Fou de la rampe - L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008

 

Marc Frémondière

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Côté ville, Marc Frémondière, 40 ans, est infirmier dans le service des maladies infectieuses de l'hôpital Tenon, à Paris. Côté scène, il se consacre depuis dix ans à la compagnie théâtrale gay Les Caramels fous.

La perruque en pétard semée de mèches vert pomme et vêtu de haillons, il a surgi sur scène comme un Zébulon. Ils forment avec lui un petit groupe qui gesticule avec énergie, exécutant des mouvements élastiques. Ce soir-là, Marc Frémondière est un « glups »... un « gentil lutin pinosylvestre », selon le livret de Michel Heim. Plus tard, coiffé d'une perruque de marquise en forme de pièce montée, il jouera aussi une courtisane. Ce sont quelques-uns des personnages de La Bête au bois dormant, comédie chantée et enchantée, interprétée par Les Caramels fous (1).

Autour de Marc, une trentaine d'hommes chantent et dansent sur la scène du théâtre Le Trianon, à Paris, la scène fétiche de la compagnie. Ce sont tous des bénévoles, entourés de professionnels du théâtre à la chorégraphie, la technique, la direction musicale ou l'accompagnement. Le fonctionnement est le même depuis vingt-cinq ans. À l'époque, quelques passionnés s'étaient rassemblés autour d'un projet de chorale. La formation est devenue une compagnie théâtrale reconnue pour ses comédies musicales et saluée par une nomination aux Molière en 2006.

Les spectacles sont créés à partir de chansons détournées, autour d'un livret plein d'humour et de piquant, aux résonances très actuelles. C'est ainsi que La Bête au bois dormant, reprise de la compagnie, fut (très) librement adaptée de la Belle du même nom. Elle se termine sur le mariage de deux garçons : « C'est notre fonds de commerce, mais nous ne sommes pas renfermés sur nous-mêmes, explique Marc Frémondière. Nous essayons simplement de montrer nos différences et de les faire accepter. Ainsi, nous drainons un public varié, car nos spectacles parlent à tout le monde et prônent une tolérance universelle. »

Du chant et de la danse

Marc est entré dans la compagnie en septembre 1999. Il était alors préparateur en pharmacie à l'hôpital Saint-Louis, dispensant notamment des antirétroviraux. « Là, j'ai connu un garçon qui faisait partie des Caramels. Nous avons sympathisé, il m'a proposé d'assister à une répétition. » Attiré par le théâtre (mais sa dernière expérience remontait au lycée) et par le chant (mais la chorale classique n'était pas ce qui l'amusait le plus), Marc dit avoir trouvé là quelque chose de différent, alliant chant et danse. Après un temps d'observation, il est invité à cotiser et à rejoindre les Caramels. « Je ne suis pas communautariste. Je n'ai jamais été activiste des associations et je considère qu'une personne ne se résume pas à sa sexualité. Mais faire partie des Caramels fous m'a donné une forme de visibilité que je n'aurais pas pu obtenir autrement. Et m'a certainement aidé à vivre mieux le fait d'être homosexuel, en ce sens qu'on est reconnu, aussi bien pour notre travail qu'en tant qu'individus. »

Infirmier sur le tard

S'il est rapidement intégré, Marc ne s'essaie pas tout de suite à la comédie. Il participe à son premier spectacle en tant que régisseur, faute de disponibilité. Car à 32 ans, il a décidé de reprendre des études et de devenir infirmier. Son employeur finance sa formation tout en maintenant son salaire. Entré à l'Ifsi en 2000, il n'a guère de temps libre entre les cours et les stages. Pas plus que lorsqu'il commence à exercer, après avoir trouvé un poste à l'hôpital Tenon. « Je suis un pur produit de l'AP-HP », plaisante-t-il. Au bout de quelques mois, il est affecté en hôpital de jour, au service des maladies infectieuses. VIH, hépatites B et C sont les pathologies les plus fréquentes. Parmi les patients, on compte une importante population homosexuelle et beaucoup de migrants.

Consultation

Marc a choisi de devenir infirmier car il était « frustré » par son travail à la pharmacie : « Je me limitais à donner des boîtes, où était le rapport au patient et à la maladie ? » À l'hôpital de jour, il reçoit désormais les malades en consultation infirmière, analyse avec eux les répercussions de la maladie sur la vie courante, les relations avec autrui, la vie de couple, évalue leur observance aux traitements et ses conséquences. Chaque bilan donne lieu à un accompagnement thérapeutique adapté à la situation de chacun.

« Au cours de mes stages, explique-t-il, je me suis rendu compte que je n'étais pas prêt pour les gens dans les lits. En hôpital de jour, la prise en charge est centrée sur des patients en activité professionnelle, avec des soins relationnels, éducatifs, et c'est davantage mon truc. On voit les gens régulièrement, on arrive à créer des liens. C'est ça qui m'intéresse. » Avec quatre de ses collègues, il anime depuis 2007 un accueil infirmier dont la vocation est de recevoir des patients confrontés à des accidents exposants. En cours d'évaluation, cet accueil se propose de les aider à repérer leurs propres fragilités et les situations à risque (alcool, drogues, etc.).

Le travail est prenant, mais « intéressant » et mené de front avec l'activité intense de la compagnie : « Les Caramels, insiste-t-il, c'est du plaisir, mais c'est plus qu'un loisir. C'est un engagement ! » Pas question de ne s'y consacrer qu'à moitié. Car les efforts réalisés par les membres de l'équipe ne se limitent pas à la vingtaine de représentations données chaque année. Chacun s'occupe de tout : costumes et décors sont réalisés par les Caramels en atelier, les nouveaux spectacles donnent lieu à de grands brainstormings. Tout ceci les mobilise un week-end entier sur trois. Les dates des spectacles sont connues longtemps à l'avance afin que chacun puisse s'organiser en prenant des congés lorsque les représentations s'enchaînent, en région parisienne ou en province. Marc, lui, finit sa journée de travail au plus tard à 18 heures. Les jours de représentation, il prend sa journée pour monter les décors. « Le lendemain, on démonte, on range. Tout cela demande un vrai investissement personnel, avec la récompense de jouer. »

« Les barrières s'effondrent »

Ce jeudi soir, Marc se rend à la répétition hebdomadaire, de 19 à 22 heures. Elle est précédée de temps en temps d'une petite parade dans les rues du Marais, pour distribuer force tracts présentant le prochain spectacle et « mettre un peu d'animation ». La joyeuse troupe file ensuite à la salle de danse mise à disposition des Caramels. La compagnie a ceci d'unique, observe Marc, « qu'elle réunit le cadre sup' d'une boîte d'informatique, un banquier, des infirmiers, un employé au vestiaire d'une piscine... Les barrières sociales s'effondrent ».

La séance débute par un échauffement mené par la chorégraphe Nadine Fety. Une demi-heure d'abdos, d'assouplissements, d'exercices de respiration suivis d'un petit enchaînement. Avant de travailler le chant sous la houlette du directeur musical, Nicolas Kern, et d'entamer le filage d'une reprise, Les Dindes galantes. Marc y interprète la poule Amélie, après avoir joué les enfants de choeur dans Les Aventures de l'archevêque perdu. Il semble déjà jubiler à l'idée de jouer, à partir de juin 2009, dans la prochaine création. Ce sera Madame Mouchabeurre, « l'adaptation bretonne de Madame Butterfly », lance-t-il, sourire en coin. « Faire partie des Caramels est une expérience de vie assez unique, dit-il. Je suis vraiment très heureux de ne pas être passé à côté de ça : cette partie de plaisir, je me l'offre vraiment. »

1- Sur Internet : http://www.lescaramelsfous.com.

moments clés

- 1990 : reçoit son diplôme de préparateur en pharmacie.

- 1992 : est embauché à l'AP-HP, à la pharmacie centrale des hôpitaux puis à l'hôpital Robert-Debré et à Saint-Louis.

- Septembre 1999 : entre comme régisseur chez Les Caramels fous.

- 2000 : s'essaie à la comédie avec un rôle d'enfant de choeur dans Les Aventures de l'archevêque perdu.

- 2000-2003 : suit les cours de l'Ifsi Saint-Antoine.

- Novembre 2003 : obtient son diplôme d'État d'infirmier.

- Depuis 2003 : exerce à l'hôpital de jour du service des maladies infectieuses de l'hôpital Tenon, tout en jouant dans les spectacles des Caramels fous ou en participant à leur préparation.

- 2006-2007 : passe son diplôme universitaire VIH-Hépatites et sexualité.

- 2008 : joue dans La Bête au bois dormant et Les Dindes galantes.