Une gadji engagée - L'Infirmière Magazine n° 242 du 01/10/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 242 du 01/10/2008

 

Emmanuelle Cazottes

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Rencontre avec

Infirmière détachée du CHU de Toulouse, Emmanuelle Cazottes parcourt les terrains à la rencontre des gens du voyage. Éducation à la santé, prévention et suivi sanitaire constituent la majeure partie de son activité.

Ce matin, elle a enfilé un jean bleu, un gros pull et mis de solides chaussures de marche. Emmanuelle Cazottes ne se laisse plus surprendre par la poussière et la boue qui encombrent les terrains des gens du voyage les jours de pluie. Depuis février 2008, cette jeune IDE, âgée de 29 ans, est détachée à plein temps par le CHU de Toulouse auprès du Comité de coordination pour la promotion et en solidarité des communautés en difficulté.

«Besoin d'air »

Gitans, Roms, manouches mais aussi migrants ou demandeurs d'asile : depuis plus de trente ans, l'association (financée par le conseil général et la mairie de Toulouse) leur apporte un soutien quotidien, tant dans leurs démarches administratives (demande du revenu minimum d'insertion ou de la couverture maladie universelle) que dans leurs besoins sanitaires courants. En France, les gens du voyage seraient près de 400 000, dont 5 000 dans la seule agglomération toulousaine.

Au siège de l'association, tout le monde connaît Emmanuelle Cazottes. Un bureau a même été mis à sa disposition, mais elle n'y vient pas souvent : « Je passe le plus clair de mon temps sur le terrain. » C'est d'ailleurs parce qu'elle avait « besoin d'air » qu'elle a posé sa candidature pour un remplacement d'IDE auprès du Comité de coordination pour la promotion et en solidarité des communautés en difficulté. Après quatre ans passés au service des urgences du CHU de Versailles (Yvelines), elle ressentait le besoin d'avoir une activité plus en accord avec sa fibre humanitaire. « Je ne connaissais pas particulièrement la communauté des gens du voyage. Mais quand on m'a proposé ce poste, j'ai aussitôt accepté », se souvient-elle.

Premier contact ardu

Ce matin, elle doit se rendre sur le terrain d'accueil de Ruppé, l'un des campements les plus précaires de l'agglomération toulousaine, où vivent une dizaine de familles roms installées dans des caravanes. Des enfants jouent à même le sol, des femmes de tous âges préparent la cuisine en plein air, des voitures sont prêtes à partir à la casse et un préfabriqué abrite des sanitaires communs... « Les Roms sont encore plus marginalisés que les Gitans donc au début, j'ai eu beaucoup de mal à entrer en contact avec eux, explique-t-elle. J'étais la gadji qui débarquait mais j'ai peu à peu gagné leur confiance. Et maintenant, ils viennent me parler spontanément. »

Dés l'arrivée d'Emmanuelle, un groupe de femmes se forme autour d'elle. L'accueil est chaleureux. L'une d'elle, âgée d'une trentaine d'années, visage brun et quelques dents en or, lui demande comment obtenir la carte Vitale. Emmanuelle répond en espagnol : « Il faut que tu leur envoies une photocopie de ta pièce d'identité. Je sais que c'est ennuyeux, mais c'est l'administration et tu ne peux pas faire autrement. » Emmanuelle consacre une part de son temps à informer les gens du voyage sur la façon dont ils peuvent obtenir les différentes aides de l'État. « Certains travaillent comme peintres en bâtiments ou comme maçons, mais beaucoup vivent du RMI. »

Invasion de rats

Une mère portant un bébé s'approche. « Est-ce que vous l'avez fait vacciner ? », demande l'infirmière. Réponse négative. Elle insiste : « C'est très important ! Vous serez là vendredi ? » Emmanuelle a essayé à plusieurs reprises d'emmener le bébé au centre de PMI, mais chaque fois qu'elle venait sur le terrain, la mère et l'enfant n'y étaient pas. « Ils vivent au jour le jour et se déplacent beaucoup. C'est impossible de prévoir quoi que ce soit ! En plus, ils n'ont pas vraiment compris l'intérêt de la vaccination. »

Une heure plus tard, elle part pour le terrain de La Mounède. Ici, pas de terre ou de graviers au sol, mais du béton : une vingtaine de caravanes sont stationnées sur un parking. Une femme se plaint de l'invasion du terrain par les rats : « Tous les matins, nous devons les chasser. » Sur ce point, Emmanuelle n'est pas compétente, mais elle s'assure que la municipalité a bien été prévenue car ces mauvaises conditions d'hygiène provoquent beaucoup de maladies. L'hépatite B est particulièrement fréquente, et il n'est pas facile d'y remédier : pour des raisons culturelles, les gens du voyage refusent systématiquement la biopsie.

Même chose pour les greffes. « J'ai notamment eu le cas d'un enfant de deux ans qui s'était accidentellement brûlé avec de l'huile bouillante. La famille a refusé la greffe. » Majoritairement catholiques, les Roms s'en remettent souvent à Dieu pour régler les problèmes du quotidien : « Ils estiment que c'est Lui qui décide de tout. »

Si les soins ne représentent pas une part importante de son activité, Emmanuelle assure que ça ne lui manque pas. Son travail consiste donc essentiellement à faire de l'éducation à la santé et de la prévention, notamment en matière d'addictions (drogues, tabac, alcool) et d'hygiène alimentaire. Nourriture grasse, alimentation déséquilibrée, sédentarité : les gens du voyage sont nombreux à souffrir d'obésité ou de diabète. Avec des mots simples, elle leur explique l'importance de prendre trois repas par jour, de varier les apports alimentaires ou de réduire l'utilisation de matières grasses. « Les enfants mangent beaucoup de sucreries, leurs dents pourrissent. J'en ai récemment accompagné un au CHU : il n'avait plus qu'une dent saine sur trente-deux ! » Au CHU de Toulouse, une permanence d'accès aux soins de santé (Pass) accueille les gens du voyage. Ce service médico-psycho-social reçoit sans rendez-vous les populations les plus démunies et Emmanuelle consacre une partie de son temps à les y accompagner. « J'aide à faire le lien entre deux mondes. Quand je vais à l'hôpital, je traduis les termes médicaux dans un langage simple. »

« Ton corps t'appartient »

Dans le courant de l'après-midi, elle retourne sur le terrain de Ruppé, où elle a rendez-vous avec une sage-femme travaillant pour le conseil général de la Haute-Garonne. Marie-Pierre Davasse est venue examiner une jeune fille de 13 ans, enceinte de vingt-trois semaines et qui n'a encore jamais vu de médecin. « Je ne peux pas imaginer mon travail sans celui d'Emmanuelle, explique-t-elle. C'est elle qui m'introduit sur les campements et qui connaît les gens. » Cette fois-ci, le cas est assez grave. Emmanuelle et Marie-Pierre s'interrogent sur la nécessité d'un signalement à l'Aide sociale à l'enfance. « On ne peut pas prendre le risque de retrouver un nourrisson mort trois jours après sa naissance. »

Malheureusement, la jeune fille n'est pas là. Ces imprévus font partie du quotidien d'Emmanuelle. Les deux femmes décident alors de revenir la semaine prochaine. Contraception, maladies sexuellement transmissibles... la prévention en matière de sexualité est un domaine qui passionne la jeune IDE, bien qu'il soit difficile d'en parler avec les jeunes femmes. « En général, elles ont beaucoup d'enfants mais j'essaie de leur faire comprendre qu'elles peuvent en avoir moins si elles le souhaitent, que leur corps leur appartient. »

Accessible et ferme

Le parcours continue dans trois « cités » - les Chênes, Picarel et Saint Martin - où les gens du voyage vivent dans des lotissements en dur construits par la municipalité. Chacune abrite un centre social avec une garderie, des permanences d'écrivain public... Jusqu'au soir, Emmanuelle y poursuit son travail, entre information sur la santé et aide administrative. Parfois, elle se charge aussi de prendre des rendez-vous téléphoniques pour des personnes ne maîtrisant pas suffisamment le français pour se faire comprendre des secrétariats médicaux.

« Ouverture d'esprit, patience et humilité » sont donc des qualités essentielles à sa pratique professionnelle. Elle a appris à être accessible tout en restant ferme et estime qu'il est essentiel de ne pas juger : « Il faut respecter l'autre et comprendre qu'on ne peut pas le changer radicalement. J'essaie juste de leur apprendre les règles de la vie en société. » Mais son activité auprès des gens du voyage lui a surtout permis de confronter ses a priori et la réalité : « Comme partout, il y a des voyous et des gens qui ont vraiment envie de s'en sortir. Malheureusement, c'est compliqué : ils nous rejettent, mais nous avons aussi contribué à les marginaliser. »

moments clés

- 2002 : obtient son diplôme d'État à Toulouse.

- 2003 : travaille au service de dialyse du CHU de Toulouse.

- 2004 : exerce aux urgences du centre hospitalier de Versailles.

- 2008 : depuis février, infirmière détachée du CHU de Toulouse auprès des gens du voyage.