Brancards et cheveux blancs - L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008

 

les urgences de l'Hôtel-Dieu

24 heures avec

Chutes, démence, alcool, maladies chroniques : voici quelques-uns des maux qui poussent les personnes âgées à se rendre au service des urgences de l'Hôtel-Dieu, à Paris.

Il est 8h30. Delphine Cantin, médecin urgentiste de garde la nuit, passe le relais à l'ensemble de l'équipe médicale de jour. Entrées, sorties, traitements et examens prescrits, patients à problèmes... Les dossiers des patients de chacun des boxes des urgences ainsi que de ceux hospitalisés dans l'unité d'observation sont passés en revue. Dans le box n°2, madame Monnier (1), environ 70 ans, gémit, les mains croisées sur la poitrine. Ce n'est pas la première fois qu'elle se rend aux urgences de l'Hôtel-Dieu. Elle est convaincue que son corps fait le rejet de la moelle qui lui a été greffée il y a peu, pour soigner une leucémie. Virginie Cornille, infirmière depuis un an aux urgences, lui prélève un échantillon sanguin afin de procéder à des examens plus approfondis.

Il est à peine 9 heures. Pourtant, l'équipe paramédicale du matin a déjà pris le relais de l'équipe de nuit depuis deux heures. Une femme âgée, italienne, est allongée dans un brancard dans le box n°3. Son fils qui travaille à Paris sert d'interprète. Elle est tombée dans les escaliers, a eu des vomissements et est restée désorientée pendant un long moment. Après un examen clinique minutieux, le Dr Thomas Jactat demande un scanner. Pendant ce temps, dans le bureau médical et infirmier, Nathalie Kosedag, infirmière, répond au téléphone et gère sur écran le suivi des patients.

Santé, justice, police...

Dès qu'un box se libère, un patient interrogé et « évalué » au préalable par l'infirmière d'accueil et d'orientation (IAO) vient prendre sa place. L'ordre de passage des patients ne correspond pas à leur heure d'arrivée aux urgences, mais au degré d'urgence présenté par le patient et attribué par l'IAO dès son arrivée. Les urgences de l'Hôtel-Dieu regroupent les urgences médico-chirurgicales (unité d'accueil et unité d'observation), les urgences médico-judiciaires (UMJ), ainsi que la salle d'hospitalisation médico-carcérale, le Smur et les centres de rétention adminisitrative (CRA).

« Trois mondes se côtoient ici : la santé, la justice et la police, explique Claire Maillard-Acker, cadre de santé. Il me faut environ deux heures pour faire ma tournée chaque jour. Il faut contrôler le nouveau matériel, vérifier les stocks, notamment de stupéfiants, régler les problèmes administratifs, faire le point avec le nouveau personnel sur les formations, gérer les plannings... L'équipe paramédicale compte en tout une soixantaine d'infirmiers et une trentaine d'aides-soignants, ce qui est très juste au regard de l'ensemble des services au sein desquels ils sont répartis chaque jour (UMC, UMJ, salle médico-carcérale, Smur et CRA). C'est une équipe de soignants à très forte personnalité. Ils doivent être carrés, tout en sachant entendre les difficultés et la détresse des personnes que nous accueillons. Gérer une équipe de choc pareille n'est pas forcément évident pour le cadre. Mais c'est aussi cela qui rend notre travail intéressant ! », commente Claire Maillard-Acker.

Service qualité

« L'une des spécificités de notre service des urgences est d'être basé sur le service qualité, renchérit Jean-Louis Pourriat, chef de service. Nous avons établi 105 "recommandations qualité" qui vont de la qualité de l'accueil à l'attente aux urgences, en passant par l'hygiène, la bonne orientation du patient, etc. Nous possédons aussi un outil expérimental de dépistage et d'alerte sanitaire unique en France, permettant d'anticiper des événements tels qu'une canicule, et capable de déclencher une alerte sanitaire. Autre particularité qui a trait à notre emplacement face au Palais de Justice, notre service comporte deux unités d'orientation : les urgences médico-chirurgicales (UMC) qui représentent 130 à 140 passages journaliers en moyenne avec une capacité de douze lits, et les urgences médico-judiciaires (UMJ), qui comptent 140 à 150 passages par jour, avec une capacité de neuf lits. Depuis une quinzaine d'années, le volume des passages aux urgences a augmenté. L'alcoolisme commence plus tôt, et nous recevons plus de personnes vivant dans la précarité. » « Les urgences, c'est un peu là où atterrissent tous les cas non réglés de la société, décrit pour sa part Claire Maillard-Acker. Le service est le reflet de la société et de sa marge : les personnes désocialisées, les migrants, les toxicomanes. »

« Trou noir »

Dix heures, à l'unité d'observation. Aide-soignant, Francis Alonzeau fait la toilette de monsieur Dupont, hémiplégique, amputé à cause d'une complication de son diabète. « J'ai des douleurs neurologiques, j'ai mal partout », dit-il à Francis. Julie Desfontaines, infirmière, dispense des soins à ce patient âgé.

Dans la chambre d'à côté, monsieur Gabriloff, sous oxygène, a appelé le Samu dans la nuit car il a cru s'étouffer. Sous surveillance depuis son arrivée, il attend les résultats des différents bilans. « Je trouve l'équipe d'infirmiers et de médecins très bien, confie-t-il. Ils m'ont réanimé en 2006. J'ai eu un arrêt vasculaire cérébral alors que j'étais au beau milieu d'une compétition de bridge. Je me souviens d'avoir tout à coup perdu la vue d'un oeil, puis de l'autre. La seconde suivante, je n'entendais plus rien. Ensuite plus rien, c'est le trou noir. » Le médecin, Jean-François Vigneau, vient l'examiner pour s'assurer qu'il peut rentrer chez lui. Cela ne rassure pas monsieur Gabriloff : « Comme je vis seul, j'ai un peu la trouille de rentrer chez moi, de ne plus pouvoir respirer et de m'étouffer. »

Psychiatre rassurant

Midi. Dans le couloir, allongée sur un brancard, une patiente âgée délirante, animée de tendances suicidaires depuis la mort de son mari l'année passée, interpelle patients et soignants, et somme Jacques Chirac de venir tout de suite la secourir. Le docteur Mahmoudia, coordinateur des urgences psychiatriques de l'Hôtel-Dieu, la connaît. « Je suis là depuis vingt ans. Ici, on soigne le peuple, les vieux, les pauvres, les alcooliques... L'équipe des urgences m'appelle en cas de crise suicidaire, de troubles du comportement, d'errance ou d'agitation. Dans des cas comme ceux-là, nous gardons les patients à l'unité d'observation pendant vingt-quatre heures, jusqu'à ce qu'ils soient identifiés et stabilisés. »

« Les urgences me permettent de voir autre chose que des pathologies uniquement psychiatriques, poursuit-il. Et puis le fait que les urgentistes sachent qu'un psychiatre est présent les rassure. Eux ne me rassurent pas, mais bon ! plaisante-t-il. Ils m'appellent dès qu'un patient paraît confus, agité, agressif, et qu'il pourrait présenter une pathologie psychiatrique. J'espère apporter une certaine sérénité à l'équipe, pour aider à mieux travailler tous ensemble. » Une discussion avec la patiente lui permet d'évaluer son état et de demander des examens complémentaires.

Mélange des genres

Dans la salle de déchocage, Madame Dumont, 87 ans, est perfusée. L'équipe, qui va lui enlever un abcès dans quelques heures, est affairée autour d'elle. Au bord du malaise, elle est venue aux urgences après avoir eu une forte fièvre pendant vingt-quatre heures. Dans la même salle, un homme menotté, surveillé par des policiers qui sont restés dans le couloir, attend d'être reçu par l'équipe médicale. Il vient d'une maison d'arrêt où il a reçu le matin même un coup de couteau dans le dos, lors d'une rixe entre détenus qui a mal tourné.

À 14h15, c'est la réunion de transmission paramédicale entre l'équipe du matin et celle de l'après-midi. Avant de passer l'ensemble des patients en revue, une discussion s'engage à propos des gestes à respecter lors de la pose d'une perfusion dans l'urgence.

15 heures. Monsieur Shawa, 82 ans, allongé dans un brancard à l'accueil des urgences, sourit faiblement. Sa femme, assise juste à côté, ne le quitte pas de ses yeux soulignés de khôl. Reçu par l'infirmière d'accueil et d'orientation (IAO), il répond du bout des lèvres qu'il n'a pas pu se lever pour aller travailler ce matin et qu'il était déjà au plus mal la veille au soir chez lui. Cardiaque, diabétique, il énumère une batterie de médicaments qu'il prend régulièrement pour soulager ses différents maux. Sa femme a apporté les derniers bilans qu'il a effectués, et les tend à l'infirmière.

Éméché et mal luné

Dans une odeur saturée d'alcool et d'urine, le Dr Francesco Campedelli, interne, ausculte un vieux monsieur, très alcoolisé, tout en l'interrogeant. En dégrisement dans le box n°5 depuis quelque temps déjà, monsieur Gomez, un peu dur d'oreille, a du mal à se souvenir de ce qu'il a bu. Il est tombé sur le trottoir. À part ça, il ne sait plus. Francesco Campedelli élève un peu la voix pour se faire entendre, et lui demande de faire quelques pas. Le patient se lève dans un effort colossal et aligne finalement trois petits pas en rouspétant. Il ne sera pas hospitalisé.

Pendant ce temps, Perrine Boursin, infirmière et aujourd'hui affectée au poste d'IAO (toutes les infirmières du service ont suivi la formation d'accueil et d'orientation) examine Mme Delamare, 81 ans, qui a trébuché dans la rue et fait une mauvaise chute mécanique. Après la prise de tension et de la température, l'infirmière lui pose quelques questions sur ses traitements en cours, s'enquiert de ses éventuels problèmes de santé. Les réponses de madame Delamare sont ponctuées de soupirs. Elle est déjà lasse d'être aux urgences. Accompagnée par sa soeur, elle veut rentrer chez elle. Une bonne heure plus tard, le Dr Sylvie Hatoka va lui faire quelques points de suture.

Les patients continuent à arriver. Deux jeunes gens sont assis dans la salle d'accueil. L'un a reçu un coup au visage, l'autre l'accompagne. Une jeune femme s'est évanouie dans la rue. Cette touriste, enceinte de huit mois, a mal au coeur et peur pour son enfant à naître.

Juste à temps

Un vieux monsieur arrive seul. Il marche difficilement. Courbé dans une position antalgique, très pâle et essoufflé, il se présente à l'accueil. Perrine Boursin, qui l'a vu arriver, le reçoit immédiatement. Elle a déjà repéré chez lui des signes qui l'inquiètent. C'est une urgence vitale. Une heure plus tard, c'était l'infarctus.

1- Les noms de tous les patients ont été modifiés pour garantir leur anonymat.