« Des mixés plus savoureux » - L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008

 

Alimentation

Questions à

Refus alimentaire, dénutrition, troubles du comportement... Comment remédier à ces problèmes en Ehpad ? Celui de Piriac-sur-Mer a parié sur les textures modifiées.

Dans l'Ehpad que vous dirigez, comment a émergé le besoin de proposer un mode d'alimentation différent à certains résidents ?

Nous sommes confrontés, comme ailleurs, à des phénomènes chroniques de dénutrition et de troubles du comportement chez les résidents. Les difficultés de déglutition, l'altération du goût et de l'odorat, un état dépressif et un mauvais état bucco-dentaire favorisent cette dénutrition, laquelle met toujours en danger la personne âgée : après 80 ans, la dénutrition multiplie par quatre le risque de mortalité dans l'année qui suit une hospitalisation.

Pour les résidents atteints par la maladie d'Alzheimer s'ajoutent des troubles du comportement, comme la désorientation spatio-temporelle, les troubles moteurs et mnésiques. Tout cela a un impact fort sur leur façon de s'alimenter. D'autre part, le refus alimentaire met le personnel dans le désarroi. Les familles vivent une situation angoissante, voyant leur proche décliner progressivement, sans pouvoir infléchir cette évolution. Nous avons voulu casser ce schéma.

Dans un Ehpad classique, différentes textures sont pourtant habituellement proposées...

C'est vrai. Dans nos structures, nous connaissons principalement le coupé menu, le haché, le mixé, le semi-liquide et le liquide. Nous nous sommes intéressés à une nouvelle formule de mixés mise en place en mars 2007. Le terme de « textures modifiées » désigne des aliments dont la texture a été transformée pour s'adapter aux capacités de mastication et de déglutition des convives.

Jusqu'alors, les mixés proposés étaient jugés peu appétissants, tant par les résidents capables de s'exprimer que par les familles et les équipes. Si le personnel est réservé et qu'il affiche un certain dégoût envers ce qui est servi, le résident le ressent. Nous nous sommes donc efforcés d'améliorer les prestations fournies à nos résidents lors des repas.

Que leur servez-vous désormais ?

Avec le prestataire choisi à l'occasion d'une nouvelle consultation, nous avons travaillé pour proposer des mixés plus attractifs, plus goûteux, faciles à manger, pour retrouver le plaisir de manger seul. Les textures sont molles, donc facilement mangeables à la petite cuillère, voire avec les doigts ; la vaisselle est adaptée, avec des assiettes à bord recourbé. Les produits servis en mixés sont les mêmes que ceux cuisinés de manière classique.

Ainsi, 90 % des menus sont déclinables en mixés. Le demi-pomelo devient un bavarois de pomelo, une andouille une ballottine d'andouillettes, le petit salé est transformé en mousseline... Dans cette façon de cuisiner les mixés, on retrouve par exemple le côté fibreux de la viande, ce que l'on ne retrouve pas en général dans un mixé. Viandes et poissons sont recuisinés. On y ajoute des aliments (crème fraîche, oeufs, fromage) qui vont les rendre appétissants, puis ils sont remis en texture. Les légumes sont présentés séparément, pour copier au mieux les repas classiques.

Ce changement n'a pas pu s'opérer du jour au lendemain...

Il a fallu convaincre ! Les administrateurs de l'établissement ne voyaient pas forcément l'intérêt de modifier notre organisation pour quelques résidents. Alors, pour le repas annuel offert à ces administrateurs, tout a été préparé selon le nouveau process. Y compris aux résidents.

Les familles étaient également réticentes au départ. Elles nous reprochent souvent la situation de dénutrition mais sont plutôt rétives au changement. Nous les avons donc invitées à découvrir les nouveaux aliments au cours de deux repas. Très peu se sont déplacées, mais celles qui étaient présentes ont été agréablement surprises du résultat. Enfin, j'ai moi-même expérimenté ce type de cuisine pendant un mois. Cela m'a permis de mieux connaître les saveurs, et de réfléchir à la manière de faire évoluer le produit. J'ai pu également prendre conscience de ses limites.

Quel a été l'impact sur la santé des résidents ?

Au départ, nous avons retenu quinze résidents. Aujourd'hui, ils sont vingt-deux à bénéficier de ce service, dont quatorze sont hébergés dans les unités Cantou, réservées aux malades d'Alzheimer (1). Pour certains, les mixés ont permis de limiter la perte de poids. Chez d'autres, il y a eu reprise de poids, jusqu'à 8,8 kilos en un an pour un résident grabataire. Ils ont gagné en autonomie, et nous avons pu rassurer les familles. Le bilan est extrêmement positif, pour un investissement minime : 6 000 euros, alors que notre budget d'alimentation total s'élève à 240 000 euros.

1- Cantou : Centre d'activités naturelles tirées d'occupations utiles. L'établissement compte deux de ces unités, qui accueillent chacune 23 personnes.

Florence Berbudeau Directrice d'Ehpad

Désireuse à l'origine de devenir directrice d'hôpital, Florence Berbudeau a opté pour l'univers des maisons de retraite à l'issue d'un DESS Management des entreprises du secteur de la santé. Depuis huit ans, elle dirige l'Ehpad de Piriac-sur-Mer (Loire-Atlantique), qui héberge 88 personnes.