La grippe - L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 243 du 01/11/2008

 

santé publique

Cours

Chaque hiver, en France, le virus grippal provoque une épidémie dont les conséquences peuvent être très graves chez les personnes dites « à risques ». La riposte soignante repose pour l'essentiel sur la surveillance épidémiologique, des diagnostics précis, une vaccination aussi large que possible, le bon usage des antiviraux et la mise en place de mesures barrières à faire respecter par tous, surtout dans les collectivités.

Les virus de la grippe sont des virus à ARN. Il existe trois types de virus grippaux humains : A, B et C. Les virus grippaux sont enveloppés, ce qui les rend sensibles aux détergents et aux solvants des lipides. La surface des virus A et B est hérissée de spicules constitués de deux types de protéines de surface, l'hémagglutinine (notée H) et la neuraminidase (notée N). Ces protéines correspondent aux antigènes externes des virus grippaux. Dans le cas du virus de type C, il n'y a qu'une sorte de spicule qui regroupe les fonctions assurées par les hémagglutinines et neuraminidases des autres virus grippaux.

On désigne les virus de type A par une lettre indiquant le type (A), et par les numéros de sérotype de l'hémagglutinine (H) et de la neuraminidase (N). Exemples : A (H3N2), A (H5N1).

UN VIRUS CAPABLE DE MUTER EN PERMANENCE

Les virus grippaux mutent avec une grande facilité. Trois fois par siècle environ, il se produit une « cassure » (shift), c'est-à-dire un changement radical de la structure des antigènes de surface (surtout l'hémagglutinine) des virus grippaux de type A. L'immunité préexistante à ce changement est sans effet sur le nouveau virus ; en conséquence, plus personne n'ayant d'anticorps protecteurs, toute la population terrestre peut être infectée. Il se produit alors une pandémie : en quelques trimestres, un tiers de la planète peut être infecté par ce nouveau virus de grippe.

Ainsi, le virus de la « grippe espagnole » (H1N1) est apparu vers 1918 et il est resté épidémique jusqu'en 1957. Il a été supplanté par la « grippe asiatique » (H2N2) qui a sévi jusqu'en 1968, année d'apparition de la pandémie de grippe de Hong Kong (H3N2). Pour limiter l'impact de la prochaine pandémie grippale, les États préparent des plans de lutte et font des stocks de produits essentiels (masques protecteurs, antiviraux, médicaments essentiels, etc.).

Une fois la phase pandémique terminée, la grippe continue de circuler et provoque des épidémies saisonnières grâce à sa capacité de mutation spontanée. En effet, la grippe est une maladie immunisante : un même virus grippal ne peut infecter la même personne qu'une seule fois. Si le virus grippal ne changeait jamais, le nombre des habitants de la planète susceptibles d'être infectés deviendrait vite très faible. Comme le virus grippal mute en permanence, ces « glissements antigéniques » (drifts) lui permettent de réinfecter une partie de ceux qui ont été immunisés lors des épidémies saisonnières antérieures.

Cependant, le nombre des personnes susceptibles d'être infectées finit par diminuer peu à peu et, au bout de quelques dizaines d'années, les épidémies saisonnières deviennent de moins en moins importantes. Arrive alors un moment favorable à l'émergence d'un nouveau virus grippal pandémique, et le cycle recommence. Depuis quelques années, les épidémies de grippe saisonnière dues aux virus grippaux A deviennent de plus en plus discrètes. À quand la prochaine pandémie ?

UN VIRUS EXTRÊMEMENT CONTAGIEUX

Une des particularités du virus grippal humain tient à son extraordinaire capacité à diffuser rapidement dans les collectivités humaines. Quand une épidémie de grippe démarre, les cas se comptent rapidement en millions. Contrairement au syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), pour lequel le nombre de cas s'est limité à quelques milliers, la grippe est une maladie de masse, ce qui la rend spectaculaire tout en lui conférant une grande valeur pédagogique. De petits changements dans la virulence du virus grippal ou dans la façon de s'en occuper peuvent avoir de grands effets, immédiatement visibles.

Les virus grippaux se transmettent d'un humain à l'autre par l'inhalation de l'air expiré par les malades, surtout s'ils toussent ou éternuent. Le virus grippal persiste aussi sur les mains des malades et sur tout ce qu'ils touchent : poignées de porte, etc. Pour lutter contre la propagation des épidémies de grippe, il faut donc lutter contre cette double transmission, aéroportée et manuportée.

MESURES BARRIÈRES

La stratégie utilisée s'inspire des courses de sprint. La grippe ressemble à une coureuse de 100 mètres plat. Elle se propage à toute vitesse. Que fait-on pour ralentir une sprinteuse ? On dresse des haies sur la piste. Au lieu de courir en 10 secondes, elle parcourt les 100 mètres en 13 secondes. En retardant la grippe, on diminue l'ampleur du pic épidémique et on gagne du temps. Ici, les haies s'appellent des « mesures barrières ». Elles sont essentiellement destinées à diminuer la vitesse de transmission de la grippe et le nombre de personnes infectées par chaque malade grippé. Qu'importe si ces barrières ne sont pas parfaites, elles constituent seulement une manoeuvre de retardement.

Exemples de mesures barrières :

- port de masques, lunettes, gants ;

- hygiène des mains ;

- mouchoirs jetables ;

- poubelles à couvercle ;

- ne pas cracher par terre ;

- isolement des malades ;

- moins de rassemblements ;

- antiviraux.

GRIPPE, SAISONS ET TROPIQUES

La grippe est sujette à l'influence de la température et des conditions saisonnières. En France, les épidémies surviennent généralement de novembre à février, c'est-à-dire pendant l'hiver. Que se passe-t-il dans l'hémisphère sud, où les saisons sont inversées ? La maladie survient pendant leur hiver, ce qui veut dire pendant les mois de juin, juillet et août. Comme le virus circule tantôt au nord, tantôt au sud, il faut bien qu'il existe un moyen de passage, puisque ce sont les mêmes virus que nous retrouvons successivement au mois de juin au Brésil et au mois de novembre en Europe.

Que se passe-t-il dans les zones tropicales où il n'y a pas d'hiver froid et où il ne gèle jamais ? Dans les zones tropicales, le virus est présent toute l'année. C'est le cas dans toute la zone intertropicale, à Singapour, en Afrique, à La Réunion, etc. Pendant les mois d'octobre à mars, des épidémies surviennent dans l'hémisphère nord. Le virus circule entre les pays de l'hémisphère nord et les pays des zones tropicales. Les échanges de virus y sont permanents. Si le virus change légèrement en Europe, il va se trouver redistribué vers la zone tropicale qui est le réservoir permanent, et ceci jusqu'au printemps de l'hémisphère nord.

Dans l'hémisphère sud, c'est l'inverse. À partir du mois d'avril jusqu'en septembre, les virus qui circulent dans les zones intertropicales vont être redistribués vers l'hémisphère sud puis revenir dans les zones tropicales d'où ils seront prêts à être redistribués au mois de septembre suivant vers l'hémisphère nord. Les virus grippaux circulent en permanence d'un hémisphère à l'autre. Quels sont ses modes de transport ? Le mode de transport le plus simple est l'homme, le voyageur qui, avec l'accélération des transports, devient de plus en plus susceptible de disséminer le virus. L'accélération et l'accroissement des échanges planétaires favorisent la dissémination des virus grippaux humains.

QUI RISQUE QUOI ?

Les soignants. En matière de grippe, les soignants risquent gros et peuvent faire courir des risques à leurs malades. En effet, en étant au contact de malades infectés par la grippe, il est très facile pour un soignant de s'exposer aux virus grippaux. Et ensuite, de les transmettre à d'autres patients... et à sa propre famille.

C'est pourquoi les soignants travaillant à l'hôpital ou dans des collectivités de personnes âgées (maisons de retraite par exemple) devraient considérer comme une faute professionnelle le fait de ne pas se faire vacciner contre la grippe. Un soignant gagne aussi à être vacciné pour garantir sa propre santé, surtout s'il est fragilisé par une maladie chronique ou s'il approche de la soixantaine. Enfin et surtout, les soignants ont intérêt à se vacciner contre la grippe car leur présence est particulièrement précieuse quand l'épidémie est là. En France comme ailleurs, nous avons beaucoup de progrès à faire dans le domaine de la vaccination antigrippale des soignants.

Les personnes fragiles. En France, le vaccin est fourni gratuitement aux personnes qui sont fragilisées par certaines maladies chroniques ou par leur âge. Cette stratégie, particulièrement adaptée aux périodes interpandémiques, a permis de réduire considérablement la mortalité liée à la grippe ainsi que la fréquence des complications qui succèdent aux infections grippales. Cependant, tout n'est pas encore parfait en France dans ce domaine : ainsi, seule une minorité de diabétiques âgés de moins de 65 ans profite de la gratuité du vaccin. La majorité ne se vaccine pas, par négligence, par ignorance ou par inadvertance. Le vaccin contre la grippe est encore trop souvent assimilé à un « vaccin de vieux ».

Les enfants. Chez les enfants, la grippe est très rarement mortelle. Par contre, elle est responsable d'un très grand nombre de complications infectieuses, d'otites récidivantes, de bronchiolites et d'hospitalisation. La prise de conscience de cette dangerosité pédiatrique de la grippe est récente. Elle justifie un meilleur usage de la vaccination chez les enfants fragilisés par une maladie chronique (malformations cardiaques, mucoviscidose, diabète juvénile...) et une réflexion sur l'intérêt des antiviraux, dont il existe maintenant des formes pédiatriques utilisables en curatif à partir de l'âge d'un an.

Les très jeunes enfants. Les campagnes en faveur de la vaccination contre la grippe mettent l'accent sur le grand danger que représente cette maladie chez les personnes âgées. Mais elles font perdre de vue le fait que la majorité des cas de grippe concerne les adultes jeunes, les enfants et les nourrissons. Chez les jeunes enfants, on observe plusieurs particularités :

- fréquence plus élevée, surtout en collectivité (plus de trois enfants dans la famille, crèches, etc.) ;

- dissémination des virus grippaux plus intense et plus longue ;

- mortalité liée à la grippe très faible ;

- complications beaucoup plus fréquentes que chez l'adulte.

Fait caractéristique chez les jeunes enfants, la grippe est un motif d'hospitalisation important. Même si elle est souvent de courte durée, l'hospitalisation est 100 fois plus fréquente quand un enfant de moins de 6 mois a la grippe ; elle est 50 fois plus fréquente quand il a moins d'un an et 4 fois plus fréquente chez les enfants d'âge scolaire. En période épidémique, la grippe est responsable de plus de 13 % des hospitalisations en pédiatrie. Plus de la moitié des jeunes enfants hospitalisés pour grippe arrivent à l'hôpital dans les vingt-quatre premières heures de l'infection. La durée de séjour est en moyenne de trois jours, mais elle peut atteindre une semaine.

Pendant les douze premiers mois de la vie, l'infection grippale commence fréquemment par une brusque montée de la température et peut s'accompagner ensuite d'une otite aiguë ou d'une détresse respiratoire. On relève souvent des signes digestifs (vomissements, diarrhée) et des signes extra-respiratoires (somnolence et déshydratation, notamment). La prématurité est un facteur aggravant.

Chez les enfants âgés de 1 an à 3 ans, la montée brutale de la température au début de l'infection est responsable de convulsions fébriles. Ce type de convulsions est observé chez la moitié des enfants de cet âge hospitalisés pour grippe. Les détresses respiratoires et les otites aiguës sont les autres principales complications de la grippe chez ces jeunes enfants. La maladie est plus grave chez les jeunes enfants atteints de retard mental, de malformations bronchiques ou cardiaques. Cette situation justifie la vaccination antigrippale de leur entourage (cocooning).

Les femmes enceintes. La grippe, comme d'autres infections, est une source de fausses couches, et peut-être de malformations. Le débat est ouvert sur l'intérêt éventuel de la protection des femmes enceintes contre la grippe. « Ouvert » ne signifie pas « tranché ». On ne sait pas s'il est justifié de vacciner contre la grippe pendant la grossesse. Comme souvent en médecine, la prudence est la rançon du doute .

Les malades immunodéprimés. Il existe de nombreux degrés dans l'immunodépression. Dans certains cas, comme les suites de greffe de moelle, il est nécessaire de protéger soigneusement les malades en les protégeant avec des antiviraux tant que la vaccination antigrippale ne peut pas apporter de protection. Dans d'autres cas, comme l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), l'intérêt de la vaccination doit être discuté cas par cas avec le médecin traitant.

Les adultes en bonne santé. En période interpandémique, les adultes sains courent peu de risque en cas de grippe. La plupart du temps, l'infection est bénigne, hormis le fait qu'il faut arrêter son travail pendant plus d'une semaine dans trois quarts des cas. Cette incapacité est le principal problème posé par la grippe chez eux, expliquant l'intérêt de la vaccination ou l'usage des antiviraux chez les sportifs de haut niveau, les étudiants en année de concours et les travailleurs ne pouvant pas interrompre leur travail en raison de leurs responsabilités ou de la précarité de leur situation.

POURQUOI MEURT-ON DE GRIPPE ?

Il y a plusieurs causes. C'est une maladie virale qui peut, normalement, directement, provoquer une pneumonie primitive. Ce n'est pas le cas général. Le plus souvent, les formes graves et les formes mortelles sont dues à des effets indirects, liés à l'aggravation de maladies préexistantes ou à des surinfections. Nous connaissons certains des mécanismes par lesquels le virus de la grippe est capable de potentialiser l'effet de bactéries. Cette potentialisation prend un certain temps ; elle ne se produit pas dans les premiers jours de la maladie.

Les surinfections nécessitant la prescription d'antibiotiques se produisent en général 4 à 5 jours, voire une semaine après le début de l'infection virale.

PIÈGES DANS LE DIAGNOSTIC

Les meilleurs signes cliniques de grippe sont un début brutal, l'apparition d'un signe respiratoire (toux, rhume, sinusite, bronchite, otite, pneumonie...) dans un contexte fébrile (fièvre même modérée ou sensation de fièvre, courbatures, fatigue, mal à la tête, etc.). Cependant, cette infection peut provoquer tous les tableaux cliniques, de la toux peu fébrile jusqu'au décès en service de réanimation. Il faut avoir le réflexe de penser à la grippe devant des signes cliniques très variés, même en dehors des périodes très épidémiques.

Réciproquement, les signes cliniques de grippe peuvent être observés dans un grand nombre d'autres maladies, notamment les infections respiratoires et, en période épidémique de grippe, le risque est de baptiser grippe des urgences chirurgicales (cholécystite aiguë, appendicite aiguë, etc.) ou médicales (paludisme, méningite, pyélonéphrite, etc.).

Établir le diagnostic de grippe est souvent délicat. Parmi les pièges fréquents, signalons que :

- Chez les nourrissons, la grippe se manifeste souvent par une montée brutale de la température, accompagnée parfois de convulsions hyperpyrétiques. Elle est également une cause importante de bronchiolite.

- Chez les enfants, la grippe se manifeste souvent par des signes digestifs ou une otite moyenne aiguë. Les manifestations musculaires peuvent être très spectaculaires en cas de grippe B.

- Chez les personnes âgées, la grippe est souvent peu spectaculaire. La symptomatologie peut se limiter à une incapacité brutale à se lever le matin. Dans une collectivité de personnes âgées, une épidémie nosocomiale de grippe peut commencer par le constat que deux ou trois résidents ne veulent plus se lever.

- Chez les personnes fragilisées par une maladie chronique, la grippe peut se traduire par la décompensation de la maladie préexistante : coma chez un diabétique, détresse respiratoire chez un fumeur chronique, état de mal chez un asthmatique, infarctus du myocarde, etc.

- Chez une personne « grippée », l'apparition de taches rouges planes sur la peau doit faire craindre le début d'un purpura fulminans (révélateur d'une ménigite à méningocoque), qui est une urgence médicale absolue.

QUEL VACCIN ?

En France, les vaccins antigrippaux sont tous sous forme injectable.

Leur composition antigénique est similaire, le choix des souches vaccinales relevant d'une décision publique. Chaque année, en février, les experts de la grippe se réunissent au siège de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour choisir les souches de virus grippal qui vont composer le vaccin distribué au mois de septembre suivant. Cet automne, l'OMS a recommandé trois nouveaux virus grippaux, tous isolés pour la première fois à Brisbane (Australie) :

- A/Brisbane/59/2007 (H1N1) ;

- A/Brisbane/10/2007 (H3N2) ;

- B/Brisbane/3/2007 ou son équivalent américain B/Florida/4/2006.

À propos, savez-vous à quoi correspondent les noms de virus grippaux ?

A, B : type viral.

Brisbane : lieu où ce virus a été isolé pour la première fois.

59 : numéro d'enregistrement sur le cahier du laboratoire qui l'a isolé.

2007 : année au cours de laquelle le virus a été isolé.

Pour la grippe A, on numérote l'hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N) en fonction de leur façon de réagir à nos anticorps.

Un des vaccins commercialisés en France contient un adjuvant destiné à exacerber les réactions immunitaires chez les patients dont la capacité d'immunisation est altérée. Il améliore le service rendu chez les personnes âgées de 65 ans et plus atteintes d'une affection de longue durée. Il est notamment indiqué chez les personnes dépendantes ou grabataires.

Les vaccins commercialisés sont les suivants :

Vaccins habituels : Agrippal®, Fluvirine®, Fluarix®, Immugrip®, Influvac®, Mutagrip®, Previgrip®, Vaxigrip®, Tetagrip® (vaccin antigrippal et antitétanique).

Vaccin adjuvé : Gripguard®.

Les vaccins distribués en France contiennent des virus tués (et même tronçonnés), incapables de se réactiver et de redevenir infectieux. Un vaccin antigrippal ne peut pas « donner la grippe ». L'apparition d'une réaction fébrile post-vaccinale, peu fréquente, traduit en fait une réaction protectrice efficace. Les autres effets indésirables sont très rares. La seule contre-indication est l'allergie à l'oeuf (cette hypersensibilité est très rare dans notre pays).

Les données (limitées) relatives à la vaccination de la femme enceinte n'indiquent pas que des effets indésirables sur le foetus ou la mère sont attribuables au vaccin. L'utilisation de ce vaccin peut être envisagée à partir du second trimestre de la grossesse. Pour les femmes enceintes présentant un risque élevé de complications associées à la grippe, l'administration du vaccin est recommandée, quel que soit le stade de la grossesse.

Il n'existe aucun argument pouvant faire penser que se vacciner tous les ans présente un inconvénient (1).

QUI VACCINER ?

La politique vaccinale française vise à protéger les personnes pour lesquelles la maladie représente un danger. Aussi, l'accent a été mis sur la prévention de la mortalité plutôt que sur celle de la morbidité. En conséquence, le vaccin grippal est fortement recommandé aux :

- personnes âgées de 65 ans et plus ;

- personnes atteintes d'une des pathologies suivantes :

- affections bronchopulmonaires chroniques, dont asthme, dysplasie bronchopulmonaire et mucoviscidose ;

- cardiopathies congénitales mal tolérées, insuffisances cardiaques graves et valvulopathies graves ;

- néphropathies chroniques graves, syndromes néphrotiques purs et primitifs ;

- drépanocytoses homozygotes et doubles hétérozygotes, thalassodrépanocytose ;

- diabètes insulinodépendants ou non insulinodépendants ne pouvant être équilibrés par le seul régime ;

- déficits immunitaires cellulaires (chez les personnes atteintes par le VIH, l'indication doit être faite par l'équipe qui suit le patient) ;

- personnes séjournant dans un établissement de santé de moyen ou long séjour, quel que soit leur âge ;

- enfants et adolescents (de 6 mois à 18 ans) dont l'état de santé nécessite un traitement prolongé par l'acide acétylsalicylique (essentiellement pour syndrome de Kawasaki compliqué et arthrite chronique juvénile).

En effet, ce sont les sujets dont la santé est fragilisée qui sont le plus susceptibles de succomber à une atteinte par le virus grippal, du fait de la virulence de la souche ou d'une complication infectieuse. Selon les années, la grippe saisonnière constitue ainsi la première ou la deuxième cause de mortalité par maladie infectieuse en France. Dans une grande majorité de cas (de l'ordre de 80 %), ces décès touchent des sujets de plus de 65 ans.

La vaccination grippale est également recommandée aux personnes susceptibles de disséminer le virus, notamment :

- les professionnels de santé et tout professionnel en contact régulier et prolongé avec des sujets à risque ;

- le personnel navigant des bateaux de croisière et des avions ;

- le personnel de l'industrie des voyages accompagnant les groupes de voyageurs (guides).

Elle peut aussi être justifiée pour toutes les personnes désirant éviter l'indisponibilité consécutive à une grippe.

LE COCOONING

Le cocooning est une stratégie vaccinale complémentaire importante. « Cocooning » est un anglicisme venant de cocoon qui, lui-même, vient du français « cocon ». Ce mot est de plus en plus souvent employé par les experts de santé publique dans l'expression « stratégie de cocooning ». L'idée est simple : quand on dispose d'un vaccin efficace mais que son usage est délicat pour une personne difficile à vacciner correctement (femme enceinte nourrisson, personne âgée immunodéficience, etc.), on peut réduire son risque d'être infectée en vaccinant son entourage le plus proche, de façon à minimiser le nombre de personnes susceptibles de transmettre l'infection.

L'efficacité de cette stratégie a été démontrée dans les collectivités de personnes âgées (lire également p. XIV). En y vaccinant le personnel soignant contre la grippe, on y réduit la mortalité des résidents, qu'ils soient ou non vaccinés contre la grippe. Une stratégie de cocooning est proposée depuis cette année dans la grippe et dans certaines maladies infectieuses (coqueluche notamment) pour protéger les femmes enceintes et les nourrissons de moins de 6 mois fragilisés par une naissance prématurée. (2)

LES ANTIVIRAUX

Quand utiliser les antiviraux ?

Les médicaments antiviraux spécifiques de la grippe, disponibles en pharmacie sur ordonnance (pas de vente libre), n'ont d'intérêt médical que si le malade commence le traitement pendant la phase d'incubation (« post-contact ») ou dans les heures qui suivent le début des signes cliniques (« curatif précoce »). En « curatif précoce », l'efficacité est maximale si le traitement est commencé dans les douze premières heures (on est « sur pieds » dans les heures qui suivent). L'efficacité est moyenne si le traitement débute entre 12 heures et 36 heures après le début des signes et quasi nulle au-delà de quarante-huit heures.

En pratique, les antiviraux spécifiques de la grippe sont des médicaments d'urgence, leur prise doit débuter dans les heures qui suivent le début des signes d'infection, ce qui suppose pour le malade de courir chez le médecin puis chez le pharmacien. Sinon, l'intérêt de ce type de produit devient vite négligeable.

Résistances aux antiviraux. Elles sont fréquentes avec les antiviraux de la famille des anti-M2 (amantadine).

Elles sont rares avec les inhibiteurs de la neuraminidase (oseltamivir, zanamivir). Il s'agit d'ailleurs plus d'une perte de sensibilité in vitro que d'une résistance in vivo. Généralement, les virus grippaux qui sont moins sensibles aux antiviraux de cette famille perdent du même coup leur contagiosité et leur capacité à provoquer des épidémies.

En 2008, des souches d'une même lignée de grippe A (H1N1) résistantes à l'oseltamivir sont apparues dans plusieurs pays. Le mécanisme semble être une mutation spontanée. Cette résistance n'est pas transmissible d'un virus à l'autre. Les cas de grippe dus à ce virus ne sont pas plus graves que les autres et ce variant ne diffuse que faiblement dans la population. Les indications de l'oseltamivir n'ont donc subi aucune modification.

ENFANTS GRIPPÉS

Il convient d'éviter l'administration de l'aspirine chez les enfants grippés à cause du risque de syndrome de Reye. Il s'agit d'une pathologie rare mais qui peut être grave. Elle survient essentiellement chez l'enfant et associe une atteinte cérébrale non inflammatoire et une atteinte hépatique. Un lien entre la prise d'aspirine au cours d'un épisode viral aigu et la survenue d'un syndrome de Reye a été démontré au début des années 1980 aux USA ; il y a alors été recommandé de ne pas administrer d'aspirine aux enfants présentant une varicelle ou un syndrome grippal.

L'Agence anglaise du médicament a recommandé en 2002 de ne pas administrer d'aspirine aux enfants de moins de 16 ans sans avis médical. Jusqu'alors, cette recommandation se limitait aux enfants de moins de 12 ans. Quelques mois plus tard, l'Agence francaise de securite sanitaire des produits de sante (Afssaps) a rappelé que, depuis octobre 1998, le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de toutes les spécialités contenant de l'aspirine précise : « Des syndromes de Reye ayant été observés chez des enfants atteints de viroses (en particulier varicelle et épisodes d'allure grippale) et recevant de l'aspirine, il est prudent d'éviter l'administration d'aspirine dans ces situations. » Ces RCP ont été actualisées et ajoutent : « En conséquence, l'acide acétylsalicylique ne doit être administré chez ces enfants que sur avis médical, lorsque les autres mesures ont échoué. En cas d'apparition de vomissements persistants, de troubles de la conscience ou d'un comportement anormal, le traitement par l'acide acétylsalicylique doit être interrompu. »

En pratique, l'acide acétylsalicylique, le paracétamol et l'ibuprofène sont équivalents en termes d'efficacité antipyrétique chez l'enfant. Le paracétamol, en raison de sa bonne tolérance aux doses thérapeutiques, est à utiliser en première intention chez l'enfant (15 mg/kg toutes les 6 heures). Seule la persistance de la fièvre, malgré ce traitement, justifie l'association d'un second antipyrétique.

HOMÉOPATHIE

Faute de publications crédibles, il est difficile de juger de son efficacité dans la grippe. Il est quand même nécessaire de rappeler que :

- chez les personnes fragiles, seuls les vaccins antigrippaux officiels diminuent la mortalité et apportent des anticorps protecteurs ;

- les notices publicitaires vantant les produits homéopathiques parlent d'états grippaux et évitent soigneusement de mentionner la grippe ;

- la plupart des états grippaux dus à d'autres agents infectieux que la grippe guérissent spontanément en quelques jours, quoi que l'on fasse.

1- L'auteur de cet article se vaccine chaque année depuis 1984, à l'exception d'une seule fois où il a oublié son vaccin dans son réfrigérateur ! Profitons-en pour rappeler que le vaccin antigrippal doit être conservé au frais, dans un réfrigérateur, et que les anticorps protecteurs n'apparaissent que si le vaccin est injecté...

2- Source : Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 16-17, 22 avril 2008.

L'histoire se répète

Les épidémiologistes savent qu'un pic de mortalité apparaissant brutalement pendant une période de quelques semaines ne peut être dû qu'à une vague de chaleur, une vague de froid ou une épidémie de grippe. En examinant les registres paroissiaux, les historiens sont parvenus à détecter rétrospectivement les épidémies historiques de grippe et constater qu'il y a eu environ trois grandes vagues pandémiques par siècle.

Au XXe siècle, les pandémies ont eu lieu en :

- 1918-1919 : pandémie de « grippe espagnole » due à l'apparition du virus grippal A (H1N1), responsable d'une mortalité effrayante (deux fois plus de morts que durant la Première Guerre mondiale) ;

- 1957-1958 : pandémie de « grippe asiatique » due à l'apparition du virus grippal A (H2N2) ;

- 1968-1969 : pandémie de « grippe de Hong Kong » due à l'apparition du virus grippal A (H3N2).

À noter

- En milieu hospitalier et en collectivités, l'hygiène des mains consiste surtout à se laver et se désinfecter les mains avant de toucher chaque malade, même quand il s'agit d'un geste non invasif. Les solutés hydro-alcooliques (SHA) sont particulièrement pratiques car on peut avoir un flacon dans sa poche de blouse et se désinfecter les mains en quelques dizaines de secondes. L'usage systématique des SHA constitue probablement un excellent moyen de lutte contre les infections nosocomiales. Si vous travaillez à l'hôpital, demandez l'avis du comité de lutte contre les infections nosocomiales (Clin) sur place.

- Plus les masques sont protecteurs, plus il est difficile de les porter longtemps. Pour que les malades contagieux ne contaminent pas trop leur entourage, le port d'un masque antiprojection (aussi appelé « masque chirurgical », lire. p. XVI) suffit. Pour qu'un soignant ne respire pas trop les virus expirés par les patients, un masque FFP2 est plus efficace mais aussi plus pénible à supporter pendant une longue période de travail.

- En période pandémique, selon le plan de lutte contre une pandémie de grippe, les masques et les antiviraux seront fournis gratuitement aux soignants et aux grippés français.

Les « fausses grippes »

Les signes cliniques de grippe peuvent être observés dans un grand nombre d'autres maladies, notamment les infections respiratoires.

Voici les principaux agents infectieux respiratoires qui peuvent être confondus avec une grippe :

- Virus respiratoire syncytial : agent responsable de bronchiolite chez les nourrissons, il provoque des tableaux pseudo-grippaux beaucoup plus discrets chez les enfants, les adultes et surtout les personnes âgées.

- Virus parainfluenzae : ils provoquent des signes cliniques aussi spectaculaires que la grippe pendant 24 à 48 heures mais, ensuite, tout disparaît comme par enchantement ;

- Adénovirus : ils sont responsables de tableaux pseudo-grippaux accompagnés de ganglions (d'où leur nom) et prolongés ensuite par une toux qui peut durer plusieurs semaines ;

- Mycoplasma pneumoniae et Chlamydia pneumoniae : après un début moins spectaculaire que la grippe, une fièvre modérée et surtout une toux persistante peuvent imposer un traitement antibiotique (macrolides ou cyclines), surtout chez les personnes âgées et les fumeurs chroniques.

En période épidémique de grippe, le risque est aussi de baptiser grippe des urgences chirurgicales (cholécystite aiguë, appendicite aiguë, etc.) ou médicales (paludisme, méningite, pyélonéphrite, etc.).

Se méfier tout particulièrement si :

- on n'observe aucun signe respiratoire ;

- la température est inférieure à 37,5 °C ;

- le malade ne se sent pas fiévreux ;

- les signes cliniques ont commencé progressivement.

Le réseau des Grog

Financé à 80 % par la Direction générale de la santé (DGS) et l'Institut de veille sanitaire (InVS), sous l'égide de l'ECDC (1) et de l'OMS, le réseau national des Grog (Groupes régionaux d'observation de la grippe) est un dispositif national d'alerte régionalisée, spécialisé sur la grippe, le virus respiratoire syncytial (VRS) et les principaux agents infectieux respiratoires. Il associe les laboratoires de virologie des Centres nationaux de référence et de plusieurs CHU, plusieurs équipes de recherche (universités, Inserm, CNRS), des observatoires régionaux de santé, des unions régionales de médecins libéraux (URML), Open Rome et, surtout, plusieurs milliers de vigies très variées : médecins généralistes, pédiatres, SOS Médecins, médecins militaires, infirmières de santé au travail, pharmacies, OCP-Répartition, entreprises vigies (EDF, PSA, etc.), le service de santé des armées, Aéroports de Paris, l'Assistance-publique-Hôpitaux de Paris, le service médical de l'Assurance-maladie.

Une des spécificités du réseau des Grog tient à la capacité de ses vigies à faire en toute saison des prélèvements rhino-pharyngés chez les malades grippés. Les écouvillons sont envoyés dans des laboratoires de virologie de très haut niveau (centres de référence, CHU innovants) et analysés avec une grande rapidité. Ainsi, les virus respiratoires circulant dans la population sont immédiatement connus avec précision, même quand il s'agit de virus rares ou difficiles à détecter (Sras, grippe aviaire, etc.).

Le réseau des Grog met en ligne sa documentation et ses résultats sous forme de cartes, de courbes et d'un bulletin hebdomadaire (mis en ligne le mercredi vers 14 heures). Toutes ces informations sont rendues publiques sur un site national et des sites régionaux, tous accessibles via l'adresse http://www.grog.org.

1- ECDC : European Center for Diseases Control and Prevention.

En savoir plus

> Virus grippaux actifs en France : http://www.grog.org.

> Épidémies de grippe hors de France :

- http://www.eiss.org ;

- http://www.invs.sante.fr/international/bhi.htm ;

- http://www.diplomatie.gouv.fr/voyageurs ;

- http://www.who.int/topics/ influenza/fr.

> Information sur les médicaments :

- http://www.afssaps.sante.fr ;

- http://www.theriaque.org.

> Vaccination :

- « Guide des vaccinations » de l'Inpes (disponible sur le site des Grog) ;

- http://www.semainedelavaccination.fr.

> Masques :

Dossier Web « Danger respiratoire, quelle protection choisir ? » sur http://www.inrs.fr.

> Procédure à suivre en cas de suspicion de grippe aviaire :

- Dossier «Grippe et grippe aviaire » sur http://www.invs.sante.fr ;

- Site interministériel http://www.grippeaviaire.gouv.fr.

> Rumeurs et canulars : http://www.hoaxbuster.com.

> Grippe et homéopathie : http://www.pseudo-sciences.org/ article.php3?id_article=39.

L'essentiel

- Le virus grippal est hautement contagieux. Il peut être transmis par le souffle, les éternuements et les mains.

- Le lavage des mains, l'utilisation des solutés hydro-alcooliques (SHA), des masques antiprojection et des masques protecteurs respiratoires représentent d'excellentes « mesures barrières » permettant de freiner la dissémination de la grippe et de prévenir les infections nosocomiales.

- La vaccination antigrippale des personnes à risque diminue la mortalité due à la grippe.

- Les soignants, notamment en milieu hospitalier, doivent se vacciner contre la grippe pour se protéger et pour éviter de contaminer les patients qu'ils soignent. La revaccination antigrippale annuelle ne présente pas de danger.

- Les antiviraux spécifiques de la grippe ne remplacent pas la vaccination mais ils la complètent efficacement à condition de commencer les prises en urgence, peu après le contact avec un malade grippé (« post-contact ») ou dans les heures qui suivent le début des signes cliniques (« curatif précoce »).

- Le diagnostic de la grippe est difficile, notamment chez les nourrissons et les personnes âgées.

- Chez les voyageurs, en toute saison, devant un tableau grippal, il faut penser à la grippe, mais aussi au paludisme.

- Les épidémies saisonnières de grippe se produisent chaque année ; les pandémies de grippe surviennent environ trois fois par siècle.