« Stérile, mais pas aseptisé ! » - L'Infirmière Magazine n° 241 du 01/09/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 241 du 01/09/2008

 

hématologie

Reportage

Traitements de choc, chocs d'humanité. Plongée dans le quotidien de l'unité stérile de soins intensifs (Ussi) du service d'hématologie du CHU de Tours.

Elle devait se marier dans deux mois. Rêvait d'une coiffure savante et non d'une perruque. D'une robe de fête et non d'un pyjama stérilisé. D'embrassades, d'étreintes et de rires. Pas de visiteurs immobiles sur leur chaise à quelques mètres de son lit, vêtus d'une surblouse bleu roi, d'une charlotte et de surchaussures. Leurs sourires tendres mais crispés, cachés sous un masque. Leurs mains tendues, lavées au savon antiseptique avec de l'eau filtrée, mais qu'elle ne peut caresser. « C'est une des choses les plus dures ici... Ne même pas pouvoir toucher ceux qu'on aime », confie-t-elle.

Nous sommes à l'unité stérile de soins intensifs (Ussi) du service d'hématologie et thérapie cellulaire du CHU de Tours. Laurence y est entrée en urgence, épuisée, le ventre gonflé, car sa rate se dilatait. Le diagnostic est tombé : une splénomégalie compliquée en leucémie aiguë. Aujourd'hui encore, le pronostic est plus que réservé. Mais elle se bat, comme un beau diable. Elle calfeutre ses cheveux qui tombent sous des fichus noués avec soin. Mange avec appétit quand, dans les sept chambres voisines, l'appétit est rare. « C'est l'avantage du patch de nicotine ! J'ai faim, même la nuit », plaisante-t-elle.

« Foutues plaquettes ! »

Le téléphone sonne ; la voix claire, elle a des paroles apaisantes pour ses proches que grignote l'inquiétude. « Leucémie. Cancer. Ces mots font toujours aussi peur. Quand en plus je leur dit que je suis en chambre stérile, enfermée pour plusieurs semaines, c'est l'affolement. » Effarée, Laurence l'est aussi. Le regard tendu, les mains fines qui serrent le drap, disent son angoisse. Qu'elle livre à Nathalie, infirmière, venue, comme toutes les quatre heures, mesurer ses constantes : « Ces foutues plaquettes, qu'on ne cesse de me transfuser, mais que je bouffe, que je bouffe... Quel gâchis, alors qu'il y a tant de gens qui en auraient besoin ! »

Adossée au mur blanc, Nathalie prend le temps d'écouter. Le courage des patients de l'unité l'émeut toujours autant. La générosité coléreuse de Laurence la fait sourire. Les deux femmes parlent. Soignante et patiente relisent le parcours de Laurence en Ussi. Voilà trois semaines qu'elle est là. Trois semaines de chimiothérapie intensive. Une mise en aplasie éreintante, un temps accompagnée d'une fièvre qui a mis toute l'équipe soignante en alerte. « Il va bien finir par remonter, ce satané taux de plaquettes ! Si l'on pouvait trouver un donneur compatible pour une allogreffe... »

Vigilance constante

L'Ussi, « c'est un monde dur, que tous les soignants ne supportent pas », commente Brigitte. L'infirmière a mis en place, avec une jeune collègue, des consultations d'accueil pour les patients qui intègrent cette unité si particulière. Derrière les portes fermées à double battant du premier étage d'un bâtiment refait à neuf, huit chambres accueillent les patients atteints de leucémies aiguës ou chroniques, lymphomes ou myélomes nécessitant des traitements intensifs. Deux médecins, Caroline Dartigeas et Lofti Ben Boubker, dix-huit infirmières et autant d'aides-soignantes accompagnent nuit et jour les malades... par équipes de deux pour les infirmières, et de deux plus une chargée de préparer les repas pour les aides-soignantes. « Et quand l'on sait qu'ici, même une légère fièvre est une urgence thérapeutique, la vigilance constante et le travail d'équipe sont des impératifs », souligne Caroline Dartigeas.

Hygiène de pointe

L'aplasie affaiblit les patients, et s'accompagne le plus souvent de douleurs. À la fatigue s'ajoutent perte des cheveux, diarrhées et vomissements. Ou encore les mucites, « ces inflammations de la muqueuse buccale ou digestive qui transforment la bouche de certains en aphte géant », commente le médecin. Les protocoles de soins sont des plus stricts. Et le travail des soignants extrêmement exigeant. « Faire le ménage d'une chambre prend plus de trois quarts d'heures, sourit Donzilla, pimpante aide-soignante : chaque jour il faut tout laver, sols et murs compris, changer les filtres des lavabos, désinfecter le moindre objet. L'hygiène est une question vitale. »

Quand au travail infirmier... « Préparer le traitement de chaque patient sous la hotte, surveiller les constantes toutes les quatre heures, voire toutes les deux heures lorsque l'on est inquiet, transfuser en plaquettes et globules rouges, réaliser des bilans sanguins quatre fois par semaine... On ne s'ennuie pas ! », commente Francine. Il faut s'habiller et se déshabiller, se laver les mains, pousser du pli du coude les portes du sas à l'entrée des chambres, changer de gants à chaque étape du soin...

« Tout peut basculer »

Ce travail peut être ressenti comme routinier. Pourtant, si les journées à l'Ussi sont balisées par les protocoles, « tout peut basculer très vite, note Caroline. Une température qui monte de quelques degrés, une infection... en quelques heures à peine, un départ en réa peut s'imposer ». Et surtout, « si l'on peut choisir de travailler en chirurgie parce que l'on est une férue du "geste", ici cela ne suffit pas : pour nous, c'est extrême technicité ET extrême relationnel », souligne l'équipe. « C'est cela qui est tout à la fois dur et passionnant », ajoute Nathalie.

Parole et présence

L'Ussi, c'est « un monde stérile mais pas aseptisé ! », souligne une collègue. Ici, on accompagne des malades souvent jeunes - car il faut que le corps soit assez fort pour supporter le traitement - et qui vivent une sorte de « quitte ou double ». Pathologies chroniques, cures répétées de plusieurs semaines... le soin se fait aussi parole, présence. Le front dégarni (« mon look Ussi », dit-elle), Jasmine titille la branche de ses coquettes lunettes rouges écarlates : « Enfermée dans cette chambre, avec mes peurs, mes espoirs... les passages des médecins, des infirmières, c'était vital ! Un souffle. » Cette mère de famille est désormais radieuse. « J'en ai bavé ! Mais ça y est, demain je sors ! Une pause bien méritée non ? Avant ma troisième et dernière cure ! »