Le soin au-delà du refus - L'Infirmière Magazine n° 242 du 01/10/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 242 du 01/10/2008

 

psychiatrie

Dossier

Si les hospitalisations sans consentement restent minoritaires, leur usage s'est intensifié et diversifié... parfois en contournant l'esprit de la loi.

«Une partie importante de notre travail d'infirmière consiste à faire comprendre aux gens que s'ils arrêtent leur traitement, ils vont aller plus mal parce qu'ils sont malades... Et que ce traitement va durer longtemps, très longtemps. » Pour illustrer son propos, Nathalie Kowalski, infirmière psychiatrique en centre médico-psychologique (CMP) dans le Nord meusien, utilise souvent l'exemple du diabétique, qui prend son insuline trois fois par jour toute sa vie.

Car la difficulté d'une maladie psychiatrique réside en partie dans l'absence de demande de soins par le patient : « Dans les cas de pathologies qui se caractérisent par une dissociation intellectuelle, des hallucinations, des idées délirantes, un sentiment de persécution et une perte de contact avec la réalité, les symptômes ne permettent pas au patient de considérer qu'il est atteint d'une maladie, constate le Dr Gérard Dubret, chef de service et responsable du pôle psychiatrie de l'hôpital général de Pontoise (Val-d'Oise). Lorsqu'une personne ne peut formuler une demande de soin, quelqu'un doit le faire à sa place. »

Dangerosité

Que dit la législation à ce sujet ? Si la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé affirme la nécessité de consentement comme principe de base à toute prise en charge thérapeutique, lorsqu'une personne adulte souffrant de troubles mentaux présente un danger pour elle-même ou pour les autres, il est possible de recourir à une hospitalisation sans consentement.

La procédure existe depuis la loi de 1838, dite « des aliénés », qui permettait déjà d'interner une personne, à la demande d'un tiers ou du préfet et d'après un avis médical. Cette loi fondatrice distinguait déjà le placement volontaire de celui d'office. Elle est demeurée valide jusqu'au vote de la loi du 27 juin 1990 « relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raisons de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation ». Ce texte - en vigueur actuellement - précise les conditions de l'hospitalisation sans consentement qui s'organise entre l'hospitalisation à la demande d'un tiers et l'hospitalisation d'office. La première procédure, la plus fréquente, est effectuée à la demande d'un tiers (soit un membre de la famille, soit une personne susceptible d'agir dans l'intérêt du patient) et requiert deux certificats médicaux « concordants et circonstanciés » dont le premier ne peut être rempli que par un médecin n'exerçant pas dans l'établissement d'accueil.

Urgence ordinaire

Cependant, un dispositif d'urgence, en cas de « risque de dégradation grave de l'état de santé de la personne en l'absence d'hospitalisation », simplifie la procédure. L'admission peut alors être signée par un seul médecin, qui peut être celui de l'hôpital : cette pratique d'urgence de plus en plus courante représentait 45 % des hospitalisations à la demande d'un tiers en 2005, selon le ministère de la Santé.

L'hospitalisation d'office est une procédure moins fréquente, prononcée par le préfet au vu d'un certificat médical, lorsque la présence de troubles mentaux de la personne porte atteinte à la sûreté des personnes ou, de façon grave, à l'ordre public. « En résumé, la loi fait référence à la nécessité de soins pour l'hospitalisation à la demande d'un tiers et, pour l'hospitalisation d'office, à la nécessité de soins et à la dangerosité », écrit Magali Coldefy, chargée de recherche à l'Irdes (Institut de recherche en économie de la santé), auteur d'une étude sur les disparités régionales des hospitalisations sans consentement. Les sorties d'hospitalisation à la demande d'un tiers se font sur avis médical et les levées d'hospitalisation d'office sur décision préfectorale.

L'hospitalisation sur demande d'un tiers et l'hospitalisation d'office peuvent se poursuivre par une hospitalisation en service libre après la levée de la mesure d'hospitalisation sans consentement. Dans les cas où l'acceptation des soins paraît très superficielle, si l'état clinique du patient permet d'envisager sa sortie, celle-ci ne pourra se décider que sous le mode d'une sortie d'essai, avec maintien de la procédure d'hospitalisation sans consentement. Le patient rentre chez lui, mais doit se présenter régulièrement à l'hôpital pour des consultations, parfois pour organiser son pilulier ou recevoir un traitement injectable d'action prolongée.

Sorties d'essai

« Peut-on vraiment affirmer qu'il est consentant aux soins ? s'interroge Francis Prouteau, cadre supérieur de santé et infirmier psychiatrique à La Roche-sur-Yon. Sans doute que non, sinon on ne lui mettrait pas cette sorte de "bracelet électronique virtuel" pour le surveiller, qui implique, s'il ne vient pas, qu'on vérifie où il se trouve et que s'il n'est "pas bien", on le ramène à l'hôpital. » Ces sorties d'essai, employées depuis longtemps, n'ont été légalisées qu'en 1990. Leurs durées sont limitées mais la démarche peut être renouvelée à de multiples reprises : « J'ai traité plusieurs patients gravement malades en hospitalisation d'office, qui ont bénéficié de sorties d'essai sur plusieurs semaines, mois, voire années... détaille Serge Kannas, coordinateur de la Mission nationale d'appui en santé mentale et ancien chef de service à Charcot (Paris). Je pense à l'un d'eux qui a tenu le coup en suivant son traitement et n'a jamais été réhospitalisé. Avant l'utilisation de cette mesure, qui constitue une extension très dérogatoire de la loi de 1990, il avait été hospitalisé dix-sept fois en hospitalisation d'office ! Paradoxalement, la contrainte ouvre des espaces de liberté au patient, en lui permettant de vivre chez lui. »

Les hospitalisations sans consentement sont de plus en plus fréquentes (lire l'encadré ci-contre), notamment les hospitalisations à la demande d'un tiers (et parmi elles surtout celles d'urgence), le taux d'hospitalisations d'office restant stable par rapport au nombre total d'hospitalisations en psychiatrie. Les causes de cette augmentation sont multiples, explique le Dr Yvan Halimi, président de la conférence des présidents des commissions médicales d'établissements de centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie : « La fermeture d'un grand nombre de lits a entraîné des sorties prématurées et donc plus de rechutes ; de plus, la rupture des liens sociaux isole et précarise les personnes qui n'ont que peu de solutions à leur sortie. Dans la logique antérieure où la majorité des malades étaient hospitalisés, en cas de rechute, ils étaient sur place. Aujourd'hui, 80 % des patients sont suivis en ambulatoire. Nous préconisons des soins sans consentement qui combinent une approche hospitalière et ambulatoire. Lors des premières semaines de sortie, on doit suivre les gens régulièrement pour veiller à ce qu'ils suivent les traitements, parce que le risque de rechute est alors plus fort, et pour pouvoir les réhospitaliser si besoin. »

La plupart du temps, les hospitalisations à la demande d'un tiers correspondent au début d'une histoire, l'entrée dans la schizophrénie pour un jeune de 17 ou 18 ans, par exemple. Le jeune a encore une famille, elle s'inquiète de son état car il s'est isolé, vit la nuit, tient des propos bizarres et incompréhensibles, se montre subitement agressif... Leur généraliste les oriente vers un psychiatre, la solution de l'hospitalisation est évoquée. Le parcours est douloureux pour les parents : « La famille, quand elle existe, est souvent requérante, précise Florence, infirmière psychiatrique à l'hôpital de Verdun. La plupart du temps, ce sont les pompiers qui emmènent la personne à l'hôpital. Parfois, le médecin du Samu peut intervenir (1). Généralement, on ne connaît pas les gens qui arrivent pour une première hospitalisation. Ils transitent par les urgences où, par chance, nous avons une infirmière psy et un psychiatre qui peuvent juger de la pertinence de leur internement. À l'arrivée dans le service, ce sont toujours les infirmières qui accueillent ces patients et évaluent la possibilité de mener un entretien. »

Vers l'hospitalisation libre

À l'hôpital psychiatrique de La Roche-sur-Yon, un établissement spécialisé de 450 lits (psychiatrie générale, pédopsychiatrie, gérontopsychiatrie), les hospitalisations sans consentement concernent 20 % des patients. La plupart se transforment en hospitalisations libres : « J'ai le sentiment que l'adhésion à la prise en charge et à l'hospitalisation se fait plus rapidement qu'auparavant, remarque Francis Prouteau. Cela tient à une volonté accrue d'informer les patients ces dernières années. Même quand une personne est mise en chambre d'isolement et sous contention à son arrivée, on prend le soin de lui parler. Il m'arrive régulièrement d'intervenir dans ces cas . En tant qu'élément masculin, cela peut soulager mes collègues. J'accorde beaucoup d'importance à donner les informations au patient, même s'il est délirant, même s'il ne comprend pas tout à cet instant. La recherche du consentement, telle qu'elle est décrite dans les textes, nous essayons de la faire vivre jour après jour. Avec certains patients cependant, cela prend des années. Je pense à un jeune schizophrène, malade depuis dix ans, qui ne comprend toujours pas pourquoi il est là. S'il se montrait consentant, ce serait uniquement pour qu'on lui lâche la bride et qu'on le laisse en paix... Un faux consentement aux soins. L'acceptation viendra peut-être dans cinq ou dix ans. »

Lorsqu'un patient est agité, il est mis en chambre d'isolement, ce qui correspond à une prescription médicale : les soignants passent le voir toutes les heures, les constantes sont prises, le patient prend ses repas en leur présence, selon un protocole strict. La personne est en pyjama, on s'assure qu'elle n'a pas de briquet, on l'isole des autres pour que ses cris ne perturbent pas les autres patients. Parfois, des contentions sont nécessaires pour éviter qu'il ne se blesse. Il va passer entre vingt-quatre et soixante-douze heures en isolement. Les contentions restant rarement posées plus de vingt-quatre heures. « On focalise toutes ses relations avec l'équipe soignante, il voit des soignants plus que n'importe quel autre patient, observe Gérard Dubret. C'est le temps nécessaire pour parvenir à un contrat de soins. La personne ne comprend pas pourquoi elle est enfermée. On lui répond qu'une autre chambre ouverte l'attend, que lorsqu'il est arrivé, il hurlait, voulait sauter par la fenêtre... Ces premiers contacts sont presque comportementalistes ! Puis, rapidement, un apaisement survient grâce au traitement médicamenteux - je ne dis pas "camisole chimique" ! - qui soulage les symptômes les plus douloureux comme les hallucinations, les idées délirantes... On voit le patient changer complètement. »

À l'hôpital de Verdun ont été créés deux services d'admission, l'un verrouillé et l'autre ouvert : « C'est parti d'une réflexion dans l'équipe, où l'on trouvait dommageable que les gens qui venaient en hospitalisation libre soient pénalisés, raconte Florence. Nous voulions qu'ils puissent sortir comme ils le souhaitaient, pas forcément accompagnés d'une infirmière, et qu'ils ne subissent pas les règles de vie, obligatoirement plus contraignantes, imposées par les hospitalisations sans consentement. »

La pratique n'est pas, comme dans d'autres hôpitaux, de faire suivre une hospitalisation sans consentement d'une hospitalisation libre, mais de séjourner quinze jours à trois semaines à l'hôpital, le temps que la crise se calme, avant de rentrer chez eux en sortie d'essai. Le suivi est réalisé par le centre médico-psychologique (CMP), dont les infirmières rendent visite aux patients à domicile : « C'est intéressant d'aller chez les gens, qui nous ouvrent leur intimité, remarque Nathalie Kowalski. On n'a plus le même statut qu'à l'hôpital, on n'est plus dans la toute-puissance... On connaît nos patients et nous avons les compétences pour apprécier une situation et parfois prendre la décision d'une réhospitalisation. Le fait que le processus soit alors plus aisé me paraît plus logique que dans le cadre d'une première hospitalisation, où se pose toujours la question du risque de l'internement abusif. »

« Défaut de tiers »

Bien que les directives ministérielles précisent que le tiers doit avoir rencontré la personne hospitalisée, la Direction générale de la santé a fait le constat, au début des années 2000, que dans 30 % des cas, les demandes étaient rédigées par des personnes ne connaissant pas le patient : directeur de l'établissement ou ses représentants, assistantes sociales ou secrétaires médicales...

Bien souvent, la réticence des familles à faire hospitaliser un proche explique la difficulté à organiser une hospitalisation sans consentement en l'absence de danger imminent au sens de la loi. Le maire ou ses adjoints sont alors sollicités : l'hospitalisation d'office, « à défaut de tiers » intervient en dehors des cas de dangerosité prévus par la loi. « Nous rencontrons cette difficulté à mobiliser les tiers, confirme Gérard Dubret. Parfois, il n'y a plus de famille, ou plus de contact avec elle. L'équipe de soins psychiatriques est parfois la seule à connaître le patient et à le voir décliner. C'est incroyable, mais un certain nombre de patients qui ont rompu les soins et sont en pleine rechute viennent rôder près de l'hôpital. Ils nous abordent : "Vous n'allez pas m'hospitaliser, cette fois je ne vais pas me laisser faire !" C'est une façon de nous montrer qu'ils vont mal et qu'ils attendent que nous prenions la décision d'une hospitalisation à leur place. L'application stricto sensu de la loi ne nous permettrait pas d'agir dans ce cas, mais la seule réponse soignante envisageable est de les prendre calmement par le bras et de les emmener dans une unité d'hospitalisation, puis d'organiser une hospitalisation à la demande d'un tiers avec une assistante sociale. »

Séjours plus ou moins longs

La part des hospitalisations sans consentement varie d'un département à l'autre. En 2005, dans treize d'entre eux, elle représentait entre 20 et 35 % des hospitalisations complètes totales en psychiatrie. Le maximum, 35 %, est atteint dans l'Oise alors qu'une proportion de 3,2 % est observée dans les Hautes-Alpes, et de 5,3 % en Haute-Garonne. La variabilité de ces chiffres renvoie à celle des pratiques d'un secteur à l'autre et notamment aux temps d'hospitalisations qui diffèrent : « Les endroits qui comptent le plus de lits sont aussi ceux où les gens sont hospitalisés le plus longtemps, avance Aude Caria, directrice de la Maison des usagers de Sainte-Anne (Paris) et chercheuse au Centre collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale. Dans certains services, on fait tout pour que vous réintégriez le plus rapidement possible votre vie quotidienne, et ailleurs on vous garde deux à six mois, sans que le travail de secteur et de lien avec l'environnement soit forcément fait. »

Depuis plus de 25 ans, le dispositif de soins de santé mentale intégrés dans la cité s'est mis en place progressivement dans les communes de la banlieue est de Lille. La priorité essentielle est d'éviter de recourir à l'hospitalisation classique, en intégrant l'ensemble du dispositif de soins dans la cité, par un travail en réseau entre tous les partenaires.

Le nombre d'hospitalisations a considérablement diminué et la plupart des hospitalisations à la demande d'un tiers s'effectuent au CHU de Lille, qui a mis en place un centre d'accueil et de crise. Lorsqu'il s'agit d'un patient du secteur Lille-Est, un infirmier de l'équipe mobile va rapidement à sa rencontre : « On explique pourquoi on prend cette décision à la famille et à la personne, précise Jean-Luc Roelandt, psychiatre et responsable de ce secteur. Le transport se fait soit dans des ambulances sécurisées, soit avec un infirmier de l'équipe. C'est possible parce que nous avons 80 % des personnels en ville contre 20 % à l'hôpital. » Jean-Luc Roelandt milite pour une loi d'obligation de soins à l'italienne : « C'est le traitement qui est obligatoire, pas l'enfermement ! Il faut pouvoir soigner les personnes contre leur gré tout en leur offrant un maximum de garanties. La gestion de l'ordre public n'est pas du ressort des soignants. » Ni chambre d'isolement ni contention dans ce secteur, mais un service ouvert avec des personnels formés à la gestion des crises et à « ne pas avoir peur des patients ». Des agents de sécurité interviennent en cas de dangerosité.

Réforme à entreprendre ?

La loi de 1990 devait être évaluée et révisée cinq ans après sa mise en oeuvre. Cela n'a jamais été fait. Récemment, professionnels et usagers de la psychiatrie se sont mobilisés pour faire retirer les articles 18 à 24 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, rappelant ainsi qu'aucun amalgame ne pouvait être toléré entre malades et délinquants : « Notre discipline, rappelle Yvan Halimi, ne doit pas être instrumentalisée pour traiter des problèmes de société. Si la réforme est entreprise, elle doit être d'abord sanitaire et non sécuritaire. Il faut veiller à dissocier la sécurité publique de la santé et offrir des garanties suffisantes pour que l'on ne porte pas atteinte aux libertés individuelles. Des garanties à ces libertés existent bel et bien, mais elles peuvent s'avérer purement formelles, par exemple lorsqu'un malade arrive sédaté dans le service. »

Une grande partie du corps soignant souhaiterait voir les conditions d'admission assouplies et milite également pour que les recommandations du rapport Strohl (2) soit adoptées : autrement dit, qu'un vrai travail d'observation et d'évaluation soit mené à l'hôpital pendant soixante-douze heures et que le juge des libertés tranche et émette un avis sur la suite de l'hospitalisation. « Nous ne disposons pas, actuellement, d'un système assez sécurisant pour les patients et trop de décisions arbitraires et injustes sont prises, estime Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations de patients et ex-patients en psychiatrie (Fnapsy) et membre de notre comité de rédaction. La judiciarisation existe dans de nombreux pays, dont ceux du nord de l'Europe. Aux Pays-Bas, un conseil des usagers siège dans chaque hôpital. Cela signifie pour la personne l'obligation d'être reçue par le conseil et de discuter de sa situation. En France, les magistrats, saturés de travail, ne veulent pas s'octroyer une charge supplémentaire ni assumer la responsabilité de priver de liberté un individu au vu du rapport d'expertise d'un médecin. »

Amalgames

La psychiatrie a toujours occupé une place singulière, à l'intersection des questions sociales et du soin, entre l'ordre public, le contrôle social et les libertés individuelles. Il existe actuellement une tentation culturelle et politique d'assimiler plus aisément encore qu'auparavant délinquance et maladie mentale. Et des drames comme ceux qui se sont produits dans les dernières années à Pau ou à Nanterre renforcent encore cette dérive dans les discours ( 3). « À chaque fait divers, remarque Aude Caria, on mélange tout : on entend dire que c'est aux psychiatres de soigner les délinquants sexuels, que ce n'est pas normal que les délinquants sortent de prison sans être guéris... Mais guéris de quoi, de la délinquance ? La révision de la loi permettrait de clarifier un certain nombre de confusions de concepts et de préciser la responsabilité de chacun. »

La crainte de nombreux observateurs est cependant de voir la réforme de la loi menée dans un sens plus sécuritaire : « La France avait trouvé un équilibre avec la loi de 1838 et celle de 1990, analyse Serge Kannas. Les années 2000 ont déplacé l'équilibre du côté de la liberté des patients et des libertés individuelles, il semble que les années 2010 nous rapprochent d'un contrôle des patients plus étroit et plus fréquent. »

1- Rien n'étant prévu pour le transport, des organisations locales suppléent à ce manque. Dans le cadre des sorties d'essai, les infirmiers sont mandatés pour aller chercher les patients à domicile en cas de réhospitalisation.

2- Un groupe de travail chargé de réfléchir à la loi de 1990 a été constitué sous la présidence d'Hélène Strohl, inspectrice générale de l'Igas, et s'est réuni entre octobre 1995 et février 1997. Sur Internet : http://www.ch-le-vinatier.fr/cme-psy/strohlsom.htm.

3- Patrick Coupechoux, « Et même la folie a cessé d'être innocente », Le Monde diplomatique, juillet 2006.

évaluation

PEU DE PERSONNES AGITÉES

Didier Bled est cadre supérieur de santé et responsable qualité de l'hôpital de La Roche-sur-Yon (Vendée). Dans le cadre des évaluations des pratiques professionnelles (EPP), un groupe de travail a évalué la pertinence des hospitalisations sans consentement. Elles se sont avérées judicieuses à 97 %. « Plusieurs fois par mois, nous voyons des personnes se présenter en ambulance ici, seules, avec un certificat d'hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) signé par un généraliste. Elles sont d'accord pour se faire hospitaliser, mais puisque les hôpitaux sont souvent pleins, l'HDT est une façon détournée d'obtenir une place. Nous ne procédons à l'admission que s'il s'agit d'une urgence. Nous avons évalué les critères cliniques qui nous faisaient hospitaliser les patients en HDT : les troubles dépressifs sévères et risques suicidaires, s'accompagnant régulièrement d'un déni de la maladie et de l'absence de demande d'aide, sont l'une des causes majeures de ces hospitalisations. Il s'agit bien moins souvent de personnes agitées, qui cassent tout sur la voie publique... Cela a des conséquences sur la prise en charge : l'hospitalisation sera plus longue parce que l'on va beaucoup plus travailler sur l'acceptation. Il n'y aura pas de changement de mode d'hospitalisation au bout de trois jours. Il faudra davantage de temps pour que la personne, délirante ou mélancolique, accepte les soins... »

En chiffres

> En 2005, 60 366 hospitalisations à la demande d'un tiers et 11 465 hospitalisations d'office ont été répertoriées (1).

> Cela représentait 12,25 % du total des hospitalisations en psychiatrie.

> Cette proportion était en légère baisse (12,7 % en 2003), mais on a assisté à une nette hausse depuis les années 1980 (28 000 HDT en 1985).

1- Source : Drees, statistique annuelle, sur 96 départements (ce sont les chiffres les plus récents).

Attitude

« En 23 ans, remarque Nathalie Kowalski, j'ai été peu confrontée à une violence directe de la part de patients. Notre attitude est très importante : si l'on a un ressenti anxieux ou rejetant face à certaines pathologies, on renvoie une angoisse qui va générer une attitude violente.

Malheureusement, depuis la suppression du diplôme d'infirmière psychiatrique [en 1992], on se rend compte que les jeunes IDE ne sont plus du tout préparées à ce qui les attend sur le terrain. »

sociologie

DES PRATIQUES VARIÉES

Doctorante en sociologie à l'École des hautes études en sciences sociales, Delphine Moreau prépare une thèse sur les trajectoires des patients hospitalisés sans consentement et le rôle du tiers. Elle formule l'hypothèse que, suivant les secteurs, les équipes ont plus ou moins fortement recours à l'hospitalisation sans consentement : « Ma recherche me montre le contraste des situations. Les familles ne sont pas décisionnaires, ce sont régulièrement les services qui font appel à elles pour signer une hospitalisation sur demande d'un tiers. Lorsqu'elles sont demandeuses, elles peinent souvent à obtenir une première hospitalisation et doivent parfois tout organiser elles-mêmes. Il arrive qu'elles soient perçues comme hostiles par les soignants. Le problème de la tension entre soin et liberté est complexe. Les garanties posées par la loi contre les hospitalisations abusives sont décrites comme gênant l'accès au soin, mais le recours important aux procédures d'urgence montre des formes de contournement de la loi. D'un lieu à l'autre, on s'organise différemment, en ayant éventuellement recours à la signature de l'assistante sociale en l'absence de proche. La différence joue aussi sur la possibilité que les équipes se donnent, en amont, de rendre visite à domicile aux patients pour dénouer certaines situations. Certaines exigent que le patient se déplace et manifeste ainsi une demande, ce qui est paradoxal en cas de déni des troubles. »

témoignage

LA PRISON POUR RÉPONSE

« Il n'y a pas d'internement abusif en France, mais beaucoup de patients sont laissés sans soins parce que la loi n'est pas fonctionnelle, estime Gérard Dubret, chef de service et responsable du pôle psychiatrie de l'hôpital général de Pontoise. Pour ces patients laissés à la rue, leurs éventuels troubles du comportement sont interprétés comme autant de crimes ou de délits qui vont les conduire en prison. Par un effet pervers, plus l'offre de soins psychiatriques est importante en prison et plus la tendance à incarcérer des malades mentaux s'accentue. L'État a ouvert 700 places d'unités hospitalières pour soigner des détenus (UHSA) plutôt que de renforcer l'offre de soins de la psychiatrie publique, par exemple en augmentant les capacités d'accueil des unités pour malades difficiles ou en créant des unités de soins intensifs susceptibles de répondre aux comportements passagèrement violents liés à certaines pathologies. On apporte des réponses politiques aux angoisses sécuritaires de la population, qui a du mal à admettre que les personnes malades soient déclarées irresponsables. » L'irresponsabilité pénale a fortement diminué depuis 1970 (environ 5 % des criminels) pour se stabiliser à environ 0,5 % vers la moitié des années 1980. Le phénomène est encore plus criant dans les cours d'assises, où l'irresponsabilité représentait 16 % des cas au début des années 1980 et seulement 0,17 % en 1997.

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