Madame X fait des pieds et des mains - L'Infirmière Magazine n° 242 du 01/10/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 242 du 01/10/2008

 

Vous

Vécu

Il était une fois un service de chimiothérapie ambulatoire. Il y faisait bon vivre : des infirmiers motivés, des médecins disponibles, une cadre expérimentée, et bien sûr des patients, tantôt rieurs, tantôt inquiets, tantôt complices, tantôt désabusés. Des jours tranquilles se suivaient, au fil des perfusions et transfusions.

Effet secondaire

Et un beau matin de janvier 2008, ce petit monde vit arriver l'équipe des infirmiers « Plaies et cicatrisations », faisant sonner trompettes et tambours : ils avaient une idée nouvelle. Tout l'établissement connaissait leur bip par coeur, les appelant à la rescousse dès qu'un écoulement suspect ou une rougeur obstinée apparaissait. Je tiens d'ores et déjà à mentionner l'efficacité et la compétence dont font preuve les membres de cette équipe, formés, pédagogues, attentifs.

Ce matin-là, cette fameuse idée a commencé à prendre forme infirmière. De nombreux patients sous chimiothérapie sont confrontés à un effet secondaire appelé l'érythrodysesthésie palmo-plantaire. À vos souhaits ! Afin de ménager les palais délicats et les dyslexiques, il est également connu sous le nom de « syndrome mains-pieds », ou plus vulgairement « SMP ». Imaginez vos paumes et plantes s'échauffer, se rougir, se durcir, se craqueler, se fissurer, se desquamer, et des plaies apparaître. Ce syndrome se présente le plus souvent lors de la prise d'une chimiothérapie orale appelée Xeloda (je l'avoue, j'aurais entendu ce mot il y a quelques années, j'aurais imaginé un animal terrifiant tout droit sorti de la mythologie grecque).

Le traquer et le débusquer se révélait digne d'un scénario à la Harlan Coben. Qui ? Où ? Comment ? Quand ? Pourquoi ? Bien difficile de dresser un tableau complet du principal suspect : lors des consultations médicales, les oncologues ne peuvent pas forcément y prêter toute l'attention qu'il mérite, et lors des séances de chimiothérapie, les infirmiers ne peuvent qu'acquiescer platement d'un « Ah oui, c'est un effet bien connu ! ».

Merci la prescription !

Dans ce contexte, nos chevaliers blancs des plaies et cicatrisations proposèrent un outil de suivi supposé simple et efficace : des infirmiers formés consulteraient des patients compliants. Nous pouvons depuis peu prescrire du matériel de pansement ? Banco. Pourquoi ne pas faire d'un rouleau d'Hypafix deux bandes : autonomiser les infirmiers et mieux soutenir et accompagner les patients confrontés au redoutable SMP.

Je précise la double démarche de cette recherche : faire un recensement de l'apparition et l'évolution du syndrome, et mettre en oeuvre un programme de soins aux patients. C'est ainsi que l'équipe de l'hôpital de jour vit arriver ce projet, né tout fraîchement, encore rose et babillant.

Secret des dieux

Il est décidé qu'une infirmière sera dégagée du reste de l'activité et effectuera les consultations. Elle est nommé d'un commun accord « Madame X », en référence à Xeloda le Terrible. « À partir de janvier, minimum dix infirmiers par jour, au lieu de neuf », telle fut la première information que reçut l'équipe. Sans que l'effectif total n'augmente.

Il restait à former une foule de Madame X, mettre en place les outils de suivi qui feraient le lien entre les paumes et les plantes des patients et le bureau de biostatistique de l'hôpital, chargé de recueillir les données de l'étude sur Xeloda la Terreur.

Deux infirmières de l'hôpital de jour pénètrent alors dans le secret des dieux des « plaies et cicatrisations » et de la biostatistique. Une auréole trônera dorénavant sur leur front : elles seront référentes de la très officielle consultation Xeloda.

Après les premières semaines, arriva une période de doute. L'incertitude régnait sur le service :

« Où sont Machine et Machinette ?

- Elles font leurs trucs Xeloda. »

Les infirmiers (moi la première) devinrent alors complètement bipolaires : ces « trucs » emmerdaient tout le monde parce qu'il manquait des collègues au soin, mais une part de mystère et de respect planait autour d'eux.

« Ah oui, zut... »

Petit à petit, le bébé a commencé à prendre son envol, nourri et élevé par ses deux supers mamans tueuses de syndrome mains-pieds. Un agenda lui fut dédié, ainsi qu'un chariot. Les outils de l'enquête firent leur apparition, le laboratoire du médicament fournit moult carnets de suivi destinés aux patients. Et enfin, les eaux du fleuve cancer s'écartèrent pour laisser traverser les malades. Au compte-gouttes d'abord, puis de plus en plus nombreux.

Et Madame X dans tout ça ? Elle aurait bien eu besoin de sels de lithium pour stabiliser son humeur. Ses traits variaient d'un jour à l'autre, selon l'infirmière qui l'incarnait. « Tout le monde sera formé, chacun deviendra tireur d'élite de SMP », avait-on dit. Problème : tout le monde n'avait pas la même portée de tir. Les motivations variaient, les connaissances ne s'harmonisaient pas toujours et un curieux sentiment de « Ah oui, c'est vrai, zut, je suis Xeloda », fleurissait au gré de l'humeur des Madame X.

Ce qui devait être une opération visant à valoriser le travail des infirmiers et améliorer le vécu du patient a en réalité été un véritable zoom triple objectif révélant les différents comportements au sein d'une équipe.

Former ses collègues ? Oui, mais quand la motivation n'est pas palpable, « bon dieu, bougez-vous un peu ! », avaient envie de marteler les deux « super Madame X ». Acquérir de nouvelles connaissances ? « Oui, mais pas quand le suivi des patients est aussi flou (parfois plusieurs mois entre deux rendez-vous lorsqu'il n'y a pas d'effet secondaire) et que la paperasse prend la moitié du temps de la consultation », répondaient les autres infirmiers.

Alors sur quel pied avancer ? Pourquoi devoir utiliser les forceps pour accoucher d'une motivation infirmière commune à toute une équipe ? L'incompréhension était parfois de mise, les « trucs Xeloda » restaient mystérieux et les infirmiers les moins enthousiastes ne l'étaient pas davantage. Et pourtant les consultations se multipliaient, les fameux syndromes fleurissaient, et peu à peu se concrétisait la perspective bouillonnante d'un travail de connaissances autres que celles de médecins et de prescriptions infirmières.

Il devint évident aux yeux des deux « mamans super X » que la portée de leur tir allait devoir être recalculée. Elles ont dû se remettre en question, car une marche forcée ne servait à rien. Remotiver les troupes devait forcément passer par « avoir des troupes déjà motivées » avant même le début de la chasse au SMP. Elles sélectionnèrent les combattants les plus hargneux, laissant le soin au reste de l'équipe de mener d'autres croisades.

Fidélisation

Ces derniers mois, Madame X se porte de mieux en mieux. Aux dernières nouvelles, ses visages sont moins nombreux et plus fidèles. Elle examine, évalue, prend rendez-vous, se perd toujours un peu dans les papiers, va souvent demander l'avis d'une des deux mamans ou des chevaliers « Plaies et cicatrisation ».

Ses prescriptions se multiplient, ses connaissances s'élargissent au fil des jours (mais qui aurait pu deviner que les connaissances sur les pansements et les crèmes prendraient une telle part dans la consultation ?). Elle est très fière lorsque son nom et sa signature (la vraie !) apparaissent en haut de l'ordonnance, lorsque le patient la rappelle, elle, pour lui proclamer pompeusement que c'est la première fois qu'il prend aussi bien ses médicaments et qu'il soigne ses pieds. Et plus que tout, lorsque le pansement hydro-cellulo-machin-chose qu'elle s'est risquée à prescrire de son propre chef panse les plaies et les angoisses.

Petit lait

C'est cette soif de (re)connaissance, de décision et de savoir que la consultation Xeloda a éveillé chez toutes les Madame X. Elles boivent désormais du lait relipidiant en trinquant avec leurs patients autour d'une prescription signée de leur propre nom. Il ne tient qu'à nous de découvrir de nouveaux défis, les faire partager, les appliquer, d'éclairer d'une autre lueur notre profession. Si un jour, un autre genre de Madame X se présente à vous, soyez cool... Accueillez-la avec un grand A.