymique, la richesse du délire, la réponse rapide au traitement.

États aigus des psychoses non schizophréniques. La schizophrénie est la psychose la plus fréquente chez l'adulte jeune. D'autres troubles psychotiques peuvent cependant survenir dans cette période. C'est alors l'absence de tout symptôme dissociatif et la présence d'un délire mieux organisé qui orientera le diagnostic.

Épisodes dysthymiques aigus. De tels accès, dépressifs ou maniaques peuvent survenir chez l'adulte jeune. Certains de ces épisodes, dits alors atypiques, peuvent évoluer vers une schizophrénie. L'absence de bizarrerie et d'éléments de la lignée dissociative rend peu probable une telle évolution.

Épisodes d'angoisse aigus. Chez l'adolescent, la symptomatologie anxieuse peut prendre de multiples formes. Une situation affective difficile ou une consommation de toxiques peuvent aboutir à un tableau de désorganisation psychique. Il s'agira toutefois d'une crise passagère, qui répondra favorablement à une mobilisation de l'entourage et des soignants, ainsi qu'à un éventuel traitement médicamenteux.

ÉVOLUTION ET PRONOSTIC

La stabilité des formes cliniques les plus habituellement décrites (simple, paranoïde et hébéphrénique) est faible. Le plus souvent, la maladie évolue vers un tableau dans lequel aucune des trois formes ne prédomine.

Les formes paranoïdes ont plus souvent une évolution intermittente (par poussées).

La forme catatonique pure est très rarement observée depuis l'introduction des traitements neuroleptiques (au cours des années 1960) et l'amélioration de la prise en charge des patients.

Les traitements neuroleptiques ont considérablement amélioré les symptômes positifs (délire, hallucinations), alors que leur efficacité sur la symptomatologie négative (surtout l'émoussement affectif et le retrait social) est restée plus modeste.

La schizophrénie est une maladie grave par le handicap fonctionnel qu'elle engendre, ainsi que par les éventuels troubles du comportement qu'elle implique : prévalence élevée des suicides (10 % des décès chez les schizophrènes), de la toxicomanie (40 à 50 % des patients consomment régulièrement du haschich) et des comportements hétéro-agressifs.

L'introduction des neuroleptiques, au cours des années 1960, a permis de limiter la durée d'hospitalisation des patients, mais la prise en charge reste très lourde. Elle nécessite un important suivi, à l'aide des structures du secteur psychiatrique, et de nombreuses réhospitalisations. Le bénéfice thérapeutique à long terme est encore insuffisant (seulement 20 % à 30 % des malades exercent une activité professionnelle). La rapidité avec lequel le traitement neuroleptique est instauré contribue à améliorer le pronostic évolutif de cette maladie.

Il s'agit d'une maladie chronique dont les symptômes s'améliorent généralement avec le traitement, mais dont le risque de rechute reste élevé. La durée d'évolution des symptômes est un élément du diagnostic, puisqu'on considère que celle-ci doit être supérieure à six mois pour poser le diagnostic de schizophrénie.

Les Anglo-Saxons ont défini une forme de schizophrénie appelée résiduelle. Elle fait en général suite à un épisode aigu et constitue la modalité évolutive la plus fréquente sous traitement.

L'évolution peut parfois mener vers une rémission complète, voire définitive des symptômes (environ 20 % des cas). Cependant, les auteurs qui considèrent qu'il existe des guérisons incluent des schizophrénies simples ou des bouffées délirantes aiguës (qualifiées aux États-Unis de trouble schizophréniforme et dont on connaît le pronostic évolutif - 20 à 30 % de guérisons).

L'évolution peut également être plus défavorable, avec dans environ 20 % des cas un tableau de schizophrénie déficitaire, caractérisée par un émoussement affectif au premier plan, un retrait social et une mauvaise réponse au traitement neuroleptique.

ÉTIOPATHOGÉNIE

Il n'existe pas à ce jour d'étiologie univoque de la schizophrénie. Les facteurs causaux sont actuellement connus soit par inférence théorique, soit par association statistique. On doit donc parler d'hypothèses étiologiques. Elles sont recherchées dans trois champs de savoir : le biologique, le psychologique et le social.

Parmi les pistes actuellement explorées, on peut citer :

- des facteurs obstétricaux : une exposition de la mère au virus influenzae (grippe) au cours de la grossesse, une naissance au cours des mois d'hiver et de printemps constituant un facteur de risque statistique ; une souffrance cérébrale néonatale, un faible poids de naissance.

- des altérations neurophysiologiques : augmentation du fonctionnement dopaminergique au niveau mésolimbique entraînant les symptômes dits « positifs » de la maladie (délire), associée à une réduction de ce même système au niveau frontal, à l'origine des symptômes « négatifs » (syndrome dissociatif et « autistique »). La dopamine n'est cependant pas le seul neurotransmetteur impliqué dans l'étiopathogénie du trouble. On étudie aujourd'hui le rôle de la sérotonine et d'autres pistes existent.

- des facteurs génétiques : on dispose de plusieurs études sur des familles de patients schizophrènes, et en particulier sur des fratries gémellaires. Un simple lien de fratrie augmente modérément le risque de développer la maladie. Une gémellité hétérozygote accroît ce risque, qui devient maximum chez des jumeaux homozygotes. Le risque pour le jumeau dont le frère ou la soeur est atteint est de l'ordre de 50 %.

Ces facteurs biologiques ont l'avantage d'être de bons objets de recherche. Ils sont mesurables et leur association avec un risque de développer la maladie peut être validé statistiquement. Cette valeur scientifique ne doit cependant ni faire oublier les biais toujours présents dans les études, ni encourager les interprétations excessives de résultats statistiques.

Autour de ces données s'est créé le modèle théorique « stress-vulnérabilité ». Les prédispositions génétiques et biologiques constitueraient des éléments de vulnérabilité. Des facteurs de stress endogènes (physiologiques) ou exogènes (environnementaux) joueraient un rôle de déclencheur de la maladie. Les schizophrènes ne seraient pas soumis à plus de stress mais y seraient plus sensibles.

Les recherches en psychologie, anthropologie et sociologie ne bénéficient pas aujourd'hui de la même crédibilité. Elles sont pourtant capitales et ont permis de faire évoluer le cadre des soins aux patients schizophrènes.

On étudie ainsi l'environnement familial des patients. Pour les psychanalystes, les altérations précoces des relations entre l'enfant et ses proches sont à l'origine de troubles de son développement psychoaffectif et peuvent conduire à l'émergence d'une psychose. L'enfant insuffisamment équipé pour gérer ses conflits internes est amené à développer des stratégies de défense inappropriées, telles que le clivage ou le déni de la réalité.

Dans l'approche systémique, le malade tient une place de symptôme au sein du système familial. Sa pathologie et l'organisation familiale qu'elle implique permettent un équilibre du système qui pourrait être remis en cause par une guérison. Les systémiciens ont par ailleurs montré le rôle du « double lien », sorte d'injonction paradoxale formulée par l'entourage affectif, dans la genèse des pathologies schizophréniques.

TRAITEMENT

Élément central du traitement, les neuroleptiques sont en général efficaces en quatre à six semaines pour contrôler les symptômes positifs de la schizophrénie. Ils permettent également de prévenir les rechutes.

Par contre, leur efficacité sur les symptômes négatifs est moins nette. Au traitement pharmacologique sont associés une prise en charge psychothérapique et des mesures de réinsertion sociale.

Hospitalisation en milieu spécialisé. Elle est souvent nécessaire pour réaliser l'évaluation initiale lors du premier épisode psychotique et faciliter la mise en route du traitement, puis lors des phases aiguës. Au besoin, on aura recours à une hospitalisation sur demande d'un tiers en cas de refus du patient. Exceptionnellement, il sera fait appel à l'hospitalisation d'office.

Traitement pharmacologique

Neuroleptiques et antipsychotiques. Ils doivent être instaurés précocement pour améliorer le pronostic évolutif. Le traitement neuroleptique débute préférentiellement en milieu hospitalier lors des épisodes aigus, afin de pouvoir surveiller quotidiennement l'état psychique et somatique du patient et corriger ou prévenir les éventuels effets secondaires. Les antipsychotiques dits atypiques (Risperdal®, Zyprexa®, Solian®, Abilify®) présentent moins d'effets secondaires que les neuroleptiques classiques, tout en conservant une efficacité équivalente. Ils n'ont que peu d'effets extrapyramidaux et entraînent moins d'altérations cognitives. Mais ces traitements comportent des effets gênants pour les patients, tels que la prise de poids et les troubles de la libido.

Du fait de cette bonne tolérance, il est aujourd'hui recommandé d'utiliser ces molécules en première intention. Les neuroleptiques classiques (Haldol®, Clopixol®...) ne seront employés qu'en cas d'échec de ces premiers traitements. La durée du traitement sera prolongée, au moins deux ans au décours d'un premier épisode psychotique, au moins cinq ans lorsque plusieurs épisodes sont déjà survenus. Un arrêt se fait dans tous les cas avec prudence et nécessite un maintien de la relation thérapeutique.

D'autres traitements pharmacologiques peuvent parfois être associés.

Antidépresseurs. Ils peuvent être prescrits lors des épisodes dépressifs, en association avec le traitement neuroleptique, à des doses en règle inférieures à celles habituellement utilisées dans le traitement des dépressions.

Thymorégulateurs. Ils sont efficaces dans la prévention des rechutes des schizophrénies dysthymiques, en association avec les neuroleptiques. Le lithium (Téralithe®) ou le valproate de sodium (Dépakote®) peuvent être utilisés.

Sismothérapie. Aussi appelée électroconvulsivothérapie, elle peut être utilisée dans les formes catatoniques, parfois dans les formes à forte participation thymique ou, exceptionnellement, dans les formes résistantes ou encore en cas d'intolérance aux neuroleptiques.

Psychothérapies. La prise en charge psychothérapique est reconnue et recommandée par les experts. Elle permet, sur le plan statistique, de diminuer le taux de rechute à long terme. Ce travail conduit le patient et l'entourage à une meilleure compréhension de l'épisode pathologique et à des remaniements intrapsychiques salutaires. Les psychothérapies peuvent être de plusieurs types : individuelles, groupales ou familiales, d'inspiration psychanalytique, systémique ou cognitivo-comportementaliste.

Sociothérapie. L'état français propose un certain nombre de prestations sociales aux personnes présentant un handicap limitant les capacités d'insertion. La schizophrénie donne droit à une allocation d'adulte handicapé (AAH) et à une reconnaissance par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH, qui a remplacé la Cotorep) du statut de travailleur handicapé. La MPDH offre au patient une évaluation très complète de ses capacités d'insertion dans le milieu professionnel et lui permet ensuite d'être orienté vers un poste de travail protégé et adapté. Toutes les possibilités d'insertion existent, depuis les centres d'aide par le travail (CAT) qui accueillent les sujets les plus handicapés, jusqu'aux emplois en entreprise, avec certaines exigences de performance. Ces dispositifs qui restaurent la place sociale du sujet ont une fonction thérapeutique. Ils inscrivent le patient dans la réalité et lui redonne un rôle dans la société. Rappelons que la sociothérapie fait partie intégrante du projet de soin et qu'elle débute avec la prise en charge du sujet, comme les autres soins.

Les passages à l'acte

Il est utile de rappeler dans le climat social actuel que la dangerosité n'est spécifique d'aucune maladie. Dans la schizophrénie, les passages à l'acte auto ou hétéroagressifs surviennent essentiellement dans des périodes de rupture de soin ou avant tout repérage de la maladie. Le sexe masculin et la consommation de toxiques sont également des facteurs de risque. Le suicide est fréquent chez les patients schizophrènes, puisque 10 % d'entre eux décèdent ainsi. Cela représente un taux de suicide 40 fois supérieur à celui de la population générale. Ces gestes surviennent le plus souvent dans les premières années de la maladie, soit lors d'épisodes aigus sous l'influence d'un automatisme mental ou d'un raisonnement froid et pseudo-logique, soit, le plus fréquemment, lors d'effondrements dépressifs dans les phases de rémission. Les signes de dépression étant volontiers atypiques dans la schizophrénie, la vigilance d'une équipe soignante pluridisciplinaire est nécessaire à un repérage fin et précoce.

Facteurs de bon pronostic

- Sexe féminin

- Absence de personnalité prémorbide

- Absence d'antécédents familiaux (discuté)

- Qualité de l'entourage familial et participation au processus de soin

- Début aigu

- Début tardif de la maladie

- Forme paranoïde à forte composante délirante

- Participation thymique importante

- Absence d'indifférence affective

- Bonne réponse au traitement neuroleptique

- Précocité de la mise en route du traitement neuroleptique

- Proximité et mobilisation du réseau de soin.

La thérapie institutionnelle

Apparue après la Seconde Guerre mondiale, cette approche du soin des patients schizophrènes vient compléter l'apport des neuroleptiques et des psychothérapies individuelles.

Il s'agit d'utiliser le lieu d'accueil des patients et les soignants qui y travaillent comme un levier thérapeutique. Lieux, activités et relations deviennent des supports de projection des angoisses, secondairement analysables par les soignants. Cette idée préside à l'organisation du secteur psychiatrique telle qu'elle existe en France.

Le cannabis

La prévalence de la consommation de cannabis chez les patients schizophrènes est environ cinq fois supérieure à celle de la population générale. On a longtemps avancé l'idée d'une automédication à visée anxiolytique de ces sujets, mais cette hypothèse est aujourd'hui contestée. Les données scientifiques les plus récentes montrent une association statistique significative entre la consommation régulière de cannabis et le risque de développer un trouble schizophrénique. Plus la consommation est importante, plus le risque est élevé. Il s'agit de l'observation d'un facteur de risque et non d'une cause de la schizophrénie. L'hypothèse la mieux étayée actuellement est que la consommation de cannabis agit comme « stresseur » chez un sujet présentant une vulnérabilité multifactorielle à la schizophrénie. La prise de cannabis étant par ailleurs reconnue comme facteur compliquant le suivi thérapeutique, l'information préventive est essentielle auprès du grand public comme des patients.

L'observance

Les soignants déplorent fréquemment la médiocre qualité de l'observance de la prescription médicale par les patients atteints de schizophrénie, ainsi que les rechutes et altérations du pronostic qu'elle entraîne. Le sexe masculin, la consommation associée de toxiques, l'isolement social et géographique et la période de début du traitement ont été identifiés comme des facteurs de risque de mauvaise observance. Les orientations de santé publique actuelles favorisent le développement de programmes de psycho-éducation qui ont pour but de rapprocher les représentations des patients de celles des soignants en espérant améliorer l'observance thérapeutique. Or, les travaux d'anthropologie médicale ont tendance à montrer que les théories explicatives « profanes » et « culturelles » des patients peuvent être des facteurs facilitants pour les soins. La question de l'observance doit rester au coeur de la relation singulière entre le soignant et le patient avant d'être un enjeu d'éducation.

Neuroleptiques et prise de poids

La prise de poids est un effet secondaire fréquent des neuroleptiques de deuxième génération (antipsychotiques). En plus du préjudice physique et psychique, ce phénomène peut entraîner des troubles métaboliques dangereux à long terme. Les conseils hygiéno-diététiques sont utiles, mais il peut être souhaitable de changer de molécule en cas de mauvaise tolérance de la prise de poids. Malgré des effets secondaires plus rares, la prescription d'antipsychotiques ne doit pas être banalisée.